- France – Ligue 1 – Le joueur de la 34e journée
Berbatov ou pourquoi les grands joueurs sont ceux qui marchent
Si les coéquipiers de Dimitar Berbatov ont avoué à demi-mot que son but de génie inscrit ce dimanche face à Nice était le fruit du hasard, le Bulgare, auteur d'un match tout en technique et en nonchalance, a apporté sa pierre à l'un des édifices les plus évidents du football mondial : les grands joueurs marchent. Qu'ils s'appellent Juan-Roman, Lionel, Zlatan, Zinedine ou Lucho, ils savent que rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Bien avant que des enfants qui ignorent son histoire profitent de sa dite résurrection pour s’empiffrer de Kinder, Jésus Christ a dit : « Lève-toi et marche. » Il n’a pas dit : « Lève-toi et cours. » Un passage de l’Évangile selon Saint-Jean reçu cinq sur cinq par les apôtres footballistiques que sont Dimitar, Juan-Roman, Leo, Zlatan, ou Zinedine. Qualifié de « cramé » lors de son arrivée à Monaco, Dimitar Berbatov est un partisan du Lièvre et de la Tortue : « Mon âge n’est pas le même et c’est vrai que je suis un peu plus vieux qu’il y a quelques années. J’ai moins de cheveux ! C’est pour tout le monde pareil, mais le football, c’est pour les gens intelligents. Et mon cerveau est toujours dans le même état de marche. » Grand chef des pèlerins, saint patron des marcheurs, Juan-Roman Riquelme, 36 ans le 24 juin prochain, sévit toujours du côté du championnat argentin. Auteur d’un but splendide face à Tigre (1-0), le joueur le plus classe des années 2000 a passé une vie à tordre le coup à la grande hérésie du football mondial : pour être bon, il faudrait courir.
L’obsession de la sueur
« Mouillez le maillot, mouillez le maillot. » Le supporter aime voir de la sueur ruisseler du corps de ses joueurs. Ça le rassure, il se dit que le mec ne le prend pas lui – et le club – pour un con. Et tant pis s’il a un pied carré et l’autre triangulaire, il a au moins couru ses 12,350km. Depuis que Philippe Doucet a reçu sa palette pour le Noël 95, on ne peut plus échapper à ces statistiques de kilomètres parcourus. Un peu comme si on parlait d’un running-back en football américain. Alors on admire le joueur qui avale les kilomètres et on remet en cause celui qui a été avare de ses efforts métriques. Sauf qu’à y regarder de plus près, on connaît un quadruple Ballon d’or qui termine certains matchs avec un compteur kilométrique digne d’un gardien de but. Lionel Messi marche et pas forcément à l’ombre. Il marche pour mieux surgir, il marche pour ne jamais être trop loin de l’action. S’il courait comme un dératé pour tacler un défenseur au poteau de corner (l’école Rooney, ce grand démagogue toujours prêt à offrir sa sueur au peuple), il ne pourrait pas être de l’autre côté si jamais l’action dictait d’y être. Le joueur qui marche est le joueur qui prend possession du terrain. Il l’arpente en général visionnaire et sait quand il faut attendre et quand il faut lâcher les chevaux. Berbatov appartient à cette caste. Il marche pour garder la tête froide quand il s’agit d’effectuer le geste juste. Il marche parce qu’il a bien compris qu’un homme qui sue n’a rien de désirable. Il marche parce qu’il n’a pas plus envie de courir. Et si ça ne vous plaît pas, vous pouvez toujours revoir l’arrivée du 5 000 de Hicham El Guerrouj face à Bekele au jeux d’Athènes en 2004. Ça, c’est de la grande course à pied.
Courir malin
D’ailleurs, comme en athlétisme, il y a deux manières de courir : avec ou sans le cerveau. Quand Berbatov évoque l’intelligence nécessaire à la pratique du football, il justifie habilement l’impression donnée par l’ensemble des membres de sa tribu d’intellectuels : dotés d’un QI football plus important que la moyenne, ils savent pertinemment où ils sont sur le terrain, où sont leurs partenaires et où il faut orienter le jeu. Des aficionados du right place right time, en somme. Souvent critiqué pour son obsession pour le décrochage nonchalant, Zlatan Ibrahimović n’en demeure pas moins capable de dégainer un sprint intense sur quelques séquences afin de se propulser là où il a besoin d’être. Idem pour Leo Messi dont le jeu de dribbles est basé, comme celui d’un basketteur, sur le changement de rythme plus que sur la vitesse pure. Une tactique logique et payante sauf pour les ovnis physiques comme Gareth Bale capable, sur un sprint, de prendre cinq mètres à un adversaire censé être un sportif de haut niveau. Courir bien donc, et pas courir beaucoup. Anomalie de la famille des lents, Lucho González a passé ses saisons marseillaises à terminer les rencontres avec le nombre de kilomètres au compteur le plus élevé. Des courses anodines car pas foudroyantes, mais dans le même registre de celles d’Ibrahimović : des courses utiles. Des sprints malins qui ont fait de l’Argentin un roi du but sur ballon qui traîne (cf. son but contre le PSG quand Edel n’arrive pas à le capter). De toute façon, grands joueurs ou pas, ces apôtres-là ont raison. Le dimanche, c’est le jour du Seigneur. Alors on se repose et on partage.
Par Alexandre Pedro et Swann Borsellino