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Bernard Chambaz : « Cette pause est le moment pour accuser ce côté jeux du cirque »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger
8 minutes
Bernard Chambaz : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Cette pause est le moment pour accuser ce côté jeux du cirque »

Confiné à Paris, Bernard Chambaz préfère voir en cette interruption l'opportunité pour le football de revenir à la raison et retrouver les valeurs qui lui ont fait aimer ce sport. En cela, l'écrivain et historien, prix Goncourt du premier roman en 1993, se trouve quelques accointances avec Carlo Ancelotti et Christian Gourcuff.

En temps normal, comment définiriez-vous votre rapport au football ?Pour moi, il a été essentiel et a toujours une importance réelle dans ma vie. C’est mon sport de prédilection, de pratique entre 15 et 40 ans. Toute ma carrière, je l’ai faite en FSGT. Quand j’ai fini mes études, un copain m’avait ramené à l’Union sportive électrique et gazière, l’équipe de l’EDF-GDF. C’était le plaisir du jeu, le plaisir de la répétition. J’adorais la monotonie d’un championnat, j’adorais l’incertitude des matchs de coupe à élimination directe, j’adorais être celui qui allait le plus vite de mes débuts jusqu’à la fin. Aujourd’hui, je joue avec mes petits-enfants et avec l’équipe de France des écrivains, avec l’admirable Jimmy Adjovi-Boco comme entraîneur. Il y a un côté madeleine assez merveilleux.

Cette passion se prolonge aussi devant un poste de télévision ?Oui, depuis mes neuf ou dix ans et le Mondial 1958. À l’époque, mes parents n’avaient pas la télévision. Pour la regarder, il fallait descendre dans la rue et se mettre devant les vitrines des marchands de télé. C’était en noir et blanc, sans le moindre replay, et seulement à l’occasion un match ou deux devaient être diffusés dans l’année. Par la suite, je n’ai pas suivi systématiquement les coupes du monde, je préférais partir en voyage avec ma femme et les enfants. Mais mon plus grand souvenir est certainement le France-Brésil de 1986. Il est d’autant plus important que c’est la dernière fois où j’ai été enflammé par l’équipe de France. Cette équipe m’a fait vibrer pendant huit ans, de 1978 à 1986. Je n’ai par exemple pas éprouvé la même joie en 1998. Je ne suis pas un imbécile, je me suis réjoui de voir qu’elle a pu exalter tous les jeunes, qu’elle a été l’occasion de conquérir un public féminin. Tout ça, c’est très bien, mais je m’y suis moins reconnu.

Et au stade ?Mes émotions les plus vives se sont passées autour d’un rectangle d’herbe verte. Le premier, c’est un de mes grands-pères qui m’a emmené au stade de Colombes pour voir un France-Portugal qui doit être du 11 novembre 1959. La France a dû gagner 5-3.

Le huis clos, c’est la négation du foot. À ce moment-là, autant regarder les concours de jongles avec le PQ.

J’ai déjà évoqué ce match dans un roman qui s’appelle Kinopanorama. C’est un des plus beaux souvenirs de ma vie, alors que je n’ai vu aucun but. J’avais dix ans, on était dans les virages, presque au ras de la pelouse, derrière la piste d’athlétisme, avec du monde devant moi. J’ai plus entendu les buts que je ne les ai vus. À l’adolescence, je suis allé pendant longtemps tout seul au Parc des Princes voir des matchs où il n’y avait pas grand monde, où ce n’était pas terrible non plus. (Rires.) Mais j’en garde un souvenir général assez poétique.

Comment vivez-vous cette situation d’arrêt forcé et contraint du football ? D’abord, il faut se dire que c’est provisoire. C’est une ascèse qui va durer entre quelques semaines à quelques mois. Après, ça va repartir comme en 14. Mais grâce à cette suspension du temps, j’ai vu des choses que je n’aurais peut-être jamais eu le temps de voir à un autre moment. Il y a un film sur Bobby Robson, qui prête à réfléchir sur un beau personnage, la série The English Game sur Netflix qui n’est pas du grand cinéma, mais plutôt sympa à voir, j’ai pu lire Rouge ou mort de David Peace sur Bill Shankly…

Le foot est une expérience collective, mais ce confinement pousse tout le monde à vivre dans son coin de manière individuelle. N’est-ce pas ça qui rend les choses encore plus compliquées ?Oui, d’ailleurs ce qui me fait peur, c’est que, le jour où ça repartira, on ait d’abord des matchs à huis clos. Pour moi, c’est la négation du foot, c’est rapprocher ce sport de l’e-sport. Ça va tout dénaturer. À ce moment-là, autant regarder les concours de jongles avec le PQ. Quand chacun se sent obligé d’envoyer une vidéo de ce qu’il a fait dans son coin, on reconstitue une collectivité via de nouveaux réseaux.

Pendant cette diète de football, ressentez-vous une sensation de manque ?Franchement, pas du tout. Je suis de ce point de vue sur la même position que Carlo Ancelotti, quand il dit : « Si on peut finir la saison, c’est bien, sinon, amen. » Par rapport à sa fonction d’entraîneur, le football est pour moi le cadet de mes soucis. Je trouve ça d’autant plus courageux de sa part. C’est un homme pour qui j’ai toujours eu beaucoup d’estime. À l’inverse, quand j’entends Marcello Lippi dire que la Serie A doit reprendre coûte que coûte, ça me déçoit.

Derrière la réticence d’arrêter les championnats à cette date, il y a aussi la question des titres à décerner…Je ne vois pas où est le problème. Il suffit de regarder ce que les Belges ont fait, même si la formule de leur championnat est différente. Bruges était leader avec 15 points d’avance et est donc logiquement sacré champion. Les Français pourraient en faire autant, vu la position du PSG. En Angleterre, Gündoğan, un joueur de Manchester City, disait qu’il faut donner le titre à Liverpool. Et il a raison.

Neymar ou Mbappé, si on baisse leur salaire de moitié, ils ne vont pas courir deux fois moins vite.

De la même manière, j’ai été frappé de voir que les présidents de club de National ont décidé quasi unanimement de mettre fin à la saison (la lettre a été signée par 15 des 18 clubs, le Red Star, Concarneau et Quevilly manquant à l’appel, N.D.L.R.). Pourquoi eux le font, alors qu’au niveau supérieur, à part le président de Brest, ils veulent tous continuer ? Ils ne s’en cachent pas : c’est juste pour toucher les droits télé. Cette pause est aussi le moment pour accuser ce côté « jeux du cirque » ou « opium du peuple » du football. J’y ai goûté, j’y goûte encore, j’ai plaisir à voir des matchs. Mais si cette crise pouvait faire retomber le soufflé, j’en serai heureux.

À quel point pensez-vous que cette crise peut bouleverser le monde du football ?Le football fait partie de la vie et sera affecté comme l’ensemble de la société et de l’économie par l’épidémie. On va voir comment il va se relever. Quand Gourcuff — le père, le vrai — dit que ce serait une occasion à saisir pour le football de revenir à la raison et de réduire sa masse salariale de 50%, ça me paraît juste. Le foot s’est retrouvé coincé dans une bulle financière vertigineuse, avec des salaires insensés. Neymar ou Mbappé, si on baisse leur salaire de moitié, ils ne vont pas courir deux fois moins vite. J’ai vu arriver un gamin comme Kylian Mbappé avec beaucoup de plaisir, d’autant plus que Monaco était mon club de cœur dans les années 1960. Mais je trouve qu’il se gâche un peu. Je trouve ça obscène de voir que les montres Hublot doivent monter une opération de communication pour que Pelé désigne Mbappé comme son dauphin. Il y a quelque chose d’indécent dans tout ça.

Pour compenser, beaucoup se tournent aussi vers le passé comme pour se raccrocher à quelque chose de rassurant. Les médias rediffusent des vieux matchs, racontent de vielles histoires, proposent de tester les connaissances de leurs lecteurs… Est-ce une bonne chose ?Que les plus jeunes le fassent, c’est très bien.

Pour les plus âgés, je ne pense pas qu’il soit utile de vivre dans la nostalgie. Là où c’est un élargissement chez les jeunes, c’est un rétrécissement pour les vieux.

Connaître l’histoire est toujours bon à prendre. Mais pour les plus âgés, je ne pense pas qu’il soit utile de revivre un événement dont on a été contemporain ou de vivre dans la nostalgie. Là où c’est un élargissement chez les jeunes, c’est un rétrécissement pour les vieux. Personnellement, je n’ai jamais revu les matchs de 1982 ou 1986 en entier. Quand je tombe sur des extraits, ce qui me frappe, c’est l’inimaginable différence de vitesse. Sans que ça n’enlève la qualité du jeu ou la qualité des joueurs.

Si cette période est un carême pour le football, à quoi ressemblera sa renaissance le jour de Pâques ?Mon rêve serait qu’après ce jeûne, des types comme Ancelotti ou Gourcuff soient entendus. Que les puissances d’argent soient moins gourmandes. Que le football revienne à des valeurs plus collectives, plus humaines, plus humanistes, plus justes. Moi, j’ai 70 ans. Dans ma vie, j’aurai traversé quatre grands événements : Mai-68, la chute du mur du Berlin, le 11-Septembre et l’épidémie de coronavirus. Par ses conséquences économiques, sociales et sanitaires, par l’expérience collective qu’il implique, le plus important est de loin cette pandémie. De la même manière que la Première Guerre mondiale avait marqué le début du XXe siècle, que la chute de Napoléon en 1815 avait marqué le début du XIXe siècle, je pense que le XXIe siècle débute réellement en 2020. Et pendant qu’on traverse un événement d’une gravité exceptionnelle, comment les dirigeants du foot peuvent-il ne raisonner qu’avec leur portefeuille ? Certains disent que c’est pour sauver les salariés du club, mais il y a pas mal d’hypocrisie là-dedans. Il y a quelque chose qui me dépasse et il faudra analyser la manière dont tout le monde ressort de cet épisode.

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Propos recueillis par Mathieu Rollinger

Le football dans la bibliographie de Bernard Chambaz :
- Le Match de foot qui dura tout l’été, Rue du monde, 2002
- Plonger, Gallimard, 2011 (« Un récit consacré à Robert Enke »)
- Petite philosophie du ballon, Flammarion, 2018

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