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Benjamin Epps : « Je me prenais pour Ruud van Nistelrooy »
Libreville, Johannesbourg, Montpellier, Bar-le-Duc. Peu importe d'où (re)vient Benjamin Epps, la réalité est là : en 2021, le Gabonais fait partie des rappeurs francophones les plus excitants du circuit. Celui qui est tombé amoureux du foot en 2002 grâce à Hidetoshi Nakata glisse naturellement quelques références plutôt sorties des sentiers battus dans ses textes : du préparateur physique du Bayern à Rashidi Yekini en passant par les matchs de la Lazio. Entretien avec un homme qui prévient : « Le meilleur rappeur de France est pygmée. »
Comment t’est venue l’idée d’appeler un morceau « Zidane en 2006 » ?En 2006, Zidane est critiqué par les Espagnols parce qu’il vient de prendre sa retraite, et face à eux en Coupe du monde, il sort une masterclass. Sur un passement de jambes, il prend à contre-pied Casillas. Et derrière, il fait un grand match face au Portugal en demi-finales, et une grande finale lors de laquelle il se passe ce dont tout le monde se souvient. Il sort à cause de son coup de tête. J’ai trouvé ça emblématique. C’était l’image que je voulais mettre dans la tête des gens. Zidane en 2006, c’est le contraste.
Tu aimes bien les histoires qui se finissent mal ?Exactement. J’aime bien le sang.
À l’époque, la France se divisait en deux camps : celui de ceux qui trouvaient son geste intolérable, et celui de ceux qui trouvaient ça génial…Mais c’était génial ! Même si avec la Coupe du monde à la clé, ça aurait été le top du top. Zidane, c’est un artiste. Il fallait qu’il quitte la scène sur un truc tragique. C’est ce que je retiens de Zidane en 2006.
Quel est le lien entre cet acte et ta musique ?C’est que les gens aiment Zidane, mais que finalement, il ne contente pas tout le monde. Je n’ai pas envie d’être ce personnage hyper lisse, qui fait tout bien. Zidane prenait souvent des cartons rouges. C’était un joueur hyper calme, mais si tu le taclais, il te taclait en retour.
Dans ce morceau, Ronaldinho est le seul footballeur que tu cites…C’était simplement une question de rime. « Ils me prédisent une carrière à la Ronnie », parce que finalement la carrière de Ronaldinho au haut niveau a été courte. En gros, elle va de 2002, où il est la révélation du Mondial, à la finale contre Arsenal au Stade de France en 2006 avec Barcelone.
Avant ce morceau, tu avais sorti « Kennedy(*) en 2005 » . Imaginons que la série se poursuive jusqu’en 2021. Tu mettrais qui dans le titre ?
En 2021, y a trop de dingueries. On vit une époque hyper difficile, chaque jour apporte son lot de surprises. Ça pourrait être Zemmour autant que Mbappé. Mais avant d’en arriver là, j’aimerais bien faire « Sarkozy en 2007 » .
Dans un morceau, tu dis « habile comme un gaucher » . Qu’ont-ils de particulier ?En tant que droitier, je trouve que les gauchers ont quelque chose d’atypique. Comme s’ils étaient tous doués, ce qui n’est évidemment pas vrai, comme le prouve Benoît Trémoulinas, qui n’était pas ouf. Mais souvent, ce sont des artistes. Maradona, Adriano, Messi, Recoba… Bergkamp aurait mérité d’être gaucher.
Tu ouvres ton dernier EP avec cette ligne : « Booba a sorti l’dernier album, ça y est maintenant j’peux prendre le trône. » Dans le foot, qui est sur ce fameux trône ?
Messi est un super joueur, c’est un génie, mais ce n’est pas le meilleur. Je préfère Ronaldo, même si depuis deux ans, il est moins bon. Il a fait un Euro dégueulasse, où il n’a marqué que des penaltys et des tap-ins. Mais je l’aime depuis toujours parce qu’il est hyper confiant, il croit en lui. Vous vous rappelez du quart de finale de Champions contre Wolfsburg au Bernabéu en 2016 ? Il met un triplé, le Real se qualifie après avoir perdu 2-0 à l’aller. Eh bien dès son entrée sur la pelouse, tu sentais qu’il savait ce qui allait se passer. Il avait le masque.
Toi qui aimes le sang, tu ne trouves pas qu’il leur manque un truc un peu sale, à ces grands champions ?À Messi, surtout. Ronaldo, quand tu vois son match contre l’Atlético au Juventus Stadium, il est chaud, c’est le sang ! Il aime le sang ! Il aime être dos au mur ! Il a beaucoup plus de personnalité que Messi.
Dans ton deuxième album, tu racontes que vu du Gabon, Paris fascine. Il en va de même pour le PSG ?Pas du tout. Le PSG, à l’international, ça commence avec QSI, je préfère vous le dire. Je suis né et j’ai grandi au Gabon et là-bas, il n’y a pas beaucoup de fans du PSG. Alors qu’il y a beaucoup de fans de Marseille ! Incroyable. Ils sont pour l’OM à fond ! C’est seulement quand Pastore puis Ibrahimović sont arrivés que Paris a commencé à rayonner à l’international.
Pour rester sur ton enfance au Gabon, tu rappes : « Ma mère m’a appris à lire, mon père à compter. Mes frères m’ont appris à me battre et appris à chanter. » Qui t’a appris à jouer au foot ?
La rue. À la maison, notre truc, c’était la musique. J’étais le seul à regarder le foot.
Comment t’as attrapé le virus ?C’était en 2002, j’avais 6 ou 7 ans. La Coupe du monde en Corée et au Japon. Je découvre Hidetoshi Nakata. Il avait un truc. La coupe de Cristiano avant Cristiano, les straps… Il était stylé. C’était le joueur glamour du Japon. À côté de ça, il y avait l’engouement autour du Sénégal ! Là, je me suis dit : « Wow, le foot ! C’est pas de la musique que je veux faire, je veux être footballeur ! » Ensuite, je me suis fait rattraper par la réalité familiale. Bref, je suis tombé dans le foot par la télé. Ensuite, quand la télé s’éteint, en Afrique, tu vas dehors et tu as des enfants qui deviennent Drobga, Ibrahimović, etc. Moi, j’étais fan de Ruud van Nistelrooy. Je me prenais pour lui. Je passais ma main dans mes cheveux comme lui, c’était incroyable.
Qu’est-ce que Pierre-Emerick Aubameyang représente au Gabon ?La réussite, le rêve, parce qu’il joue dans des stades pleins toutes les semaines, qu’il est courtisé par les plus grands clubs et qu’il est gabonais. Après, il n’est pas né au Gabon, donc plein de gens n’arrivent pas à se figurer son parcours. Il est né à Laval, son père était pro (Pierre Aubame compte 80 sélections en équipe du Gabon, NDLR), la voie semblait toute tracée. Ce qui fait qu’il n’a pas une énorme aura au Gabon. Pour moi, ça commence à marcher. Et au pays, il y a des gens qui peuvent dire : « Il était au collège avec nous, on a joué au foot avec lui, puis il est parti, il rayonne un peu grâce au rap et il fait connaître Libreville. »
Tu as des exemples de footballeurs gabonais qui ont réussi après avoir débuté au pays ?Bruno Ecuele Manga, qui jouait à Lorient (et aujourd’hui à Dijon). Stéphane N’Guéma, qui a gagné la Gambardella avec Rennes en 2003, aussi. Lui, c’était vraiment un crack. Quand il prenait le ballon, il se passait forcément un truc. On peut parler également d’Eric Mouloungui, qui est le genre de mec qu’on aime bien. Passements de jambes, nonchalance… C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’a pas explosé, il n’était pas assez professionnel.
Quand tu as commencé le foot, quelles étaient les conditions ? C’était le cliché du terrain en terre battue ?C’était totalement ce que vous imaginez. J’ai joué pieds nus jusqu’à mes 13 ans. Pour faire les buts, on faisait 4 pas pour mesurer, et ensuite on allait chercher des chutes de bois à la menuiserie pour faire les poteaux. Il n’y avait pas de filets, donc quand t’envoyais une frappe, il fallait célébrer le plus possible pour convaincre l’adversaire qu’il y avait but. Il n’y avait ni VAR, ni téléphones pour filmer, tout se jouait à l’éloquence. Ce qui fait que les rares fois où on est allés disputer des tournois inter-quartiers sur un vrai terrain en gazon, ça n’a jamais fonctionné pour moi.
Quand tu es arrivé en France, tu t’es installé à Montpellier. Quel est ton rapport au club ?Je ne suis jamais allé voir un match à la Mosson. Pourtant, j’habitais à Celleneuve, à un arrêt de tram de la Paillade. C’est un peu la honte. En revanche, je faisais le ménage pour le club de rugby, comme job d’étudiant, et je suis tombé nez à nez avec Fulgence Ouedraogo. Impressionnant, le mec ! Il n’a pas un brin de gras sur lui. On a fini par sympathiser.
La légende dit que tous les rappeurs auraient aimé être footballeur, et que tout les footballeurs auraient aimé être rappeur…C’est exact. Moi, j’aurais aimé être footballeur parce que tous les week-ends, tu as la garantie qu’il y aura du monde au stade. Les gens vont te voir, tu n’as pas besoin de promo, même si tu joues pour Ajaccio. Si t’es bon, même dans un petit club, tu vas te montrer et peut-être signer à Valence en fin de saison. Et nous, les rappeurs, on kiffe ça. J’aimerais me montrer tout le temps, que les gens m’acclament sans que j’aie à faire une tournée. De leur côté, les footballeurs doivent nous envier notre liberté d’expression. Ils ne peuvent pas dire ce qu’ils veulent, sinon ils se font allumer, c’est hyper politique ! « Tu prends tes millions et tu fermes ta gueule ! T’es super bien payé pour taper dans un ballon, tu vas pas en plus faire chier le monde ! » C’est comme ça que ça marche.
Propos recueillis par Mathias Edwards et Matthieu Pécot
(*) en référence au rappeur du Val-de-Marne, pas à John Fitzgerald
Benjamin Epps est actuellement en tournée dans toute la France, et donnera des concerts à Paris les 6 et 26 novembre.