- Espagne
- Liga
- 10e journée
- Real Madrid/Las Palmas
Benítez, le señor amarrategui
Huit victoires et quatre nuls : le bilan comptable de Rafa Benítez depuis son arrivée sous la guérite merengue relève de la réussite. Un constat qui varie du tout au tout lorsque le style de jeu de son Real est évoqué. Car pour beaucoup, l'entraîneur madridista renvoie au style amarrategui. Explications.
Le Balaídos s’imagine bien en cauchemar merengue. Fort de son large succès face au FC Barcelone (4-1) et de son statut d’équipe toujours invaincue, le Celta aborde sa réception du Real avec un appétit grandissant. 90 minutes de jeu plus tard, le constat est amer pour les Galiciens. Dominateurs et joueurs, ils ne peuvent rien face à la réussite chirurgicale et la solidité béton des Madridistas, vainqueurs 1-3 et seuls leaders de Liga. Ce succès convaincant ne suffit pourtant pas à une partie des observateurs du championnat espagnol. Le seul remplacement de Luka Modrić pour Nacho fait sortir de leurs gonds les nombreux détracteurs de Rafa Benítez. En point d’orgue de ces critiques, l’expression « amarrategui » revient en boucle pour qualifier cette décision technique. Une redondance depuis son intronisation sous la guérite du Santiago Bernabéu qui prend des formes de critiques acerbes. « Dans l’absolu, je ne me considère pas comme un entraîneur amarrategui, peste l’intéressé aux micros de la Cadena Cope. Pour preuve, en Italie, j’ai battu le record de buts de Naples lors de deux saisons de suite. »
« Si nous sommes derrière, c’est difficile… »
À dire vrai, la défense du Madrilène de naissance trompe son monde. Car amarrategui, Rafa Benítez l’est bien. Un trait de caractère footballistique qui, à l’instar du catenaccio, ne renvoie en rien à un style ultra-défensif. La vérité se veut forcément plus complexe, comme l’origine de cette expression. Outre-Pyrénées, elle fait partie de la catégorie des mots « Vascoñol » ou « Euskaño » . Une terminologie hideuse pour définir un mot à mi-chemin entre le Castillan et le Basque. Ici, il s’agit d’un mélange entre le terme espagnol « amarrer » et la terminaison basque « tegui » dont la définition ramène à quelque chose de conservateur, de peureux. Apposé au rectangle vert, ce terme caractérise un style de jeu où le contrôle est roi et les risques minimaux. En soi, l’ADN même de ce Real Madrid estampillé Benítez. Depuis sa prise de pouvoir à Valdebebas, ce pur produit merengue ne cesse de mettre de la distance avec son prédécesseur italien, jugé trop permissif par la Junta Directiva de Florentino Pérez. De fait, que ce soit sur le pré ou dans les vestiaires, le style amarrategui s’impose comme la devise de Rafa Benítez.
De par ses choix lors de chaque rencontre de son Real, l’ancien coach de Liverpool entre dans la case des entraîneurs amarrategui. La place prépondérante de Casemiro en sentinelle, l’amoncellement de milieux de terrain au profit de joueurs offensifs, ou encore le positionnement bas de son bloc sont autant d’arguments pour lui accoler cette étiquette. Des choix tactiques qui, arithmétiquement, sont gages de réussite puisque les Merengues trônent en tête de la Liga avec le costume de défense la plus solide et d’attaque la plus prolifique. Mais qui n’empêchent de nombreuses critiques sur le manque de prises de risques d’une équipe aux multiples talents. Le premier derbi madrileño de la saison en est le parfait résumé. Aux commandes à la mi-temps, le bloc blanc se délite dès la reprise. De 60% de possession, le Real n’en conserve que 46% et octroie de nombreuses possibilités de tirs aux Colchoneros, qui égalisent logiquement en fin de match. Une tactique qui déplaît fortement, en partie à Benzema, buteur mais remplacé par Kovačić : « Nous savions que contre cet adversaire, si nous sommes derrière, c’est difficile. Et nous étions tous en défense en seconde mi-temps… »
« Le meilleur entraîneur que j’ai eu »
Publiquement désapprouvé par certains de ses poulains, Rafa Benítez n’en demeure pas moins inflexible face aux gratte-papier. « Nous contrôlions le match, la possession le démontre, reprend l’intéressé dans l’émission El Partido de las Doce. Le seul problème, c’est que nous n’avons pas réussi à partir rapidement en contre pour marquer le second but. Mais il fallait donner de l’équilibre à l’équipe ! » Maître mot du mandat d’Ancelotti, l’équilibre est un terme fourre-tout bien utile au moment de noyer le poisson. Moins bon communiquant que son prédécesseur, Benítez ne trouve cependant grâce aux yeux de la nébuleuse du Santiago Bernabéu. Une mauvaise presse qui sied à merveille à Florentino Pérez, qui ne cesse de répéter en privé que « Benítez est le meilleur entraîneur que j’ai eu » . Un compliment, pensé ou non, qui a le mérite de valider le management tout en turn-over et en contrôle de Rafa Benítez. Car plus que des prises de risque à outrance, c’est bien le nombre de breloques dorées qui déterminera son travail à la fin de saison. Et qu’importe si le style amarrategui ennuie, tant qu’il gagne.
Par Robin Delorme, à Madrid