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Benjamin Nivet : « Je suis l’André Agassi de l’Aube »
À peine remis de ses émotions avec le titre de l’ESTAC et le maintien du Stade Malherbe de Caen, Benjamin Nivet s’apprête à vibrer pendant deux semaines au rythme des petites balles jaunes. L'ancien milieu de terrain, qui a écrit une page d'histoire du tennis aubois en passant 13 tours au tournoi de Troyes en 2019, parle service-volée, Yannick Noah et revers à deux mains avant le début de la quinzaine. En se mouillant, forcément, sur la question du GOAT.
Quand a commencé ton histoire avec le tennis ?Très jeune. À 2-3 ans, j’avais déjà une raquette dans la main parce que mon père et ma grande sœur jouaient au tennis. Dans mon village, à Brou, les terrains de tennis étaient à côté de ceux de foot. Du coup, quand mon père allait jouer au foot, je le suivais au foot, et quand il allait jouer au tennis, je le suivais au tennis.
Qui était ton idole sur le circuit à l’époque ?Yannick Noah ! En 1983, j’ai 6 ans quand il gagne Roland. Je n’ai pas trop de souvenirs de l’époque, mais j’ai revu pas mal d’images après coup. Il donnait des émotions, c’est ça que j’aimais chez lui. Il donnait beaucoup sur le terrain, il offrait du spectacle, c’était un jeu plaisant à regarder. Et j’appréciais l’homme aussi. C’était un tout. Noah était mon joueur préféré avec Mats Wilander. J’ai l’impression de jouer un peu comme lui. (Rires.) Je me retrouvais un peu en Wilander : j’ai un peu le même coup droit, le revers à deux mains, et j’aime bien rester au fond du court. J’adorais quand il faisait son lob en revers, l’adversaire montait au filet, et lui, il avait son petit lob à deux mains, magnifique. Un jeu particulier que j’appréciais, moins offensif que d’autres, mais très technique et très intelligent.
C’est une description qui ressemble aussi au jeu de David Ferrer.Exact, c’est un peu le jeu espagnol. Sur terre battue, ils sont souvent en fond de court, et David Ferrer était un joueur qui ramenait beaucoup.
On peut dire que Benjamin Nivet est le David Ferrer de l’Aube ?Non, non, non. Je suis l’André Agassi de l’Aube plutôt… par la coupe de cheveux ! (Rires.)
Tu joues régulièrement ?Une à deux fois par semaine en temps normal, avec le TC Troyes. Je prends un cours collectif une fois par semaine et j’ai pris aussi quelques cours individuels pour travailler un peu la technique. Je m’inscris aussi à des tournois dès que j’en ai la possibilité parce que j’aime bien avoir de la compétition. Quand j’étais sur Téléfoot, c’était un peu plus compliqué de jouer régulièrement parce que j’étais souvent pris. Ça dépend des périodes, là j’ai un petit peu plus de temps. Ils viennent de refaire la terre battue et je me sens très à l’aise sur cette surface, c’est celle que je trouve la plus agréable à jouer.
Tu as encore un bon jeu de jambes ?Ouais, mais en revanche, il faut l’entretenir parce qu’on le perd vite. C’est vrai que quand les autres jouent contre un footeux, ils sont toujours là à dire « il va tout ramener » , « il va courir partout » . Déjà, tu prends un petit avantage psychologique parce qu’en face, ils savent qu’ils vont devoir faire les points, parce qu’on a tendance à tout ramener.
C’est quoi ton geste préféré ?J’aime bien le revers à deux mains, surtout quand mon adversaire monte au filet et que je peux faire un passing. C’est mon coup préféré.
Et le service-volée ?Très rarement. J’ai un très mauvais service, c’est juste une mise en jeu. C’est vraiment mon point faible. Si je veux progresser, ça passe par un meilleur service parce que si je rate la première, la deuxième est très courte, donc je me fais souvent attaquer. Ça fait partie des choses que j’essaie de travailler pendant mes cours. C’est une technique à apprendre, au niveau de la prise de raquette par exemple. Je n’ai pas appris tout ça, tout est venu naturellement, j’ai pris ma raquette et j’ai joué au tennis. Même si mon père était là pour me donner quelques conseils, prendre des cours, ça aide techniquement.
Tu avais joué avec Lionel Mathis il y a quelque temps ?Ouais, j’avais été invité à un tournoi de l’AJA, l’un de mes premiers tournois, et il m’avait battu. C’est un bon joueur, on avait fait un beau match, mais ce jour-là, il était meilleur que moi. On n’a pas rejoué depuis, ce serait sympa de s’en refaire un. Le virus nous a un peu freinés, mais on fera le match retour à Troyes.
Il accepterait un match retour alors que ta réputation te précède depuis ton tournoi de Troyes ?(Rires.) Je ne sais pas, j’espère qu’il aura un peu plus peur qu’au début. Je démarrais tout juste et là, je pense avoir un peu progressé. Je pense que lui aussi, il prenait également des cours. Je n’ai pas regardé son classement en ce moment, mais à l’époque, il était 15/1. Moi, je suis monté 15/1, donc ce serait intéressant de se rencontrer maintenant pour voir comment on a évolué.
C’est quoi le plus fort entre gagner 13 titres à Roland et passer 13 tours à Troyes ?(Rires.) Le plus fort, c’est les 13 titres de Nadal à Roland, sans problème. Ce que fait Nadal, c’est incroyable. Énorme respect, je ne sais pas s’il sera battu un jour. C’est vrai que quand j’ai commencé à passer les tours, on m’a dit qu’il y avait un record à battre, donc on se prend au jeu et on ne se fixe plus de limites. C’est marrant parce que je pensais que j’allais gagner jusqu’à 15/4, et ça a continué 15/3, 15/2. J’ai perdu à 15/1, mais je me suis pris au jeu de ce record.
Après ce tournoi, tu avais dit que tu essayais aussi de faire disjoncter l’adversaire. Comment tu t’y prends ? Avec des amorties ?Entre autres. Des fois, j’entends l’adversaire dire que ce n’est pas du tennis, parfois quand on use un peu de l’amortie, ils n’aiment pas trop, mais c’est un geste que j’aime bien faire, surtout sur terre battue où c’est vraiment efficace. La grosse différence, c’est que mentalement, on a beaucoup de vécu avec notre passé de joueur professionnel, ça permet de mieux gérer les situations. Moi, je suis très concentré sur mon jeu, je ne pense pas au point que je viens de rater ou au jeu que je viens de perdre. J’ai peut-être aussi cet avantage-là d’avoir fait une carrière pro pour être vraiment dans ma bulle et rester focus, parce que ça peut faire disjoncter de mener 40-0 et de perdre un jeu.
Tu te fixes des objectifs en matière de classement ?Ouais, il va falloir que je progresse, mais j’aimerais bien passer seconde série, aller chercher au moins 15 et après, si je peux aller au moins à 5/6, ce serait sympa. C’est un classement qui m’a toujours un peu trotté dans la tête.
La question inévitable : qui est le GOAT entre Federer, Nadal et Djokovic ?Bah, Federer ! Pour moi, c’est celui qui a le plus de classe et de talent. Ce sont trois monstres, mais c’est celui que je préfère. C’est peut-être une question de goûts, comme entre Messi et Ronaldo. Roger est celui qui me donne le plus d’émotions et le plus de plaisir à le regarder jouer. Quoi que Nadal et Djokovic fassent, Roger sera toujours le meilleur de l’histoire.
Tu crois en lui pour ce Roland-Garros ?Je crois toujours en lui. C’est le cœur qui parle, mais je sais que ce sera difficile pour lui. Nadal, Djokovic, Tsitsipas, Rublev… Il y a du monde. Avec sa blessure, il a très peu de matchs dans les jambes. En plus, c’est Roland, sur terre battue. À Wimbledon, ce serait différent. Là, forcément, l’espoir n’est pas grand, mais à chaque compétition, quand Roger joue, j’y crois à fond.
Tu es déjà allé à Roland ?Ça fait un petit moment que je n’y suis pas allé, mais avant, j’aimais bien, ça tombait pendant les vacances. J’y allais surtout la première semaine parce qu’il y avait plein de matchs, ça me permettait d’aller voir les joueurs à l’entraînement et d’être vraiment proche d’eux. Si mon emploi du temps le permettait, je prenais un ou deux jours pour aller à Roland chaque année. Je me rappelle que j’avais vu Roddick contre Monfils. Roddick était numéro 6 mondial à l’époque, il jouait en fin de journée sur le Lenglen, et Monfils l’a fait craquer. Avec un Français, c’est là où il y a les meilleures ambiances. Monfils avait fait le show sur le terrain, Roddick commençait à péter les plombs, il voulait que le match s’arrête parce que la nuit allait tomber. C’est un match qui m’a marqué.
Tu es plutôt le spectateur tranquille ou celui qui crie ?Je suis parmi les spectateurs plutôt tranquilles. Je me lève, j’applaudis, je pousse un petit peu quand il y a un Français, mais je ne suis pas celui qui va hurler dans le stade. On entend parfois certains qui crient entre les points, moi je n’étais pas de ceux-là.
Même pas un petit « Allez Roger » sur le Chatrier ?Ah si, bien sûr ! Ça, c’est sûr que j’ai dû le dire. (Rires.) Federer, c’est mon idole. C’est un joueur que j’apprécie par le talent, le charisme qu’il dégage, la force tranquille. Je suis vraiment fan, c’est un grand plaisir de l’avoir vu jouer à Roland. C’est l’année où il gagne, en plus. C’était le même jour que Monfils en fait. J’avais passé ma journée sur le Chatrier et à la fin, comme beaucoup de gens partaient, j’avais pu rentrer sur le Lenglen pour voir Monfils-Roddick. C’était ma meilleure journée à Roland ! J’étais comme un gamin dans les tribunes, surtout quand il y avait un joueur dont j’étais plus fan.
Qui est ton favori dans le tableau masculin ?Si j’avais une petite pièce à mettre, je la mettrais sur Tsitsipas. Forcément, il n’est pas le favori numéro 1. Nadal reste un cran au-dessus de tout le monde, il est toujours présent dans les grands rendez-vous sur terre battue, mais ça me plairait que Tsitsipas crée la surprise, c’est un joueur que j’aime bien. J’espère aussi qu’on aura un Français qui nous fera vibrer, comme Hugo Gaston l’année dernière. On attend un successeur à Noah, je ne pense pas que ce sera pour cette année, mais au moins, qu’il y en ait un qui nous fasse rêver.
Tu as un petit chouchou ?Jo-Wilfried Tsonga. C’est sûrement son dernier Roland-Garros, il fait une très belle carrière. C’est dommage, il n’est pas passé loin d’un Grand Chelem au pic de sa forme. Il est tombé sur du très lourd, trois très grands champions ont pratiquement tout raflé et n’ont laissé que des miettes aux autres. C’était peut-être le Français le plus proche d’aller chercher un titre.
Et chez les femmes ? Simona Halep est blessée, je ne sais pas trop ce que vaut (Naomi) Osaka sur terre battue, alors je dirais (Ashleigh) Barty. J’aurai la chance d’assister aux demi-finales dames avec des amis troyens. Ce serait top d’y voir une Française. C’est souvent ouvert chez les femmes, on voit souvent des surprises. Pourquoi pas Caroline Garcia !
Propos recueillis par Quentin Ballue