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Bernard Joannin : « On écrit une pièce de théâtre tous les vendredis »
Sensation de la saison de Ligue 2, Amiens évoluait en National l'année dernière et joue la montée en Ligue 1 depuis des semaines. Pourtant, Bernard Joannin, président du club, continue d'affirmer qu'il ne vise que le maintien. Discussion avec un homme qui n'ambitionne rien d'autre que de voir ses idées triompher, après plusieurs saisons passées à bâtir l'avenir dans l'ombre.
Ce match du Nord contre Valenciennes, vous le sentez comment ? Le VAFC n’est pas en grande forme en ce moment, ça va être l’occasion de vous approcher de la première place…Écoutez, je vais aller à l’encontre de vos propos parce que Valenciennes est une équipe que je respecte beaucoup. Ils ont un coach de qualité, Faruk (Hadžibegić, ndlr), je le connais depuis des années. Déjà en tant que joueur, quand il était à Sochaux, c’était une pièce maîtresse. Et maintenant, c’est un entraîneur de qualité qui a un effectif de qualité. Avec Da Costa, avec Roudet, il y a plein de bons joueurs. Et vous savez, dans cette division, quelle est la différence entre le 16e et le 2e ? Très très peu ! Les équipes se tiennent énormément, et il y a beaucoup de qualité dans ce championnat.
Quand vous êtes arrivés à la tête d’Amiens, au printemps 2009, il y a eu une descente en National très brusque dès la fin de saison. C’était un peu violent, comme cadeau de bienvenue.D’abord, être président d’un club de football, pour un entrepreneur qui vient de l’extérieur et qui n’a pas de connaissance footballistique, c’est toujours une épreuve très compliquée. Parce qu’étant entrepreneur, vous êtes persuadé en arrivant que vous allez appliquer les méthodes qui vous ont permis de réussir dans la vie professionnelle, et que ça va fonctionner dans le football. C’est totalement faux. Vous avez un apprentissage des coutumes, un apprentissages des méthodes du football qui est nécessaire. Et ces six ans que j’ai passées à Amiens m’ont beaucoup apporté, il a fallu que j’apprenne beaucoup de choses. Et il n’y a qu’à partir de cette séance d’initiation que l’on commence à mieux comprendre l’environnement et à agir de façon plus efficace.
Par exemple, quel type d’erreurs faisiez-vous en gardant cet état d’esprit d’entrepreneur qui n’était pas adapté au métier de président de club ?Une chose primordiale dans le monde du football, c’est de s’entourer de gens compétents et intègres. C’est une priorité. Trouver la compétence, à la fois sur le staff technique et sur la cellule de recrutement, car ce sont deux choses très importantes. Je parle pour moi hein, je ne sais pas si les autres pensent la même chose, mais pour moi, c’est la cellule de recrutement qui est à la genèse de l’histoire. Et derrière, le staff technique, parce que c’est lui qui modèle et qui transforme ce que la cellule de recrutement lui a amené. Donc ce sont vraiment deux pierres très importantes dans la construction d’un club, et si vous vous trompez sur ces deux personnes, ça ne peut pas le faire. La différence avec une entreprise, c’est que vous écrivez une pièce de théâtre tous les vendredis. Avec des artistes différents, et les artistes ont toujours un petit côté fragile. Ils ont besoin d’être soutenus, d’être compris, pour se donner totalement à leur art. Et c’est important d’être présent, qu’il y ait un ressenti de la part des joueurs et du staff d’une présence sécurisante de la part des dirigeants.
Avant d’entrer dans le monde du football, vous étiez à la tête de magasins de sport. Vous avez eu quoi comme parcours ?
J’ai commencé ma carrière comme professeur, j’étais professeur de sport pendant quinze ans dans un lycée à Albert, une petite ville de dix mille habitants à vingt kilomètres d’Amiens. Et au bout de quinze ans, j’ai voulu donner un autre sens à ma vie. Je ne me voyais pas terminer avec un sifflet à la bouche, donc avec mon épouse, on a ouvert un petit magasin de sport de cent mètres carrés. Les choses ont été très difficiles au début parce que si les études de gym menaient à l’économie, ça se saurait. J’ai dû apprendre, on est passés à côté du dépôt de bilan plusieurs fois. Et puis une fois que l’assimilation des méthodes s’est faite, on a sans doute eu un peu chance, mais on s’est bien développés, et maintenant on est à la tête d’un groupe de neuf cents personnes.
Et devenir président du club d’Amiens, vous y pensiez depuis longtemps ? C’était un rêve d’enfant ?Pas du tout ! J’ai toujours été très sportif. Simplement, j’étais partenaire du club par le biais de mes magasins Intersport, et puis à une période, le club était en difficulté et au bord de la descente. Le président à ce moment-là n’avait pas forcément les fonds pour assumer cette descente, car c’est un club dont la majorité des parts étaient détenues par l’association. Donc un club professionnel, mais un peu comme l’était à un moment Auxerre, vous voyez ? Très amateur dans l’esprit. Donc ils m’ont demandé de venir au capital, je suis venu de façon progressive, par des petites sommes au début, à hauteur de 10% du capital. Et puis vous savez, après, on se prend au jeu !
Amiens est deuxième de Ligue 2 et joue la montée depuis le début de saison, alors que vous étiez en National la saison dernière. C’est allé très vite. Vous vous attendiez à vivre ça ?Je veux expliquer ma vision, ma façon d’être par rapport aux résultats dans le football. Et du reste, par rapport aux résultats dans toute sorte de choses.
Ce qui m’intéresse, c’est le fond. Et ce qui m’intéresse actuellement, c’est le projet de jeu de mon équipe. Ce n’est pas de la langue de bois, je vous le dis sincèrement. Pour moi, une victoire est la résultante d’un travail collectif, d’un investissement collectif. Ce que je demande à mes joueurs et à mon coach, c’est qu’on pratique un football total. Alors le mot est peut-être un peu prétentieux, mais on essaye de se tourner vers ce football. Vous voyez, j’ai pris beaucoup de plaisir à regarder le match PSG-Barcelone, parce que c’est l’idée que j’ai du football. Quand vous laissez une à deux secondes au meilleur joueur du monde pour effectuer un contrôle, il n’est plus le meilleur joueur du monde. Parce qu’il n’a pas le temps de laisser parler sa technique. Le football total, quand il est pratiqué de façon complète, vous mettez une pression sur l’adversaire, dans le bon sens du terme. Une pression physique, et même les meilleurs techniciens peuvent perdre cette technique. Parce qu’ils n’ont pas le temps de s’organiser. Donc avant tout, le football est un combat physique.
Oui, mais une fois que votre vision du football vous a apporté trois points, plus trois points, plus trois points… Et que vous vous retrouvez à jouer les premières places du classement. Vous devez bien vous rendre compte que c’est une situation qui ne ressemble pas à vos objectifs de début de saison, non ?Notre objectif est toujours le maintien, et d’aller au bout de notre projet de jeu. Et si les choses doivent aboutir à quelque chose, bien sûr qu’on le prendra, mais c’est notre projet de jeu qui est le plus important. C’est ce que je dis à mes joueurs, « Sortez totalement des possibilités de résultats. Concentrez-vous sur ce que vous devez faire sur le terrain. » La victoire, ce n’est qu’une suite logique.
Vous dites : « L’objectif, c’est le maintien. » Vraiment ? Vous n’avez pas une autre idée derrière la tête ?
Non. On va continuer à être sur notre projet de jeu. On va essayer de faire en sorte qu’il soit de plus en plus abouti, et comme tout compétiteur, quand on entre sur un terrain, c’est pour gagner le match ! Nous, notre problème, ce n’est pas d’arriver à tant de points, c’est de jouer chaque match et d’essayer de le gagner. C’est ça, notre projet !
Donc vous préférez perdre avec vos idées plutôt que de les renier pour gagner en efficacité ? Vous n’êtes pas prêt à abandonner cette idée que vous vous faites du football ?Non, non. Parce qu’à terme… Vous savez, je dis toujours que dans mon métier de base, le business, l’économie vous rattrape toujours. Il y a des fondamentaux qu’il faut totalement respecter dans le business. Et de la même façon, dans le sport, il y a des fondamentaux qu’il faut respecter. Et quand vous avez un véritable fonds de jeu et que vous vous y cantonnez, un jour ou l’autre, vous gagnez.
Quand un club grimpe très vite en Ligue 1, il a souvent beaucoup de mal à s’adapter à la première division. Au niveau du jeu, bien sûr, mais aussi au niveau de la mentalité, de la philosophie, de la structure, du budget… Vous pensez qu’Amiens est préparé à l’élite ?Les clubs qui ont échoué, on peut donner l’exemple d’Arles-Avignon, ils ont par moment, peut-être… Enfin, vu de l’extérieur, c’est très compliqué de donner un jugement, c’est pour ça que je dis « peut-être » . Mais ils n’ont peut-être pas accompagné leur développement sportif d’un développement des structures. Je pense que les choses doivent se faire parallèlement. Et une partie des gains et des droits télé qui nous sont attribués par les montées doit être occupée à améliorer le fonctionnement et les structures. C’est pour moi primordial. Bien sûr, on doit garder de l’argent pour la masse salariale et les joueurs, mais pas l’intégralité.
Vous faites cet effort à Amiens ?Je vais vous donner un exemple. On est restés cinq ans en National. Pendant ces cinq ans, j’ai dépensé un million d’euros par an pour maintenir notre centre de formation. C’est ma vision, et celle des actionnaires qui sont avec moi, et celle du club. On essaye d’avoir une progression globale, et de s’améliorer dans tous les secteurs.
Cette saison, Amiens a réussi des gros matchs contre les autres prétendants aux premières places. Le 3-0 contre Brest, le 4-3 fou contre Strasbourg, la victoire 2-1 contre Lens… Mais il y a aussi des défaites contre des équipes moins cotées. Vous avez ce fameux symptôme « forts contre les forts, moins concentrés contre les autres » ?
On est aussi concentrés ! Vous savez, quand les équipes viennent à Amiens, maintenant, elles refusent le jeu. C’est deux lignes de quatre très basses, donc peut-être qu’on n’a pas encore la maturité pour résoudre ce problème. Et puis, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, si vous analysez les vingt équipes de ce championnat de Ligue 2, vous n’avez pas de différence énorme entre le 16e et le 1er, et les points sont là pour le prouver.
Vous avez de belles réussites individuelles dans l’équipe, comme Aboubakar Kamara, que vous avez récupéré alors qu’il galérait en Belgique.Je pense qu’on a une cellule de recrutement de qualité, dirigée par John Williams. Et il y a un véritable esprit familial dans le club. Abou s’était un peu perdu, et il est revenu dans une ville de province, tranquille, où il a trouvé des gens qui se sont occupés de lui. Dans le vestiaire, on a deux ou trois personnes charismatiques qui lui ont beaucoup servi. Et si j’analyse Abou, en deux ans depuis qu’il est chez nous, il a acquis une maturité d’homme. C’est vraiment quelqu’un qui est en train de faire sa mue et qui ne refera plus les erreurs qu’il a faites quand il était plus jeune. Il sait qu’il peut se montrer dans le football grâce à Amiens, et si les choses doivent être plus profitables pour lui ailleurs… Nous, on pense à sa carrière, on saura le lâcher comme il faut. Cet hiver, on a pensé que c’était mieux qu’il reste encore et qu’il s’aguerrisse, et lui aussi.
En ville, à Amiens, comment est l’atmosphère ? On a l’impression qu’il n’y a pas une ferveur incroyable autour de l’équipe.Ça, c’est les Picards ! On est réservés, calmes. Alors c’est vrai que par rapport au kop de Saint-Étienne, ou à Strasbourg, vous n’aurez jamais un kop comme ça à Amiens. En revanche, il y a une ferveur pour le football, vous voyez. On a une moyenne de spectateurs assez intéressante, puisque de tête on doit être à 7 800 de moyenne. Malgré le stade, puisque vous savez qu’il est totalement découvert en ce moment comme on a eu des petits soucis de structure. Il y a une ferveur, mais une ferveur qui n’est pas bouillonnante.
Propos recueillis par Alexandre Doskov