- Arabie saoudite
Karim Benzema en Arabie saoudite, est-ce vraiment sérieux ?
Alors que Karim Benzema s'est ajouté à la liste des mégatransferts ficelés par l'Arabie saoudite, se pose la question de la viabilité de ce projet monarchique. Tout se règle-t-il à coups de chèques ?
En janvier dernier, sans trop y croire, le monde du football assistait à un changement d’ère particulier. Celui qui envoyait Cristiano Ronaldo à Al-Nassr, en Arabie saoudite. Une arrivée dans le faste et le luxe, annonciatrice d’une fuite des vieux talents mondiaux vers le Moyen-Orient. Car dans le sillage du Portugais, la signature prochaine de Karim Benzema, et probablement celles de Lionel Messi ou Luka Modrić, sont venues entériner ce nouvel ordre footballistique où – encore plus qu’à l’accoutumée – l’argent fait régner sa terrible loi. Mais derrière cette indécence programmée, se cache-t-il vraiment un projet pérenne ? Brève tentative de réponse.
Départ de légende
« Le Real Madrid et notre capitaine Karim Benzema ont trouvé un accord pour mettre fin à sa brillante et inoubliable étape comme joueur de notre club. Le Real Madrid tient à exprimer toute sa gratitude et son affection à celui qui est déjà l’une de nos plus grandes légendes. » Par ce communiqué tout en sobriété, le Real Madrid est venu confirmer une information que la planète attendait sans trop attendre : Karim Benzema s’en va. Une sobriété à l’image du style de jeu de KB9. Celui qui, à 35 ans, a ainsi décidé de prendre le large, une décennie après sa traversée des Pyrénées, pour écrire cette histoire désormais gravée dans le marbre immaculé de la Maison-Blanche. Le chat trop tendre pour chasser selon José Mourinho est devenu lion, garant des succès du plus grand club du monde.
En filigrane de ces sacres glanés sous la tunique merengue se sont dessinées des performances individuelles hors normes, qu’il serait difficile d’égrainer en ces quelques lignes : joueur le plus titré (25 trophées, à égalité avec Marcelo), cinquième plus capé (647), deuxième meilleur buteur (353 réalisations), meilleur passeur (163 passes, dont 117 en Liga en faisant également le meilleur du club en championnat) et surtout, membre de la grande caste des Ballons d’or. Dès lors, si ce départ peut amener quelques poussières dans les yeux madrilènes, difficile d’envisager une quelconque amertume pour celui qui a décidé de taper ses derniers pelotas dans le calme.
Cheiks, chèques et maths
Et pour le Nueve, tout indique la direction de l’Arabie saoudite, à Djeddah précisément. Al-Ittihad, fraîchement champion national, s’apprête à enrôler l’attaquant pour une poignée de deniers : deux années de contrat, 200 millions par an et – évidemment – cette obscure fonction d’ambassadeur pour l’organisation de la Coupe du monde 2030 en terres monarchiques. Il suffit d’ailleurs de passer au crible les offres émanant de la Saudi Pro League pour comprendre la portée de ce système établi dans les plaines sablonneuses. En réalité, il n’y a pas grand-chose à comprendre tant les calculs sont complexes. Les cheikhs se sont improvisés mathématiciens pour faire bonne pêche, via un ministère des Sports saoudien devenu principal négociant. Les vannes ne semblent en effet pas près de se fermer, à mesure que les montages financiers prennent forme, rendant difficile tout refus pour les recrues ciblées.
Comme révélé par El Mundo, Karim Benzema a, par exemple, été autorisé à choisir sa future équipe, guidé par le gouvernement local. Mieux (ou pire), alors qu’Al-Hillal officialisait son offre auprès de l’ancien international français, ce même ministère des Sports est intervenu pour stopper les négociations. L’objectif étant de le diriger vers Al-Ittihad, afin qu’Al-Hillal puisse récupérer Lionel Messi, tandis qu’Al-Nassr se targue déjà d’avoir Cristiano Ronaldo dans ses rangs. Ainsi, les trois plus grosses écuries du pays disposeraient des trois têtes de gondoles du football d’avant.
2030 et puis plus rien ?
Une majorité de contrats courts (à l’image du bail signé par Cristiano Ronaldo jusqu’en juin 2025, les contrats offerts aux nouveaux venus n’excèdent pas deux ans) et de sommes à neuf chiffres, interrogeant sur la vision à long terme saoudienne. Au-delà des effets de fumée suscités par ces arrivées, la monarchie n’a eu de cesse d’étaler des envies de développement pour son football. Ce processus entamé par le rachat de Newcastle United en février dernier, appuyé par une volonté farouche d’obtenir la Coupe du monde 2030. Difficile pourtant de voir la nécessité de mener une politique aussi invasive pour arriver à ses fins. D’autant que la candidature commune de l’Espagne, du Portugal et du Maroc (principaux concurrents des Saoudiens) ne semble pas encline à se laisser faire. À moins qu’un énième coup de chéquier glissé sous le manteau ne vienne calmer les ardeurs.
Il faut dire que dans les années 2000, cette même politique – moins puissante il faut l’avouer – a vu le Qatar obtenir sa Coupe du monde, mais se montrer incapable de stabiliser un championnat vite tombé en désuétude. Idem pour la période 2010, avec une Superligue chinoise débarquée en OVNI pour tout rafler, avant de disparaître aussi sec. En 2023, au tour de l’Arabie saoudite. Et si la déception de voir Karim Benzema terminer son parcours sous la chaleur du désert plutôt que celle des applaudissements devait prendre le pas, il ne faudra pas oublier l’extravagance de ce contexte. Car pour le reste, le terrain a suffisamment parlé.
Par Adel Bentaha