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Bernard Challandes : « Le Kosovo, c’est le genre de défi qui me plaît »
Le Kosovo dispute ce lundi soir à Pristina face aux îles Féroé son premier match officiel à domicile depuis son adhésion à la FIFA en 2016, au stade Fadil-Vokrri, en hommage au président de la Fédération décédé en juin dernier. L’occasion de mieux connaître Bernard Challandes (67 ans), le sélectionneur suisse des Dardanët depuis mars dernier, et qui a démarré son mandat par trois victoires en matchs amicaux.
Le match de ce lundi sera chargé en émotion. Pas parce que c’est déjà face aux îles Feroé que le Kosovo avait disputé sa première rencontre officielle en juin 2016 (2-0) à Francfort, mais parce qu’il se jouera dans une enceinte rebaptisée stade Fadil-Vokrri, du nom de l’ancien président de la Fédération foudroyé par une crise cardiaque le 9 juin dernier…Oui. Fadil était une personnalité très importante au Kosovo. Son décès brutal a été un véritable choc national. Il était très populaire, il avait beaucoup de charisme. Personne ici n’a oublié l’énergie qu’il a mise pour permettre au Kosovo d’être reconnu par l’UEFA et la FIFA. Le football kosovar lui doit beaucoup. Il a réussi à faire avancer les choses d’une manière impressionnante. Il s’est démené pour que le Kosovo puisse exister sur la scène internationale. Il faudra continuer sans lui. Fadil, avant de partir, aura tout de même pu vivre une campagne de qualification, celle pour la Coupe du monde 2018. Il y aura sans doute beaucoup d’émotion ce lundi. Le stade sera sans doute plein.
L’attente populaire est forte ?Très ! Car lors des qualifications pour la Coupe du monde, le Kosovo recevait à Shkodër, en Albanie. La sélection avait disputé des matchs amicaux à Mitrovica. Alors, pour un match officiel, on sent qu’il y a une grosse attente, une vraie pression. Les joueurs sont sollicités depuis que nous sommes en regroupement à Pristina. Surtout par les familles… Moins par les supporters. Mais on doit les préserver, pour qu’on puisse préparer ce match face aux îles Féroé.
Comment êtes-vous devenu le sélectionneur du Kosovo ?Après mon départ d’Arménie, en 2015, j’ai travaillé avec le FC Bâle, en tant que scout. Et j’ai eu cette proposition du Kosovo. J’ai rencontré Fadil, qui parlait français. Il m’a fait une offre. Pour moi, l’argent n’était pas le plus important.
J’aurais pu entraîner un club en Suisse, mais au quotidien, c’est éprouvant, surtout quand on prend de l’âge. Je n’ai pas trop réfléchi. J’ai accepté à l’instinct. Fadil m’a dit que je n’aurais pas besoin de m’installer à Pristina, mais d’y venir quelques jours par mois et d’aller voir des joueurs à l’étranger. Une fois que j’ai accepté, j’ai regardé les dix matchs disputés lors des qualifications pour la Coupe du monde (face à la Croatie, l’Islande, l’Ukraine, la Finlande et la Turquie, N.D.L.R.). J’ai vu que les Kosovars étaient plutôt de bons footballeurs, qu’il y avait du potentiel, mais qu’ils préféraient attaquer que défendre. Si on arrive à améliorer cela, on progressera. Je prends un exemple tout simple : la France, la Croatie, la Belgique et l’Angleterre, les quatre premiers de la Coupe du monde, étaient les équipes qui savaient à la fois attaquer et défendre. À ce niveau, il n’y a pas de secret ! L’Argentine n’est pas allée très loin, car elle ne savait pas défendre…
Quelle idée vous faites-vous du football au Kosovo ?Les meilleurs joueurs sont à l’étranger. Soit ils sont partis très jeunes, soit ils sont nés en Suisse, en Allemagne, en Suède ou en Norvège. Ici, il y a de bons footballeurs, de bons manieurs de ballon. D’ailleurs, comme beaucoup de joueurs kosovars sont aussi sélectionnables pour l’Albanie, avec Christian Panucci, son coach, c’est toujours un peu une bataille, c’est assez cocasse… Mais on voit que le pays doit améliorer sa politique de formation des jeunes, ses structures, etc. C’est normal : le Kosovo est un pays jeune, il n’est affilié à la FIFA et l’UEFA que depuis 2016. La sélection est jeune, c’est un peu la locomotive du football local, et elle n’a pas encore obtenu de résultats, ce qui est logique. Je pense que si nous y parvenons, notamment lors de cette Ligue des nations, cela incitera aussi quelques investisseurs locaux à injecter de l’argent.
Vous avez démarré votre mandat par trois victoires en matchs amicaux face à Madagascar (1-0), au Burkina Faso (2-0) et surtout l’Albanie (3-0), fin mai à Zürich…(Il coupe.) Oui, et cette dernière victoire n’est pas passée inaperçue. Je dois même un peu tempérer l’optimisme, car les gens s’imaginent que ce sera facile. Mais ce ne sera pas le cas. Nos adversaires ont plus d’expérience que nous. L’Azerbaïdjan, Malte et les îles Féroé ont des arguments, ce sont des équipes qui auront aussi des ambitions dans cette compétition. Je ne pense pas qu’elles soient supérieures au Kosovo, mais c’est un groupe qui me semble assez ouvert (l’interview a été réalisée avent le match nul 0-0 obtenu en Azerbaïdjan le 7 septembre, N.D.L.R.). On manque encore de vécu, de maîtrise. On va essayer de faire du mieux possible. Le Kosovo vient d’arriver sur la scène internationale, il faut un peu de temps. Même si, pour un coach, avoir du temps est presque impossible.
En Suisse, vous avez entraîné les principaux clubs du pays (Servette Genève, Young Boys Berne, FC Sion, FC Zurich, Neuchâtel Xamax), les Espoirs, mais jamais la sélection A. Est-ce un regret ?J’ai été candidat, à un moment, en 2007. Mais je n’étais pas là au bon moment ! (Rires.) Car Ottmar Hitzfeld l’était aussi. Je ne pouvais pas lutter. Et il a été normalement choisi. J’aurais pu retourner à la Fédération, où j’avais travaillé pendant plusieurs années, de 1996 à 2007, en entraînant les U17, les U18 et les Espoirs. On a mis en place un programme de développement, axé sur une vraie formation des jeunes. D’ailleurs, la Suisse a obtenu des résultats dans ces catégories. Je pense qu’il y a un bon travail qui a été fait, et qui continue. Le championnat suisse est d’un bon niveau, nous avons beaucoup de joueurs qui évoluent dans les meilleures ligues européennes. Pour un petit pays, c’est la preuve qu’on n’a pas si mal travaillé. Et puis, on a une nouvelle génération qui arrive, avec Kevin Mbabu, Djibril Sow, Denis Zakaria, Albian Ajeti…
Vous avez 67 ans. Vous avez signé pour deux ans au Kosovo…Oui, mais peut-être qu’un jour, on me dira de partir parce que nous n’aurons pas gagné le match qu’on devait gagner. Quand j’étais en Arménie, les choses étaient claires. On m’avait dit que si je ne qualifiais pas la sélection pour l’Euro 2016, c’était la fin de l’aventure. C’est le métier qui est comme ça. Mais je relativise : après tout, je n’ai pas fait une grande carrière de joueur professionnel, et malgré cela, cela fait plus de trente ans que j’entraîne au haut niveau. La vie est plutôt belle…
Propos recueillis par Alexis Billebault