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Bernard Tapie, la gauche et l’OM au centre

Par Nicolas Kssis-Martov
4 minutes
Bernard Tapie, la gauche et l’OM au centre

Bernard Tapie a aussi été un homme politique français. Et comme souvent chez ce personnage balzacien, le mélange des genres s'est avéré la règle. Le foot n’était donc jamais loin. Notamment dans son combat contre l’extrême droite ou sa volonté de convertir sa famille politique, la gauche, au culte de l’entreprise et de la réussite individuelle.

Éric Zemmour s’est fendu d’un tweet d’une hypocrisie sans fard, au moment d’évoquer la disparition de Bernard Tapie : « Quel homme ! Au-delà de nos désaccords ponctuels, je retiendrai un homme au tempérament exceptionnel, à l’humour ravageur, jusqu’aux dernières minutes de sa vie. Repose en paix. » Il oubliait sûrement ce moment, en 2016, où face à lui l’ancien ministre de Mitterrand et ex-président de l’OM lui avait lâché : « Fais attention, je vais me lever et je vais t’en mettre une ! » Il avait reconnu alors dans le polémiste, qui n’avait guère l’habitude de la contradiction en direct, cette extrême droite qu’il a combattue toute sa vie et à laquelle il n’a jamais laissé passer un racisme qu’il ne s’amusait guère à tolérer par complaisance. « Si l’on juge que Le Pen est un salaud, alors ceux qui votent pour lui sont aussi des salauds », balançait-il, sans nuance, en 1992. Une ligne de conduite à laquelle il n’a jamais dérogé.

Cet engagement a été l’une des rares constances de sa carrière politique d’ailleurs, y compris lorsque à la tête de l’OM, il s’était entendu avec certaines franges des ultras pour faire le ménage dans les tribunes et donner au Vélodrome son actuel visage dans une cité qui se donne, électoralement parlant, pourtant fortement au FN puis au RN (bien plus que la capitale). Il a appuyé de la sorte, par exemple, la montée en puissance des South Winners, accordant aux diverses associations ultras la vente des places dans les virages. Si cette convergence des intérêts a beaucoup fait fantasmer, l’attitude de celui désormais qualifié de « Boss » dans le monde des gradins témoignait d’un flair certain pour l’écosystème phocéen et la compréhension que le foot porte en lui des enjeux sociaux et politique, qui le dépassent et peuvent servir au-delà. D’autres par la suite ont essayé, plus ou moins, de l’imiter entre le Vieux-Port et le stade. Sans y parvenir aussi bien.

Antifa en costard

Bernard Tapie restera un personnage complexe qui a accompagné la « social-démocratie » française, sa famille d’origine « modeste » , au cours des années 1980 dans son acclimatation puis sa conversion libérale et entrepreneuriale. Une lente conversion, dont sa prise de l’OM en 1986, au moment où commence la cohabitation, fournit une double visage. Un investissement massif, le goût du succès à n’importe quel prix, un culte de la ou des personnalités, associé à une ferveur populaire dont la romance s’était perdue à gauche depuis le tournant de la rigueur en 1984. À Marseille, Tapie a écrit une autre histoire que la seule et lente reculade face à la droite, et surtout le FN, camouflée par l’ampleur historique de Tonton. Avec toujours les bons méchants dans le scénario. Un Claude Bez, « fasciste éclairé » à Bordeaux, ou ensuite un PSG réduit à son aura parisianiste élitiste et son kop de Boulogne nationaliste. Le succès sur le toit de l’Europe face à l’AC Milan de Berlusconi, en appui sur l’un des plus gros budgets de l’UEFA à l’époque, éclairé par le visage en larmes de la figure emblématique Basile Boli, pourtant un temps dans sa jeunesse fan parisien, possédait donc une saveur symbolique, une valeur sportive et presque idéologique.

Puis, il y a eu les déconvenues, dont l’affaire OM-VA entraînant dans sa chute Jacques Mellick, qu’il avait rencontré lors de son passage éphémère au gouvernement comme ministre de la Ville, entre 1992 et 1993. À la fin des années 1980, il avait entamé un virage plus classique vers un cursus honorum ordinaire : député des Bouches-du-Rhône, s’appuyant sur sa notoriété locale acquise avec l’écharpe de l’OM, puis ensuite député européen en tenant à bout de bras des radicaux de gauche désireux de rajeunir leur image. Puis, bien un maroquin auprès d’un Mitterrand autant fasciné que dubitatif devant le personnage et l’époque qu’il représentait si bien. Sous les ordres surtout d’un Pierre Bérégovoy, ancien modèle d’un socialisme d’extraction modeste, comme lui, et jeune résistant, dont le suicide, affirma-t-il, le toucha au plus haut point (jusqu’à dégainer sur un plateau télé un mot qu’il lui aurait fait passer au cours d’un conseil des ministres). La suite s’est révélée moins glorieuse ou décisive, n’empêchant nullement donc le bonhomme de venir balancer ses certitudes à la télé, en matière de foot ou concernant la société française. Deux choses qui, chez lui, se rejoignaient toujours.

Adieu, le boss
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