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Benzema, l’amour, le football
La passe décisive, c’est la caresse du football. Dimanche soir, contre l’Espanyol de Barcelone, Karim Benzema a offert à Casemiro et à tous ceux qui l’ont admiré un moment de magie amoureuse. Hommage.
On déclare le football comme on déclare un amour. Le désir ne s’embarrasse pas de grammaire pour conjuguer. Il est tout entier compris dans certains gestes, des épidermes qui se frôlent et quelques soupirs. On ne peut pas enseigner le désir, simplement le transmettre par intermittence miraculeuse. Bien sûr, les plus sceptiques trouveront qu’on en fait trop, qu’on se laisse volontiers emporter par l’ivresse de la sensation. Mais, que voulez-vous, il faut bien que nos esprits exultent. Tentez l’expérience autour de vous, montrez ce chef-d’œuvre de Karim Benzema pour Casemiro dans son dos. Regardez bien leur réaction au moment de voir le ballon glisser dans les pieds de son partenaire. Ils ne pourront s’empêcher de dessiner un rictus, de mimer un frisson. D’où vient cet étrange plaisir ? D’où vient qu’une simple passe puisse procurer autant d’ivresse ? N’était-ce pas le but, l’orgasme définitif du football ?
Tostaõ, le facilitateur
La joie du buteur est immense, grandiose parfois. C’est vrai. Mais elle éloigne. Personne, à part quelques élus, ne saura ce qu’il en est de ce moment décisif où une action se conclut enfin. Le plaisir du buteur est aussi sa douleur. Il est sauvage, immense, mais solitaire. On l’admire depuis la distance. Celui du passeur est de tout autre nature. Il offre quelque chose à l’amoureux que le buteur ne donnera jamais. Tostaõ le rappelait d’ailleurs cette semaine dans El Pais. Le numéro 10 converti en 9 dans le mythique Brésil de 1970 raconte la chimie opérant dans la plus séduisante des équipes de tous les temps. « Pour Pelé et Jairzinho, j’étais un facilitateur. Mon job était de les aider à conclure(…). Jouer à une touche de balle. Deux maximum. Quand le ballon arrive, tu dois déjà l’avoir dominé, savoir où se trouvent tes coéquipiers » La passe décisive n’est pas un geste mécanique qui s’effectuerait à la demande. Elle exige de connaître absolument tous les secrets de l’autre. Parfois même mieux que lui.
Le plus beau but était une passe
La passe dans le bon tempo exige une connaissance intime et subtile des mouvements qu’il préfère, du rythme secret qui le guidera sur le chemin de l’extase. Même Zizou, qui s’y connaît en amour, l’a dit à la fin de la rencontre dimanche soir : « Pour Karim, oui… Je pense au génie, je pense à ce geste de classe, je pense à tous les gens qui aiment voir du beau football, comme moi, comme vous, comme tous les passionnés qui aiment voir ce genre de gestes. Et ce qui est encore plus beau, c’est de voir que son copain, Casemiro en l’occurrence, sait que Karim peut faire ce genre d’action. » S’abandonner aux mouvements de l’autre, être à l’écoute des sensations de son partenaire, quelle meilleure définition du football et/ou de l’amour ?
Si ce plus beau but « était une passe » comme le disait Cantona chez Ken Loach en 2009 (et donna à Michéa le titre d’un de ses livres), c’est que la passe fait apparaître quelque chose qu’on ne voit jamais que par morceau. Admettons ce paradoxe. On voit des hommes courir, on voit un ballon rouler, on voit des tribunes, du gazon, des lignes, des hommes crier. Mais le football, lui, on ne le voit jamais. Ou alors seulement par apparitions, par éclats, comme on distingue au loin des phares perdus dans l’obscurité maritime. Les feux lointains nous font reconnaître une terre connue et espérée. Dimanche soir, guettant la magie qui nous propulserait enfin vers une nouvelle semaine, tout à coup, sur une talonnade vertigineuse, une vérité nous est apparue : « Voilà, ça, c’est le football ! »
D’un génie à l’autre
Oui, la passe c’est le football. Mais alors il faut se demander : qui est celui qui aime le mieux ? Celui qui donne ou celui qui reçoit ? Celui qui passe ou celui qui marque ? À cette question pourtant il ne faudrait jamais avoir à répondre. Elle risquerait de nous faire oublier que le plus beau dans ce genre de mouvement c’est le plaisir qu’il y a à s’abandonner tous ensemble. Le caressé connaît la volupté. Le caressant y ajoute l’abandon. « Match », « rencontre », « passe » : ce n’est pas pour rien que le vocabulaire du football est le même que celui de l’amour. La plus célèbre offrande était jusqu’à présent la talonnade de Guti à La Corogne. Le génie intermittent du Real Madrid des années 2000 avait fait l’amour ce soir-là à tout un stade galicien et offert une passe-testament à un Karim Benzema encore novice dans ces affaires. Dix ans plus tard, c’est au tour d’un Karim devenu mûr de donner des leçons de choses aux générations qui viennent. Depuis la reprise, match après match, mouvement avec mouvement, il entame ce même refrain silencieux : l’extase véritable ce n’est pas le but, c’est le contrôle.
Gracías crack ?⚔️?? https://t.co/IzrdZMUbN7
— Karim Benzema (@Benzema) June 29, 2020
Par Thibaud Leplat