- France
- Ligue 1- 32e journée
- Troyes/PSG
Benjamin Nivet, sexy centriste
A Troyes, on n'a pas d'argent mais on a des idées. Et Benjamin Nivet, 36 piges et une carrière aussi élégante qu'une envolée de Rudolf Noureev, en fait partie. Le natif de Chartres a construit sa réputation dans l'axe du terrain. En numéro 10 à l'ancienne. Une espèce en voie de disparition. Contre le Paris SG, Nivet va devoir régaler la chique et convaincre qu'il peut encore enchaîner les prestations de haute volée.
« J’attends pas qu’ça tombe du ciel, si t’es pas N°10 à Paname, t’es la banane du siècle ! » , Élie Yaffa, dit Booba, dit le Duc de Boulogne, a toujours su parler – avec ses mots – de sa vision très manichéenne des meneurs de jeu dans le football. Honnêtement, Benjamin Nivet, passé à côté du titre de Duc de Bourgogne, galope toujours sur les prés de Ligue 1 avec un CV entrant parfaitement dans la définition lyrique de Booba. Sauf que Paname, Nivet, il s’en tape. Le joueur a préféré garder sa place de numéro 10 à l’ancienne. Un meneur de province quoi. Un type qui fait l’unanimité et dont personne n’a pourtant jamais vraiment voulu. C’est un peu le destin tragique de Benjamin Nivet. Formé à l’école de l’AJA, celle du beau jeu, Nivet n’entre pas dans le moule et doit s’exiler. Cette cicatrice auxerroise (15 matches en deux ans) ne s’est toujours pas refermée.
Depuis, Benjamin a entraîné un tour de France des préfectures : Châteauroux, Troyes, Caen et de nouveau Troyes depuis septembre. Le type avait largement le niveau pour jouer plus haut. Cela étant dit, il s’est fait une raison. « Je ne suis pas fataliste, mais je me dis que si les clubs plus huppés ne m’ont pas pris, c’est parce que je n’étais pas assez fort pour eux » balançait-il dans les colonnes du Parisien peu de temps avant Noël. Il faut dire que depuis ses débuts en professionnel, Nivet a dû passer son temps à prouver. Prouver qu’il pouvait être important collectivement. Prouver qu’il tenait la route. Prouver qu’il pouvait adapter son jeu aux exigences physiques du haut niveau. Avec son gabarit de chef de rayon Auchan, le numéro 10 de l’ESTAC a toujours été rangé parmi les moins forts physiquement. Le mec choisi en dernier pour aller au combat.
Le football c’est dans « l’axe du terrain »
A une époque où les armoires à glace aux pieds carrés sont présentes dans toutes les lignes, les gringalets au QI football développé n’existent plus. Jérôme Leroy et Yann Lachuer ont passé l’arme à gauche. Reste Nivet. Le survivant. Un joueur qui a toujours cherché à récupérer le numéro 10 dans les clubs dans lesquels il est passé. Un puriste. Alors quand on le voit jouer, on se régale. Il faut dire qu’il a des modèles intéressants. « A 5 ans, j’étais fan de Platini, et je me suis mis tout de suite au centre du terrainraconte-t-il à Ouest France en 2009. Jean-Marc Furlan m’a vraiment confié le rôle de meneur de jeu à l’ancienne, juste derrière les attaquants. Il m’a mis en valeur, j’avais beaucoup de liberté offensive. L’essentiel, c’est dans l’axe du terrain » . Voilà, dans le cœur du jeu. Là où tout se passe. A un âge où Éric Cantona profitait de sa retraite depuis un quinquennat, Nivet, lui, continue d’enchaîner les matches de très haut niveau (30 matches, 2448 minutes sur le pré, 9 buts et 2 passes dé). Et plutôt bien.
A l’heure de recevoir un Paris SG post Ligue des Champions, Benjamin Nivet et ses potes ont de quoi emmerder l’armada parisienne. Il ne faut pas se fier à leur 20e place. Troyes mérite mieux. Beaucoup mieux. Les hommes de Jean-Marc Furlan préfèrent envoyer du jeu, quitte à en prendre quatre dans le buffet – comme à l’aller au Parc des Princes, plutôt que de poser un autocar devant leur cage. Avec un mec comme Nivet dans son XI, Furlan peut-il faire autrement, d’ailleurs ? Bien que réservé et timide dans la vie civile, Nivet s’exprime plus facilement le ballon dans les pieds. Vision de jeu, pied gauche, pied droit, spontanéité, anticipation, placement, Nivet a tout pour lui.
Chat noir ?
Avec le temps, il s’est même adapté aux désidératas de la Ligue 1. On lui demande de défendre alors qu’il ne pèse que 70 kilos ? Pas grave. Il se transforme et s’exécute. Le jouer étend son registre, il défend mieux, ne se jette jamais et anticipe davantage. Forcément, son jeu contient une dimension physique non négligeable. Cramé, Nivet ne sert plus à rien. Il connait son corps comme un vieux coureur de classiques ardennaises. Même si 80% du football professionnel le trouve trop vieux, il trouve encore des mecs qui croient en lui, à l’image d’un Furlan plus philosophe qu’amateur de trophées.
Pourtant, il faut savoir qu’engager Nivet dans son effectif est souvent synonyme de lutte pour sa survie (trois descentes et deux montées en quinze ans. Aucun match de coupe d’Europe au compteur). Une manière de combattre le mal par la lumière. Avec Nivet, on est certain de voir de la romance. Du beau jeu. Et de l’intelligence. Sauf qu’à 36 ans, la retraite approche. Et les mecs de son espèce sont de plus en plus rares. Benjamin Nivet, c’est un peu le dernier des Mohicans. Un mec magique qui fait briller les petites taules perdues de province, loin des lumières de la capitale ou des grosses agglomérations. Mais comme dans le film de Michael Mann, c’est Daniel Day-Lewis qui tire la couverture alors que le vrai Mohican, c’est Russel Means. Comme quoi, nul n’est prophète en son royaume. Finalement, un Benjamin Nivet, ça se mérite. Et c’est surement là le plus beau trophée de Jean-Marc Furlan.
Par Mathieu Faure