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Berisha : « Après la Guerre, je suis rentré au Kosovo pour rebâtir la maison familiale »
Valon Berisha n'a que 27 ans - il en aura 28 le 7 février prochain -, mais il a déjà un CV long comme le bras : il est né en Suède, a grandi puis a commencé sa carrière en Norvège avant de faire son trou en Autriche à Salzburg, de galérer en Italie à la Lazio avant un bref passage en Allemagne au Fortuna Düsseldorf. Tout ça sans oublier que Berisha a même défendu le blason de deux sélections nationales différentes. Depuis juillet dernier, c’est à Reims que l’international kosovar a posé ses valises et où il s’est surtout déjà rendu indispensable. Entretien avec un homme à la peau dure.
Depuis que tu es arrivé à Reims, tu es un joueur clé pour ton équipe. Comment te sens-tu ?J’ai le sentiment de me sentir chez moi. J’avais besoin d’un peu de temps, lors des premiers matchs, pour mieux connaître mes coéquipiers et en savoir davantage sur mon positionnement. Je trouve que l’équipe joue mieux depuis quelques semaines et je pense que nous devions digérer le début de saison où l’on a mis en place un nouveau système de jeu. L’année dernière, Reims jouait beaucoup plus défensif, contrairement à aujourd’hui, et c’est en partie pour cela d’ailleurs que les dirigeants ont fait appel à moi : afin d’aider à opérer ce changement de philosophie de jeu.
Reims a travaillé pendant deux ans pour te faire venir. Pourquoi avoir accepté de relever ce challenge ?J’ai choisi ce projet, car on m’a immédiatement fait sentir que j’aurais une place importante au sein de celui-ci. Surtout, les attentes ne sont pas uniquement autour de ma personne et de mon rendement. On attend aussi de moi que j’encadre les jeunes joueurs. C’est un cas de figure que j’ai connu à Salzbourg, et j’avais aimé cela. J’aime être le genre de gars un peu leader, j’ai donc senti que ce projet était le bon.
Qu’est-ce que te demande David Guion sur le terrain ?Il veut que j’aille de l’avant et que je prenne pas mal de responsabilités. Et je le fais parce que chez moi, c’est naturel : j’aime parler, m’impliquer dans l’équipe et c’est la même chose avec le ballon. Il faut avoir du courage. C’est d’ailleurs toujours ce que je dis aux autres joueurs : ayez du courage parce que le football est une chose que vous aimez. Même si vous jouez contre de grandes équipes comme Paris, Lille ou Lyon, si vous avez du courage, vous pouvez toujours espérer l’emporter à la fin. J’ai eu l’opportunité de jouer de grands matchs, et c’est dans ce type de rencontres que vous montrez qui vous êtes réellement. J’essaie d’être un exemple sur le terrain, mais aussi en dehors, j’essaie d’ores et déjà par exemple d’apprendre le français pour impliquer tout le monde parce que certains joueurs ne parlent pas anglais. Je suis en France, donc c’est à moi de m’intégrer. Pas à eux.
Pour t’intégrer justement et t’imprégner de la culture française, tu expliquais sur la chaîne Youtube du club écouter Gims. Qu’est-ce que tu fais d’autre en dehors du foot ? Je suis quelqu’un d’assez casanier et il faut dire que malheureusement, la période n’aide pas non plus à pouvoir faire autre chose. Je regarde beaucoup de films et de séries, récemment j’ai terminé Lupin en un jour ! Omar Sy est un superbe acteur, c’était cool. Bon, je l’avoue, je l’ai vu en anglais… (Sourire.) Pour en revenir à Gims, j’aime sa musique et le rythme qu’il y a dans ses chansons. J’ai également regardé le documentaire qui lui a été consacré sur Netflix, et son parcours de vie m’a fasciné. La musique, c’est ma deuxième passion, et j’ai donc écouté par la suite d’autres de ses chansons, pas seulement les plus connues, comme « Jasmine » .
Pour en revenir au terrain, Bernard Challandes, ton sélectionneur au Kosovo, nous expliquait que tu prenais souvent des risques dans ton jeu, peut-être même parfois trop. Qu’en penses-tu ?Je préfère en faire trop que pas assez. Au cours d’un match, beaucoup de joueurs prennent leur chance, mais, si ça ne fonctionne pas, ils se cachent ensuite jusqu’au coup de sifflet final. Pour moi, c’est la pire chose que tu puisses faire. Je préfère tenter dix fois et perdre la balle neuf fois, mais que la dixième tentative amène un but ou une action décisive, plutôt que simplement être « un joueur normal » . J’aime aller de l’avant, j’aime créer et pour cela, il faut prendre des risques.
Vrais reconnaissent vrais.
Où est-ce que tu as commencé à jouer au football ? Car lorsqu’on regarde ton style de jeu, on sent l’influence du football de rue.J’ai beaucoup fait de futsal, car j’aime ce football de rue. En Norvège, il y a énormément de petits terrains de football ou de structures fermées et j’allais là-bas tous les jours. C’est là que j’ai appris à penser, à évoluer dans les petits espaces et à faire de mon jeu ce qu’il est aujourd’hui. En futsal, tu dois penser rapidement, car la surface est plus petite et tu as moins de temps pour prendre une décision. Tous les samedis, les réfugiés albanais se réunissaient pour jouer dans un petit complexe. J’étais très jeune, mais je ne loupais jamais leurs matchs. Lorsque je suis devenu un peu plus âgé, ils m’ont laissé jouer avec eux, et ça m’a permis de devenir plus fort, de m’endurcir. Je pense que si tu joues bien dans des petits espaces, tu as un nombre de possibilités infini quand ceux-ci s’agrandissent.
Comme tu l’indiques, et ce, même si tu es né à Malmö, en Suède, c’est en Norvège que tu as grandi. Peux-tu nous parler un peu de ton enfance alors que tu es issu d’une famille de réfugiés kosovars ?Ce n’était pas toujours facile, mais la Norvège est un pays qui aide beaucoup les réfugiés. Ils font énormément pour intégrer les étrangers dans leur société même si, quand tu débarques, tu es forcément toujours un peu à la marge. Je suis albanais, ils sont norvégiens, c’est à toi de montrer qui tu es vraiment. La première différence de perception et de traitement que j’ai pu percevoir entre un Norvégien et un étranger, c’était au foot. Si je faisais quelque chose de bien, j’étais « norvégien » . Si j’avais été impliqué dans une bagarre, j’aurais été « albanais » . Mais c’est comme cela partout et pas seulement en Norvège. Dans tous les pays, et c’est pareil ici en France, si tu fais quelque chose de bien ou d’important, tu es inclus dans la société et on te considère comme Français. Mais si quelque chose de mal arrive par ta faute, tu peux entendre des choses comme : « C’est ce gars qui vient de tel pays, qui est de telle origine… » D’une certaine façon, cela m’a endurci et cela m’a préparé à devenir celui que je suis aujourd’hui. Mais pour d’autres enfants de réfugiés de mon âge que je connaissais, ce n’était pas toujours facile.
Pour tes parents, c’était dur ? Oui, ça l’était. Le norvégien est une langue difficile à apprendre et, au début, mon père travaillait essentiellement pour que l’on survive, car il subvenait également aux besoins de la partie de ma famille restée au Kosovo pendant la guerre. Au Kosovo, il était électricien et il a donc rapidement trouvé un job en bonne et due forme dans ce secteur à son arrivée en Norvège. Il travaillait aussi au black à côté pour faire un peu d’extras : par exemple, il partait bosser dans des fermes pour bâtir des clôtures pour les animaux. Ma mère, elle, ne travaillait pas au début en partie parce qu’elle avait déjà du mal avec la langue. Aujourd’hui, elle fait un peu de ménage dans les écoles. Pendant la guerre, c’était très dur pour mon père et j’ai énormément de respect pour ce qu’il a fait : il ne voyait pas sa famille, il s’inquiétait pour eux et il faisait l’équivalent de trois boulots en même temps pour subvenir à nos besoins ainsi qu’aux leurs. Il commençait à 7h le matin et rentrait à 10h le soir, il faisait tout pour que l’on ne manque de rien en matière de nourriture ou autre. Sa culture du travail m’a forgé.
Quels sont tes premiers souvenirs de la culture kosovare ?La nourriture, déjà. Dans notre appartement, on mangeait traditionnel au début comme du « Pasul me Mish » (plat à base de haricots et de viande). Mon père disait toujours : « Si tu manges ça, tu vas devenir grand et fort. » (Rires.) On mangeait aussi des Burek (feuilletés à la viande), même si notre alimentation a changé au fil des années et de l’intégration en Norvège, car tu vas à la cantine, tu évolues…
Tu as pu parler de la guerre avec tes parents ? Bien sûr. En Norvège, on captait des chaînes albanaises, donc on pouvait voir ce qu’il se passait là-bas… C’était difficile de savoir ça et surtout de voir à la télé ce qu’il se passe là-bas tout en sachant que tu as de la famille dans cette zone ravagée par la guerre. J’étais très jeune, mais voir mon père pleurer devant les infos, ce sont des moments qui te marquent. Ce qui me reste en tête, c’est la première fois où nous sommes retournés dans mon village, à Kunushec, au sud de la capitale Pristina. Cet endroit, là où l’on vit encore aujourd’hui, est une sorte de jardin secret où je me sens plus libre. Après la guerre, tout était détruit et nous y étions allés pour rebâtir la maison familiale qui avait été entièrement démolie. À ce moment-là, j’avais huit ou neuf ans et j’étais simplement content de pouvoir aider à retaper la maison avec les ouvriers… Avec le recul, je trouve qu’il y a surtout cet état d’esprit que les gens restés là-bas ont d’aimer la vie même s’ils n’ont pas grand-chose. C’est assez dingue en fait de s’asseoir à côté de quelqu’un qui ne possède pas grand-chose, mais qui ne te parle que de positif, qui dégage de bonnes ondes. Et ce sont eux qui détiennent la vérité : si jamais tu es en bonne santé, tu as tout. Tu peux avoir tout l’argent du monde, si tu n’as pas la santé, ça ne te sert strictement à rien. Dès que je le peux, je donne aux associations humanitaires en plus d’aider le plus possible ma famille. Je suis plus heureux en rendant quelqu’un d’autre heureux plutôt qu’en m’achetant une grosse voiture. Je trouve que de potentiellement changer la vie ou le quotidien en bien de quelqu’un d’autre est encore plus fort.
À l’âge de 14 ans, tu es parti faire des essais en Angleterre qui n’ont finalement rien donné puisque tu es rentré en Norvège. Pourquoi ?Je suis effectivement parti faire un essai à Chelsea, puis un autre à Manchester City et enfin un dernier à Aston Villa. City et Villa m’ont tous les deux fait une offre de contrat pro. Mais quitter ma famille pour rejoindre une académie où il y a beaucoup de talents… je crois que je ne le sentais pas. Dans ce genre d’endroit, tu n’es « qu’un parmi cent autres » . Où est-ce que je serais aujourd’hui si j’avais accepté ? Peut-être qu’effectivement, j’aurais réussi. Mais en Norvège, j’avais l’opportunité d’aller au bout de mes études, et pour mes parents, l’école était la priorité. Ils voulaient que j’ai un diplôme pour que je puisse trouver un travail, pour me permettre d’avoir cette perspective de pouvoir poursuivre mes études ou de travailler si je ne réussissais pas dans le foot. J’ai donc étudié jusqu’à mes 19 ans. C’était l’argument principal de mon choix de rester, sans compter que le Viking FK (le club norvégien de Stavanger où il jouait à ce moment-là, NDLR) me suivait depuis mes dix ans. Ils avaient envie de me faire grandir, et l’école dans laquelle j’étais était juste à côté de la gare. Toutes les conditions étaient réunies pour que je sois épanoui. Je vivais une vie normale entre le foot, l’école, ma famille et mes amis qui étaient des étudiants normaux. Si j’étais parti dans une académie, je n’aurais bouffé que du foot.
Tu penses que ce facteur humain est sous-estimé dans le développement des jeunes joueurs au sein des académies ?Tu n’as pas beaucoup de choses en dehors et pas non plus beaucoup de possibilités si tu ne réussis pas lorsque tu vas dans ce type de structures. On peut très bien te dire à 19 ans que c’est terminé pour toi et tu ne peux t’appuyer sur rien ou presque pour commencer une vie totalement différente dès le lendemain. Si tu n’as pas de contrat professionnel au bout et un peu d’argent, qu’est-ce que tu fais ? Ma famille a eu beaucoup de courage de me dire de rester en Norvège, car lorsque Manchester City te fait une offre à quinze ans… Forcément, tout le monde te dit d’y aller ! Aujourd’hui, je suis content d’avoir choisi le chemin que j’ai pris et heureux qu’ils m’aient aidé à faire ce choix. Finalement, j’ai évolué en Autriche, en Italie, également un peu en Allemagne et ce sont toutes ces expériences qui m’ont préparé à vivre cette vie et surtout à ce qui va arriver après. Car une carrière, ça passe vite.
En 2016, tu rejoins officiellement la sélection du Kosovo quelques heures avant le premier match en compétition officielle du pays en Finlande. Alors que tu étais international norvégien au préalable (20 sélections au compteur). Pourquoi était-ce important pour toi de représenter le Kosovo en tant que footballeur ? J’ai énormément de respect et je serai éternellement reconnaissant envers la Norvège. J’ai été élevé là-bas, ils m’ont permis de passer ces premiers caps importants dans une carrière de footballeur et surtout, ils m’ont donné l’opportunité de jouer pour leur pays à 18 ans… Mais je me rappelle encore, lorsque j’étais petit, que je rêvais que le Kosovo ait une équipe nationale pour que je puisse représenter mes racines. J’ai grandi dans l’un des pays les plus riches et les plus stables du monde et c’était l’opportunité, en représentant le Kosovo, de donner un exemple aux jeunes générations. Qu’elles aient un point de repère, qu’elles aient de l’espoir. C’est pour cela que je l’ai fait.
Ton choix peut paraître surprenant à première vue, car ton frère Veton continue de jouer pour la Norvège en sélection. Mais en réalité, c’était peut-être la meilleure chose possible ! Que l’un continue de jouer pour la Norvège et que l’autre joue pour le Kosovo. Cela montre d’une certaine manière que nous, à l’image d’une famille, nous sommes reconnaissants. Ce choix nous permet d’être bien vu dans les deux pays, car sans la Norvège, où serions-nous ?
Quel souvenir gardes-tu de ce match à Turku face aux Finlandais (1-1) ? Sur le terrain, nous n’avions pas d’hymne, nous avions seulement le rythme de celui-ci. Mais juste en entendant cela, en étant proche de mes coéquipiers qui défendaient comme moi les couleurs du Kosovo, c’était quelque chose de très intense. Nous avons dominé le match tout le long, mais ils ont ouvert le score. Lorsque nous avons égalisé, nous n’étions pas loin derrière de gagner ce match 2-1. Il y avait peut-être 15 000 personnes ce jour-là en Finlande, mais au moins 10 000 étaient pour le Kosovo ! C’était rempli de Kosovars ou d’Albanais. Ça donnait le sentiment de jouer à la maison, c’était fou. Et puis marquer ce but égalisateur, c’était un moment intense, forcément.
C’est l’un des moments les plus importants de ta vie ?Bien sûr. Tu n’y penses pas sur le moment, mais après, les gens te disent : « Hey, tu te rends compte de ce que tu viens d’accomplir ? » Sur le coup, j’avais marqué comme j’aurais pu le faire dans un match lambda. Mais on me répliquait : « Non, vous venez d’écrire l’histoire, et toi, tu vas rester dans l’histoire, car tu viens d’inscrire le premier but du Kosovo en phase de qualification pour une compétition officielle. » De savoir ça, que tu as accompli un truc qui restera gravé, ça me rend très heureux. Mais de savoir que j’ai rendu mes parents fiers, peut-être encore plus. J’essaye en permanence de faire en sorte qu’ils soient fiers de moi, en toutes circonstances. Regarde, rien que le fait que l’on discute en ce moment, que je te montre du respect, ce sont des petites choses du quotidien, mais cela leur montre, à eux, qu’ils m’ont bien éduqué. Mon père m’a toujours dit « d’ouvrir des portes » autour de moi : d’être honnête, d’être respectueux, d’être joyeux, d’être heureux, car cela m’aidera en dehors du foot. Tu peux être très bon sur le terrain, mais être quelqu’un de bien, cela t’aidera toute ta vie.
Qu’est-ce que tu souhaites accomplir avant la fin de ta carrière ? Je veux accomplir de grandes choses, mon rêve serait d’emmener le Kosovo à l’Euro ou en Coupe du monde. En club, je joue pour gagner le championnat où que je sois. Ce sera toujours mon objectif, même s’il y a de très très grandes équipes comme Paris, car rien n’est impossible. Si on a une bonne équipe, un bon groupe, il n’y a pas de raison que l’on ne puisse espérer faire comme Leicester il y a quelques années qui a gagné la Premier League. Mais au-delà des victoires, je veux que l’on se souvienne de mon nom d’une façon positive dans le football.
Et après ?J’étais assez bon à l’école, j’étais deuxième de ma classe et peut-être que j’aurais continué dans le domaine économique ou bien dans le marketing si je n’avais pas poursuivi le foot. Rien à voir, mais j’en rigole aujourd’hui avec les kinés, j’aime bien soigner les gens, leur faire du bien. Même quand j’étais petit, je faisais des massages à mon père et de voir que cela le soulageait un peu, cela me rendait heureux. Aujourd’hui, je fais des investissements et j’ai envie d’ouvrir des business, donc je ne sais pas encore définitivement si je serai kiné plus tard. (Rires.) J’aime également enseigner et à chaque fois que je vais au Kosovo, je vais dans des écoles pour parler aux enfants, leur donner de la motivation pour réussir. Je leur dis notamment que la chose la plus importante, c’est d’être heureux et d’avoir des rêves. Car les rêves peuvent devenir réalité.
Propos recueillis par Andrea Chazy, à Reims