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Benjamin Nivet : « Même pro, j’allais tous les week-ends voir des matchs de district »

Propos recueillis par Andrea Chazy et Maxime Marchon
13 minutes
Benjamin Nivet : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Même pro, j&rsquo;allais tous les week-ends voir des matchs de district<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Parrain de la deuxième édition du Vrai Foot Day, la première journée consacrée au football amateur, Benjamin Nivet a accepté de se poser pour faire le point sur sa longue et riche carrière. Et aussi pour clamer son amour au football des clochers, lui qui joue maintenant de temps à autre à l’Étoile sportive de Brou, le club de son enfance. Le niveau : Départemental 1 en Eure-et-Loir.

Dès la fin de ta carrière professionnelle, tu es retourné jouer dans le club de ton enfance à l’Étoile sportive de Brou. C’était quelque chose de naturel pour toi ?Je suis resté très proche de mon club d’enfance, où mes parents vivent. À chaque fois que je revenais chez moi, j’allais tout le temps au stade. Y aller, c’est l’occasion de se rappeler les petits tournois, les parents derrière la main courante, les pique-niques, les concours de tirs au but. Mon père était joueur de l’équipe première et entraînait aussi les jeunes lorsque je jouais. Alors, quand le président de Brou m’a proposé de revenir jouer de temps en temps, ça m’a paru naturel de dire oui.

Au cours d’une interview que nous avait accordée Cédric Barbosa, ce dernier nous expliquait que ce n’était pas forcément simple de rejouer au niveau amateur après une carrière en pro. C’est aussi ton avis ? Je savais que j’allais devoir m’adapter au niveau de Brou (Départemental 1 en Eure-et-Loir, N.D.L.R.). Ce que je ne savais pas, c’est que je n’allais pas avoir le niveau requis. Je me suis trouvé très faible. Tout est plus compliqué, c’est un autre monde pour nous qui avons été pros. Le ballon est dur et c’est compliqué de faire des transversales ou bien de le contrôler à cause de l’état du terrain. Je dois aussi anticiper ce que mes partenaires vont comprendre de moi. Au début, j’allais peut-être trop vite. Au point où je me suis même dit : « Vraiment, c’est la honte ! Ils ont un joueur pro dans leur équipe, mais il n’est pas au niveau attendu. »

Tu te considères un peu comme le porte-étendard de Brou ?Ouais, je suis assez chauvin. Ça fait sûrement partie de mon héritage familial. À l’époque, je jouais souvent contre Châteaudun, Dangeau… Cet esprit guerre de clochers, il se perd petit à petit. Il y a beaucoup de fusions de clubs amateurs aujourd’hui et nous, à Brou, on est fier de toujours pouvoir défendre le club de notre village en quelque sorte. Même chez les pros, lorsque je changeais de club, j’allais habiter dans un petit village. J’aime bien aller chez le primeur, boire un café. À Rosières-près-Troyes, où j’habite, c’est pareil.

Guy Roux me disait : Tu ne revois pas ta copine le vendredi avant le match, hein ? J’ai dû transgresser quelques règles.

Tu as commencé ta carrière à Auxerre où tu as été formé. Ton premier contrat pro te garantissait 15 000 francs, soit environ 2 300 euros. Comment ça fonctionnait les salaires avec Guy Roux ?À l’époque à Auxerre, il fallait prouver pour ensuite mériter un beau salaire. Il y avait cette culture club que l’on ne retrouve plus tellement en France, hormis à Lyon. Quand tu te déplaçais à l’Abbé-Deschamps, tu savais que c’était le 4-3-3, les ailiers qui débordent… Le jour où j’avais visité les installations, je me souviens avoir été invité dans le vestiaire des pros et Guy Roux connaissait mon nom. C’est ce qui m’avait poussé à choisir Auxerre, à 15 ans. Pour en revenir au mérite, Guy Roux avait su s’adapter à son époque. On était en 1996-1997, et j’avais eu mon contrat pro en stagiaire 2e année. Ça ne se faisait jamais, mais il y a eu l’arrêt Bosman. On a eu ce contrat un an et demi avant tout le monde, avec 5-6 autres joueurs qui étaient aussi en équipe de France, parce qu’il avait peur qu’on soit pris dès la fin de notre contrat stagiaire !

Tout le monde a un souvenir avec Guy Roux. Ce serait lequel te concernant ?Si je devais en sortir un, ce serait lorsque j’ai eu mon appartement. Je sortais avec la fille du médecin de l’AJA, qui est ma femme aujourd’hui. Elle faisait ses études à Dijon, donc elle n’était pas chez moi toute la semaine. Et le week-end, Guy Roux ne voulait pas que je la vois avant le match. Il me disait : « Tu ne la revois pas le vendredi avant le match, hein ? » J’ai dû transgresser quelques règles. (Rires.)

Le plaisir qu’a un amateur de jouer au football est-il le même chez les pros ?En pro, parfois, tu peux perdre cette notion de plaisir. À certains moments de ma carrière, on devait jouer plus défensif pour faire un résultat. J’ai retrouvé ce plaisir originel à 35 ans quand je suis retourné à Troyes en 2012. Ma carrière était faite, et je suis tombé avec un esthète du beau jeu comme entraîneur : Jean-Marc Furlan. Finalement, mes meilleures saisons, c’était peut-être à partir de 35 ans. On pratiquait un jeu en mouvements, tourné vers l’offensive et clairement, je me suis éclaté pendant cette période. Même si je n’ai pas fait des clubs qui font rêver en matière d’ensoleillement, je me suis toujours bien plu partout où je suis allé. J’ai joué jusqu’à 42 ans et peut-être que je n’aurais pas eu cette chance avec un autre parcours !

J’ai eu une touche avec Marseille pour être la doublure de Samir Nasri.

On dit souvent de toi que tu es le dernier vrai numéro 10 du foot français. Ça te fait quoi ?Plaisir. Moi, je suis numéro 10 parce que Michel Platini. J’ai une relation particulière avec ce numéro. D’ailleurs les saisons, très peu, où je ne l’ai pas eu dans le dos, je n’ai pas fait une belle saison. Je ne sais pas si ça a joué mentalement, quand tu es sur le terrain, tu ne penses plus au numéro que tu as dans le dos, mais force est de constater que quand je ne l’avais pas, j’ai moins bien joué.

Tu es superstitieux ?Pas de superstitions, mais des habitudes. Avant le match, pour bien le préparer, à partir du mercredi soir, je ne sortais plus. J’allais chercher les enfants à l’école, mais c’est tout. J’allais aux entraînements, je rentrais à la maison, je m’allongeais, j’allais aux entraînements, je rentrais et je m’allongeais. Et le jour du match, je mangeais souvent la même chose : une viande rouge avec des pâtes.

Sans sauce ?Juste un peu d’huile d’olive, sel, poivre. Et une tarte aux pommes en dessert. Avec ça, plus le numéro 10 dans le dos, c’était parfait. (Rires.)

As-tu eu des touches avec des clubs du haut de tableau en Ligue 1 ?J’ai eu une touche avec Marseille pour être la doublure de Samir Nasri. Ça ne s’est pas fait, car c’est resté au stade d’approche. Je suis finalement allé à Caen qui insistait pour m’avoir. J’aurais aussi pu signer à Auxerre, l’année où ils terminent troisièmes. Ils font la Ligue des champions derrière avec l’Ajax, le Real et le Milan, mais Caen ne voulait pas me laisser partir et j’étais encore sous contrat. C’est comme ça, c’est le jeu !

À la coinche, Michel Padovani se faisait appeler « Le King »…

C’était quoi ta plus grosse saison ?C’était en 2004-2005 à Troyes, car le club vivait une période difficile sur le plan financier. Un nouvel investisseur était arrivé, on avait accepté de baisser nos salaires, on était prêts à tout pour le club. Tout ça a créé une osmose. À cette époque-là, vu qu’on n’avait pas d’argent, on faisait beaucoup de bus et ça a créé des liens. On jouait au tarot, aux cartes, il y avait une vraie aventure humaine.

À Nantes, Stéphane Darbion, Jérôme Alonzo ou encore David De Freitas se faisaient des soirées poker.Stéphane Darbion m’a initié au poker ! Mais à Troyes, on jouait davantage à la coinche. On jouait dans le bus, mais aussi tous les après-midi après l’entraînement. Je peux vous dire qu’on était des vrais coincheurs. Il y avait Raphaël Cáceres, Erwin Zelazni, Matthieu Saunier, Michel Padovani qui se faisait appeler « Le King » … C’est des supers souvenirs.

Tu évoquais tout à l’heure l’identité de club, notamment le 4-3-3 auxerrois. Avec le recul, est-ce que ce n’est pas aussi à cause de ce système que tu n’as pas percé dans l’Yonne ?Exactement. On jouait en 4-3-3, marquage individuel, et j’étais l’un des deux numéros 8. Il y avait un triangle avec un « six » et deux « 8 » et, défensivement, il fallait suivre son joueur partout. J’avais 15 ans et c’était la première fois que l’on me demandait cela. Physiquement, il fallait être fort, et je me suis énormément développé grâce à cela. Le revers de la médaille, c’est que ça demandait beaucoup d’énergie et que je ne pouvais pas ensuite pleinement m’exprimer offensivement.

Ta vision du jeu, tu l’as acquise là-bas aussi ? Ma vision du jeu, je l’ai acquise un peu avant. J’étais petit et toujours surclassé. Si je gardais la balle trop longtemps, les plus grands me la prenaient. Donc il fallait tout de suite la donner.

Quand est-ce que tu as senti qu’on exploitait totalement tes qualités naturelles ?La première fois, ça a été avec Jean-Marc Furlan. J’avais déjà 28 ans, j’avais perdu beaucoup de temps. Il m’a mis meneur de jeu et a dit au groupe : « Tous les ballons passent par lui. » Ça a été mon bonheur, là où j’ai vraiment explosé. C’est un amoureux de la création offensive, du jeu de passes, du jeu en mouvements. Je corresponds parfaitement à ce qu’il attend, l’osmose était évidente. Aujourd’hui, on a moins besoin de joueurs comme moi, car on est davantage sur un football de destruction.

En voiture, j’analyse tout. Quand j’arrive sur un rond-point, j’ai tout analysé, je sais déjà où je vais passer. Ma femme croit toujours que je vais avoir un accident.

Comment tu faisais quand tu jouais contre ce genre de club ? C’était quoi la solution ? On a souvent réussi en L2, car on adorait jouer contre des défenses regroupées. Après, en Ligue 1, le niveau était au-dessus. On s’exposait trop, on se faisait contrer. On se faisait prendre à notre propre jeu. J’aurais bien aimé voir Jean-Marc Furlan avec une équipe de L1 de haut de tableau, avec un budget supérieur. J’aimais bien avoir des discussions football avec lui. Il avait une grosse culture foot et plus largement une grosse culture générale.
Le canevas de Furlan, c’était quoi ? « Donnez la balle à Benjamin Nivet et il s’occupe du reste ! » (Rires.) Non, c’était un peu plus compliqué que ça. Il y avait beaucoup de jeu à trois, beaucoup de dédoublements, des passes croisées, des trois contre deux ou des quatre contre trois que l’on travaillait énormément, à vide, sans ballon, pour que ce soit huilé.

Tu as un but en tête qui illustrerait ça ? Oui, Troyes-Châteauroux, le but de Stéphane Darbion. J’ai remis il y a pas longtemps une action sur mon Instagram, en hommage à Stéphane, qui prend sa retraite.

Les vestiaires, l’odeur du camphre, la bière après où on refait le match, c’est toutes ces choses-là qui me plaisent dans le foot amateur.

Xavi expliquait dans une interview pour So Foot que sur le terrain, au moment de faire des passes, il avait des flashs. C’est souvent difficile de mettre des mots sur des émotions, mais chez toi, il se passait quoi ? J’avais lu cette interview, elle était géniale. Il disait notamment que lorsqu’il entrait dans une pièce, il analysait toujours où étaient placés les objets, les chaises, tables, etc. Moi aussi, j’ai un truc : en voiture, j’analyse tout. Quand j’arrive sur un rond-point, j’ai tout pris en compte et je sais déjà où je vais passer. Ma femme croit toujours que je vais avoir un accident. Des fois, c’était à deux doigts, car j’ai anticipé des trucs que le mec ne pensait pas que je pourrais anticiper. C’est marrant, mais je vois toutes les infos avant d’arriver. Je me rends compte que je prends plus d’infos qu’un conducteur lambda, j’ai cette vision périphérique qui était ma force sur le terrain.

Steve Savidan, parrain de la première édition du Vrai Foot Day, racontait sortir souvent après les matchs. Toi, on t’imagine sortir, mais sans excès. On a raison ? Il m’est déjà arrivé quelques excès. Mais toujours bien choisis. Mes excès me faisaient du bien. Certains joueurs ne sortent jamais, mais ils ne sont pas bien dans leur tête. Moi, j’avais besoin de décompresser. Souvent, j’allais boire un petit verre avec ma femme et des amis venus me voir au stade. On allait au resto, et s’ils avaient envie de sortir ensuite, ça ne me dérangeait pas, car je savais que j’avais une bonne récup’ et que je maîtrisais bien la chose. C’était habituel après le match à domicile de faire quelque chose.

Un excès chez Benjamin Nivet, c’est 3 verres et on rentre à 2h du mat ?Non, ça peut être rentrer à 6 heures du mat enivré. Tard donc, mais pas énormément de verres, car physiquement, je ne tiens pas l’alcool.

J’imagine que les fêtes pour les montées en Ligue 1 ont été mémorables ? Le foot amateur et le foot pro se retrouvent dans ces fêtes-là. C’est l’accomplissement d’une saison. Ce sont des moments de carrière que tu n’oublies pas. Tu te souviens parfois plus des souvenirs de fête que de certains matchs. Il n’y a plus de retenue. On est au même niveau quand on libère cette joie. On n’a plus à penser, à se dire qu’il faut faire attention car si on boit trop, on peut se blesser dans deux jours. Quand tu es champion ou que tu montes, la saison est finie et tu peux te lâcher.

Tu penses à quelle fête en particulier ? Celle où tu te retrouves dans la fontaine du centre-ville de Troyes tout habillé. Et peu importe qui te voit, car tout le monde sait que tu es champion. Alors que si on voit Benjamin Nivet à 5h du mat dans la fontaine du centre-ville de Troyes à un autre moment de la saison, ça peut être plus compliqué. C’est là, la différence entre le foot pro et amateur. Tous tes gestes sont épiés.


Qu’est-ce qui t’a plu dans le fait de devenir parrain du Vrai Foot Day ? On vient tous du milieu amateur. C’est un juste retour des choses que nous, professionnels, rendions aux bénévoles ce qu’ils nous ont donné au départ. Et j’ai toujours été proche du milieu amateur partout où je me trouvais. À Caen, j’allais voir les matchs à Douvres-la-Délivrande, c’était un petit village. À Auxerre, c’était St-Bris-le-Vineux, un petit village qui jouait en Départemental 1. C’était une bande de potes et tous les dimanches midi, j’étais avec eux. J’allais tout le temps les voir, tout le monde sait que j’en suis resté proche. Donc ça me donne envie de participer au Vrai Foot Day. Surtout que j’avais vu Steve Savidan participer, l’année dernière, à ce match entre les deux Chapelles. Et moi, je suis pour ce retour au football de clocher.

Qu’est-ce qui te plaît autour d’un match amateur ? Un peu tout. Le folklore. Je l’ai vécu : les mecs qui jouaient avec de fausses licences. Tu arrivais, il fallait donner son nom et son prénom. Tout le parfum du match amateur, avec des terrains particuliers, les vestiaires, l’odeur du camphre, la bière après où on refait le match, c’est toutes ces choses-là qui me plaisent. La Coupe de France, les premiers matchs contre des clubs amateurs, c’était casse-pipe, on ne savait pas quel traquenard on allait avoir, mais j’adorais.

Dans cet article :
Deux fois mené au score et deux fois revenu, Auxerre frustre Lens
Dans cet article :

Propos recueillis par Andrea Chazy et Maxime Marchon

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