- Vendée Globe 2024
Benjamin Ferré : « Il n’y a pas encore de tribunes autour de l’Antarctique »
Le 10 novembre, Benjamin Ferré sera au départ de son premier Vendée Globe aux Sables-d’Olonne à bord de l’Imoca Monnoyeur-Duo for a Job. L’aventurier de 34 ans, fan de foot et du Stade rennais, tentera de suivre de très loin les résultats des Rouge et Noir pendant la course.
Commençons par le début : tu es né à Rennes à la fin des années 1980. Comment est venue ta passion pour le foot ?
C’est mon premier sport car je suis arrivé très tard dans la voile, à 27 ans. Je venais plutôt du monde de l’aventure, de l’exploration. Plus petit, j’ai fait de l’escrime, du tennis, et donc surtout du foot. À Rennes, j’étais aux Cadets de Bretagne, on avait une super équipe avec un coach génial. Je voulais être meneur, mais j’étais latéral droit, un peu comme Romain Danzé. (Rires.) J’étais le seul de la famille à suivre le foot, c’était le sport de la cour de récré. En CM2, j’avais le fils de Paul Le Guen dans ma classe, il nous emmenait visiter La Piverdière, les vestiaires, ça marque. Il se ramenait même avec des vrais cartons rouges à l’école pour les distribuer pendant les matchs ! (Rires.)
Comme beaucoup de personnes de ton âge, tu développes une passion pour Zidane.
J’ai rapidement déménagé à Marseille quand j’avais 10-11 ans et dans ma chambre, là-bas, j’avais un mur Zidane. T’avais plus un centimètre de disponible. J’avais même réussi à retrouver un maillot de l’AS Cannes. Son style me touchait. Je m’entraînais à avoir des conduites de balle extérieur du pied et je passais des heures dans mon garage à faire des roulettes. J’avais même écrit une lettre à Zizou pour savoir s’il ne voulait pas me recevoir à Madrid ! (Il se marre.)
Une lettre, carrément. Comment tu t’y étais pris ?
En fait, il habitait dans la même résidence qu’une pote de ma marraine à Madrid. J’avais fait en sorte qu’elle récupère ma lettre en lui demandant de la glisser dans sa boîte aux lettres. Je crois que je lui avais demandé de faire une célébration pour me dire qu’il l’avait bien lue, c’était avant un amical de la France auquel je devais aller. Je m’attendais à ce qu’il me fasse un signe, mais non…
Et donc même en déménageant à Marseille, tu es resté fidèle au Stade rennais ?
Je n’ai pas cédé à la tentation de changer de club. J’ai joué au SMUC (Stade marseillais Université Club) et, c’est marrant, là-bas quand tu ratais un contrôle ou une passe, on disait : « T’es khanez ! » (Il prend l’accent et se marre.) Je venais m’entraîner avec mon maillot du centenaire, j’avais aussi le maillot blanc avec les hermines floqué Gourvennec. Je me souviens de Bernard Lama, quand il jouait encore en pantalon, de Shabani Nonda, Alexander Frei… J’ai été de toutes les défaites en finale, notamment contre Guingamp. C’était horrible. En 2019, mes potes m’avaient interdit d’aller au stade, c’est vrai que je n’ai pas souvent vu le Stade rennais gagner… (Rires.) J’ai un peu conjuré le sort, c’était fou de gagner contre le PSG avec ce scénario. Tiens, regardez, on a même un groupe WhatsApp qui s’appelle SRFC Bourigeaud. (Il montre la conversation sur son téléphone.)
Aller au stade, c’est quelque chose qui te parle ?
Ça ne fait pas si longtemps que j’ai commencé à y aller plus régulièrement. J’ai fait Naples la saison dernière pour le réveillon, dans le kop. J’étais à Rio en 2016 pour la Coupe du monde, aussi. Je n’ai jamais été abonné à Rennes, mais j’avais un oncle qui tenait un Super U, donc il avait tout le temps des places. Mon premier match, c’est une victoire 2-1 contre Nantes, ça tombait bien.
Le foot, c’est un bon moyen de passer le temps quand on est seul sur un bateau ?
Tout est hyper sécurisé, il ne faut pas consommer de la data inutile, mais j’ai demandé à avoir accès à un site sportif pour avoir les scores. Sur le retour de la route du Rhum, il y avait plus de temps et j’ai pu suivre la demi-finale de la Coupe du monde entre la France et le Maroc. Ce qui passe bien en mer, c’est la radio. C’est sûr que s’il y a des matchs importants de Rennes pendant le Vendée, je vais essayer de me les faire. Ça permet aussi de sortir un peu de l’univers du bateau. Les défaites ne m’atteignent pas, mais les belles victoires peuvent donner un regain. Sinon, je suis passé chez Panini, ils m’ont offert un album et une pochette par semaine de courses. Il y en a une par sac de nourriture ! Eric Bellion m’avait aussi donné comme conseil de me prévoir mon petit film ou ma petite série du dimanche. Lors de la dernière course, celle sur Beckham m’avait donné la patate, la rage de vaincre, sur le côté dépassement de soi.
C’est quoi l’équivalent d’une bronca du public pour un homme en mer ?
Il n’y a pas encore de tribunes autour de l’Antarctique, donc à ce niveau, on est tranquilles. (Rires.) On est quand même dans un sport qui n’a pas cette virulence et qui se passe sur le temps long. Je ne pense pas qu’un marin se soit déjà fait huer, ça n’arrive jamais de remonter le chenal et de se faire siffler. (Il se marre.) En revanche, l’énergie et l’euphorie de la communication avec les 300 000 personnes autour du chenal, tu retrouves un peu l’ambiance d’un stade.
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On parle beaucoup ces derniers temps du désintérêt du public pour le foot. À quoi ressemble le plaisir de consommer du foot après une longue course en mer ?
C’est toujours pareil : la course au large, ça fait vivre des choses extrêmes, et derrière, on apprécie plus facilement les moments amicaux, la famille et le foot. Quand on se coupe de cet univers, on savoure plus facilement un match au Stade rennais avec quatre potes. La privation amène la rareté et donc la qualité du moment. Je kiffe de retrouver les émotions simples d’un stade. La joie d’un but, la communion, c’est ouf à vivre. Ta première douche après deux semaines de mer, c’est pareil : ça devient extraordinaire.
Dans votre sport, on a l’impression que c’est beaucoup de voyages et d’aventures, quand les footballeurs ont souvent du temps libre à passer chez eux. Ça t’arrive de te poser sans rien faire ?
Je joue un peu à FIFA, comme eux. (Rires.) Déjà, ce sont des sports très différents de par la notoriété et l’argent. Le vainqueur du Vendée Globe doit gagner 50 000 euros, c’est ce que gagnent beaucoup de joueurs de Ligue 1 en un mois. Ça donne un côté assez sain, mais aussi moins encadré et moins protégé. La magie de ce sport, c’est aussi qu’il est tellement complet. Il faut être bon en météo, en stratégie, en prépa physique, mentale, mais aussi en informatique, savoir régler tes voiles, comme être bon en mécanique, en hydraulique, en électronique, etc. Il faut aussi apprendre à communiquer, convaincre des sponsors, car on monte nos projets nous-mêmes. Le dernier Vendée Globe a eu un engouement extraordinaire, ça entraîne plus de moyens, donc plus de pression et de compétition. Ça reste des univers très différents, même si la préparation physique se professionnalise. Par exemple, j’ai pu faire plusieurs stages au centre de Kerpape à Lorient, où sont aussi beaucoup de joueurs de foot.
Il y en a beaucoup parmi les skippers qui sont fans de foot ? Jean Le Cam, par exemple, qui a réalisé la préface de ton livre À toute allure ?
Non, mais il aime bien regarder. J’ai habité chez lui pendant trois mois et je l’ai déjà surpris à regarder des matchs de l’équipe de France. On imagine mal Jean Le Cam se mater son petit match de foot. (Rires.) Je ne connais pas beaucoup de skippers fans de foot, le chambrage me manque un peu d’ailleurs. Les marins sont quand même rarement des footeux.
Comment devient-on proche de quelqu’un comme Jean Le Cam. Ce sont des histoires de rencontres. On s’est bien entendus. Il pensait qu’il n’était pas du tout pédagogue, mais en fait il l’est énormément et il est attaché au partage entre les générations. C’est ce que je suis allé chercher avec lui. Ce n’est pas du tout un vieux loup de mer renfermé qui fait son truc. Il fait pile le double de mon âge, et ça a bien marché.
Tu as déjà eu l’occasion d’échanger avec des personnes du foot ?
Il n’y a pas très longtemps, j’étais invité à la projection du documentaire Invincibles sur la saison d’Arsenal et j’ai pu discuter avec Arsène Wenger. Il y a plein de choses à prendre dans le foot sur la partie esprit d’équipe. Dans la course au large en solitaire, tu as l’impression qu’on est seul, mais 90% du projet se fait en équipe. Nous, on est onze, comme une équipe de foot, mais les grosses écuries, ils sont 20 ou 25. Le truc qui m’a marqué, c’est la sérénité dans les moments de doutes. Ils perdent 2-0 à la mi-temps, et tu sens une sérénité collective dans le discours de Wenger : en fait, vous savez faire. Les derniers mois avant le Vendée Globe, c’est ce que tu veux dans ton équipe. Tu leur confies ta vie, en quelque sorte, et chaque détail compte. Il faut une rigueur absolue et une très grande confiance. J’avais pris des notes sur ce docu sur les messages à faire passer.
Quel joueur aimerais-tu rencontrer ou, mieux encore, avec lequel tu rêverais de naviguer ?
Un coach plus qu’un joueur, je crois. (Il réfléchit.) Zizou quand même, ce serait cool, même si je ne sais pas s’il est trop causant. On ferait une bonne manœuvre, il dirait : « C’est bieng. » (Rires.) Sinon Pep Guardiola, Carlo Ancelotti… Ça me fascine de plus en plus, les entraîneurs dans le foot.
On parlait d’aventure, tu peux nous raconter celle que tu as vécue en 2015, quand tu as voulu traverser l’Atlantique sans GPS ?
C’est une époque où je ne faisais pas du tout de bateau à voiles. Avec deux potes, on voulait faire l’Atlantique comme les vieux explorateurs, Magellan, Christophe Colomb, sans outils modernes et seulement avec un sextant. Se diriger grâce aux astres, le soleil, les étoiles… Le but, c’était de partir de Saint-Malo et d’arriver en Martinique. On nous disait qu’une transat, c’est grosso modo trois semaines. On a mis trois mois et demi à arriver. (Il se marre.) On s’est perdu, on a compris après trois jours de mauvais temps qu’on avait dépassé Madère et on a dû faire demi-tour, car c’était le dernier point pour se ravitailler.
Comment sait-on qu’on arrive en Martinique quand on voit la terre ?
Il faut se dire que pendant très longtemps, ce n’est que l’horizon à 360 degrés, c’est hyper rare. Quand on arrive en Martinique, on ne sait pas que c’est la Martinique. Ce qui est cool, c’est que la terre a une odeur. En mer, tu ne sens rien. Avant de voir la terre, tu commences à retrouver des oiseaux et des mammifères marins que tu n’as pas vus depuis longtemps. C’est fou comme sensation de sentir la terre, se dire qu’on approche de quelque chose. Puis, à l’arrivée tu as l’impression d’avoir fait un truc de ouf, mais il n’y a personne. (Rires.) Il y avait mes parents, on est allés boire une bière, et voilà. Les gens ne savent pas d’où tu arrives. Bon, le propriétaire du bateau le voulait pour Noël, on est arrivé en février… Il n’a pas trop kiffé. Je crois que c’est cette aventure qui m’a rapproché de la mer. Maintenant que je commence à savoir faire du bateau, je me rends compte que c’était complètement con !
Propos recueillis par Andrea Chazy et Clément Gavard, à Paris
Lire "À toute allure : cap sur mon Premier Vendée Globe" aux Éditions Marabout.