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Benjamin Moukandjo, le Lion infatigable
Terre battue, palmiers, paludisme, échecs et blessures à répétition, Bretagne, crocodiles et puis meilleur buteur de Ligue 1… Non, le chemin emprunté par Benjamin Moukandjo n’est pas des plus simples. Ni des plus rapides. Mais il peut au moins l'affirmer sans détour : il n’a pas démérité de sa place.
Douala, capitale économique du Cameroun. C’est dans le port de la ville que transite une grande majorité des marchandises du pays. En plein cœur de la ville, à l’est des affaires, la Cité des Palmiers est un mélange de ciment, d’habitations fragiles, de terre et de faits divers. Cet été, d’importantes inondations ont mélangé le tout. Au final, le bilan de la catastrophe est de trois morts et d’environ 1500 familles sinistrées. Et c’est ici que Benjamin Moukandjo a grandi. Dans une famille de cinq enfants – c’est le quatrième en partant du plus grand -, d’un père conseiller financier et d’une mère au foyer. C’est ici aussi qu’il tâte pour la première fois le cuir. Sur un terrain fortement stabilisé du quartier : « Benjamin est issu d’une famille modeste et pieuse, décrit Michel Kaham, l’homme qui a découvert son talent. Comme tous les enfants doués de son âge, il jouait au foot pour se distraire. Sans plus. C’était juste un passe-temps pour lui. » Mais Michel le convaincra finalement que le foot pouvait être bien plus que cela.
De la terre battue aux « terrains gazonnés »
À la fin des années 90, alors que Benjamin n’a qu’une dizaine d’années, la Kadji Sports Académie (KSA), le centre de formation où est passé notamment Samuel Eto’o, organise des détections sur l’ensemble du territoire. Et en arrivant à la Cité des Palmiers, Michel Kaham fait une fixette sur un petit bonhomme : « À cet âge-là, il avait déjà l’instinct du buteur, ce qui a toujours été son point fort. L’envie de marquer, l’envie d’éliminer son adversaire toujours dans le sens des buts adverses. » C’est suffisant pour lui donner l’envie. Reste maintenant à convaincre ses parents de le laisser faire un essai. Au site internet des Merlus, il confie cet été : « Mes parents ne comprenaient pas qu’à 11 ans, on pouvait sacrifier les études pour le football. » Mais avec le programme que proposait alors la KSA, « stades gazonnés, internat, salles de classe, équipements vidéo, piscine et autres » , difficile de dire non.
À onze ans donc, Benjamin rejoint l’internat. Conscient de sa chance, il s’applique en cours, passe un peu de temps avec ses nouveaux amis, dont Nicolas Nkoulou ou encore Georges Mandjeck, mais se concentre pleinement sur son jeu. Son plus grand chantier, c’est le physique. Benjamin est percutant, dynamique, efficace, mais manque clairement de fond. La première récompense arrive pour lui quatre ans après après avoir posé ses bagages. Après de grosses performances lors d’un tournoi minimes en France, il est surclassé. Tout comme ses deux nouveaux amis. Ensemble, ils affrontent l’équipe première du centre : « Et ce jour-là, il marque un superbe but face au redoutable gardien du centre. Après le match, il fut porté en triomphe par tous les jeunes internes. Il avait ainsi définitivement gagné sa place dans l’élite de la KSA. »
Road trip et paludisme
L’heure pour Michel Kaham d’emmener les trois compères sillonner l’Europe à la recherche d’un club. Première destination, le FC Nantes. Benjamin fait forte impression : « Je pensais que l’affaire était pliée. Mon ami Serge Le Dizet, avec qui j’avais joué au Stade quimpérois en 1977, dirigeait les pros. Le test était concluant, et d’ailleurs, il avait ébloui tous les stagiaires du centre de formation nantais qui ont décidé de lui offrir une paire de godasses en le suppliant de revenir. Mais finalement, quelque chose a cloché dans les négociations. » Direction Valence à présent : « Là encore, il fait un tabac. » D’ailleurs, le quotidien sportif local en fait, selon Michel, sa Une : « Une interview dans laquelle je déclarais que j’étais celui qui avait détecté Samuel Eto’o, qu’ils avaient des similitudes dans la finition et que Benjamin marchait sur ses traces. La presse locale a joint Eto’o au téléphone, il jouait alors en Espagne, et il le leur a confirmé. »
Convaincus de leur en avoir mis plein les yeux, Michel décide d’écourter le road trip. Un dernier arrêt à Majorque et retour au Cameroun. Mais encore une fois, les négociations échouent : « Les dirigeants de Valence viennent à Douala dans l’intention de parapher le contrat, c’était quand même un peu costaud pour un jeune en formation. Mais malgré mes tractations profondes pour convaincre les représentants de la famille de Benjamin à être souples afin de donner une chance à la signature du contrat, ils feront échouer la rencontre. » Difficile à avaler pour Benjamin. Surtout qu’il est sélectionné pour la CAN Junior à ce moment-là. Et la déception est telle qu’il passe à côté de sa compétition. D’ailleurs, Patrick Rampillon, recruteur à Rennes, ne le remarque pas. Il n’a d’yeux que pour son copain Georges Mandjeck : « J’avais dû insister fortement pour que Rennes accepte de le voir, ça n’a vraiment pas été facile. » Et puis comble de la poisse : « À l’approche du départ, il souffrait du paludisme, donc il était très affaibli. »
La reconquête corse
Mais voilà, comme toujours, Benjamin s’accroche. Il arrive au Stade rennais sur la pointe des pieds. Michel le confie à un agent de confiance, Nana Maxime, le même qui s’occupe déjà de Nicolas Nkoulou et de Georges Mandjeck. Mais son séjour en Bretagne ne dure pas. Benjamin se retrouve encore une fois au pied du mur. Et c’est à ce moment qu’intervient Jean-Michel Cavalli, alors entraîneur des Crocodiles de Nîmes : « En région parisienne j’avais vu un match de Sannois Saint-Gratien, où il a été prêté, et ce garçon m’a interpellé, même s’il s’est blessé ce jour-là. Et quelques mois après, je l’ai recruté, quand j’ai su que Rennes le libérait. » Jean-Michel est un petit gabarit, 1m68, barbe mal rasée et corse d’origine, mais est habité par une ambition proportionnellement inverse : « Pour moi, il était question de retrouver l’élite avec ce club parce qu’il est mythique. Et pour ça, je m’étais appuyé sur sept ou huit joueurs majeurs et Benjamin faisait complètement partie de ce projet. »
Positionné sur le côté alors qu’il préfère l’axe, Benjamin réussit tout de même à se faire un nom. Alimenté par le meilleur des stimulants. La confiance : « Durant son séjour à Nîmes, je l’ai suivi de près. La première année, il a été obligé de faire un gros travail physique, il avait des gros problèmes musculaires. Ses muscles, c’était des fibres de cristal. D’ailleurs, si Rennes l’a abandonné, c’est parce qu’au départ, c’est un garçon qui était beaucoup sujet à blessure. » Finalement, Benjamin réussit à se caler sur les bons rails. Il quitte Nîmes pour Monaco, puis Nancy, Reims et aujourd’hui Lorient. Une belle étape. Mais certainement pas la fin du voyage. Car comme l’affirme Djibril Cissé dans son dernier bouquin : « Un Lion ne meurt jamais. »
Par Ugo Bocchi