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Benfiquiste et nationaliste : le paradoxe André Ventura
Trublion médiatique du football portugais, André Ventura est devenu la figure de proue de l’extrême droite lusitanienne. Supporter revendiqué de Benfica, le chef du parti Chega promeut une idéologie nationaliste, conservatrice et raciste. Des valeurs très éloignées de celles que porte historiquement le club lisboète.
À la veille des élections législatives du 10 mars, le parti Chega affiche une popularité insolente. Surfant sur la vague européenne des mouvements populistes, André Ventura a fait de sa formation d’extrême droite la troisième force du paysage politique portugais, derrière les traditionnels Parti socialiste (PS) de Pedro Nuno Santos et le Parti social-démocrate (PSD) de Luís Montenegro. Un véritable miracle électoral réalisé en à peine cinq ans, dans un pays traditionnellement porté à gauche depuis la chute de la dictature salazariste en 1974. En 2019, la seule entrée d’André Ventura à l’Assemblée nationale en tant que député de Chega, né quelques mois plus tôt, avait provoqué une onde de choc au Portugal – depuis 45 ans, plus aucune figure d’extrême droite n’avait siégé au palais de São Bento. Mais rien ne déstabilise cette robuste bête médiatique, adepte de polémiques qui ne se font pas moins rares au Parlement que dans les stades de football qu’il chérit tant.
L’avocat médiatique de Benfica
Juriste de formation, André Ventura est contacté en 2014 par la chaîne CMTV pour devenir l’expert d’une émission portant sur des crimes célèbres. Il rejoint ce canal tabloïd connu pour ses sujets sensationnalistes et y devient peu à peu un consultant incontournable des émissions sportives. Par ses tirades et diatribes défendant Benfica et critiquant les rivaux du Sporting ou du FC Porto, André Ventura se fait un nom. Son visage devient familier pour les milliers de passionnés qui regardent quotidiennement les programmes de CMTV. À tel point que l’homme fait vite connaître ses ambitions politiques, d’abord loin de l’administration publique. En 2016, il évoque un temps l’envie de se présenter pour devenir président de Benfica, mais se ravise et soutient la réélection de Luís Filipe Vieira. « Le football a offert une visibilité importante à André Ventura, dresse Victor Pereira, chercheur en histoire contemporaine et supporter benfiquiste. Il l’a utilisé pour sortir de l’anonymat politique. » Un an plus tard, le commentateur sportif use de sa notoriété pour être désigné candidat du PSD aux élections municipales de Loures, en banlieue lisboète. Sévèrement battu, il n’en devient que conseiller communal et s’éloigne peu à peu du parti de centre droit.
Cet épisode marque une défaite politique pour André Ventura. Pas médiatique. Car c’est à ce moment qu’il s’en prend pour la première fois à la communauté tsigane, qu’il accuse de vivre aux crochets de l’État. « Il a senti qu’il y avait un espace au Portugal sur ces thèmes-là, souligne Victor Pereira. Depuis, il a étendu son discours à une politique antimigratoire globale. » Le politicien commentateur radicalise son discours et crée son propre parti d’extrême droite : Chega (« ça suffit », en français). À l’occasion des élections présidentielles de 2020, André Ventura incarne les idéaux racistes et conservateurs d’un Portugal en partie nostalgique de la dictature. Certaines figures du football portugais n’hésitent pas à élever leurs voix contre lui. C’est surtout le cas de Ricardo Quaresma qui lui envoie un extérieur du pied bien placé. « Le populisme raciste d’André Ventura ne sert qu’à opposer les hommes au nom d’une ambition pour le pouvoir, déclare le joueur tsigane sur les réseaux sociaux. L’histoire a déjà prouvé que c’était un chemin de perdition pour l’humanité. »
Benfiquisme et populisme, le choc des valeurs
Crédité dans les sondages de 16% d’intentions de vote (Aximage), Chega s’est définitivement établi en tant que troisième parti national. À lui seul, le parti d’André Ventura pèse autant dans les sondages que les quatre partis qui l’y suivent. En cause, un discours populiste qui trouve écho auprès d’une frange très conservatrice des électeurs : promotion de valeurs identitaires et traditionalistes, critique du système, de l’immigration et des minorités. « Le principal atout d’André Ventura, c’est qu’il réussit toujours à être au centre de l’attention par son excentricité, explique Victor Pereira. Qu’il fasse parler de lui en bien ou en mal, on parle de lui et de son parti. » Après sa rivalité médiatique avec Ricardo Quaresma, André Ventura fait à nouveau les gros titres en 2020. Quand Joacine Moreira, députée d’origine bissau-guinéenne, défend la dévolution d’œuvres d’art aux anciennes colonies, Ventura monte au créneau. Le parlementaire d’extrême droite propose que sa collègue soit, elle aussi, « rendue à son pays d’origine ». Après la communauté tsigane, c’est aux Portugais d’origine africaine que le leader de Chega s’en prend.
Toute l’ambivalence du personnage André Ventura réside dans l’opposition entre les valeurs de son parti et celles de Benfica, son club de cœur. Car si l’ultranationalisme qu’il défend répond aux attentes de son électorat, il heurte l’histoire de Benfica. « André Ventura promeut des idées xénophobes et une vision de l’étranger comme quelqu’un de différent, précise Victor Pereira. Mais quand on va au stade, les tribunes sont cosmopolites : ce n’est pas vraiment la vision du Portugal que défend Chega. » Au sein du club, beaucoup critiquent d’ailleurs ce lien entre André Ventura et le SLB. En 2019, un groupe de sócios se composant d’historiens, d’écrivains et d’avocats reconnus signe une tribune dans laquelle est défendu un club « des riches, des pauvres, des Blancs, des Noirs, des musulmans et des Tsiganes ». Le leader de Chega se justifie alors de ne jamais avoir impliqué Benfica dans son parcours politique. Populiste et populaire, il pourrait en tout cas s’offrir un podium électoral historique d’ici quelques jours.
Par Amaury Gonçalves
Propos de Victor Pereira recueillis par AG