- Ligue des champions – Groupe C – J5 – Benfica/Bayer Leverkusen
Benfica va devoir changer sa recette
Les années passent et se ressemblent pour Benfica. Une incapacité à passer les poules en Ligue des champions et de gros parcours en Ligue Europa. Sauf que cette fois-ci, les Lisboètes retournent chez eux sans passer par la case C3 et sans toucher les 10 000 euros. Il y a quelque chose qui cloche, et le club va devoir y remédier s'il ne veut pas passer sa vie à louper les huitièmes de finale de C1.
Cela commence à devenir une habitude. Pourtant, nombreux sont ceux qui s’étonnent de voir Benfica sortir par la petite porte de la Ligue des champions. Trois ans que les Aigles de Jorge Jesus ne volent pas plus haut que le mur de la phase de poules. La dernière fois, c’était en 2011-2012. À l’époque, les Lisboètes s’étaient offert le luxe de dominer une poule où figuraient Bâle et Manchester United (les Red Devils avaient été reversés en C3 à la surprise générale) avant de battre le Zénith en huitièmes et d’échouer devant le futur vainqueur de la compétition, Chelsea. Et depuis, plus rien. Une campagne 2012-2013 désastreuse, un exercice 2013-2014 marqué par un réveil (trop) tardif et l’indigne participation de 2014 qui va s’achever ce soir, à Lisbonne, face à Leverkusen. Sur le papier, l’échec de cette année est, semble-t-il, le plus acceptable. Car malgré son statut de tête de série, Benfica était tombé sur l’un des groupes les plus homogènes de la cuvée 2014-2015. Mais l’accumulation des échecs à ce niveau et le manque de panache face à la concurrence en a fait celui de trop. Le résultat ? Des socios qui grondent et des observateurs qui tentent en vain de diagnostiquer l’origine du mal qui empêche les « encarnados » d’être aussi bons en Europe que sur leurs terres. Est-ce l’entraîneur ? Les joueurs ? Les dirigeants ? Tout le monde ? Sûrement tout le monde. Mais certaines personnes plus que d’autres.
Jonas, l’homme qui aurait pu tout changer
Comme tous les clubs portugais, et malgré un potentiel économique supérieur à ses concurrents nationaux, les Aigles ont un lourd passif que le président Luis Filipe Vieira tente désespérément d’amenuiser. Comme les investisseurs ne fleurissent pas au Portugal et que les banques locales tombent en ruines, les Benfiquistas n’ont d’autre choix que de vendre régulièrement leurs meilleurs éléments. En se cantonnant à 2014, des joueurs comme Matić, André Gomes, Rodrigo, Marković ou Oblak ont pris le large. Cela correspond à la base de la machine de guerre de l’an passé. C’est le drame du football portugais. Perdre ses meilleurs éléments avant d’avoir le temps de s’attacher à eux et eux à vous. Comme d’habitude, Luis Filipe Vieira n’avait pas vraiment le choix. Il aurait bien voulu les garder, tous ces joueurs, mais il n’a pas pu. On peut néanmoins lui reprocher d’avoir tout fait à l’envers. Comme vendre le jeune André Gomes au fonds de Peter Lim, alors que tous les requins européens étaient déjà prêts à bondir sur le presque trentenaire Enzo Pérez (qui, au passage, partira quoi qu’il arrive en janvier ou en juin).
L’Argentin aurait rapporté plus d’argent que le Portugais, et ce dernier avait sans doute plus le cœur à rester à la Luz que le premier, un peu tristounet sur le terrain depuis le début de la saison, bien que performant. Mais les exemples les plus édifiants restent ceux de Júlio César et Jonas. Pourquoi ? Parce que ce sont des cas d’école à Benfica. Le club savait pertinemment qu’il allait perdre son gardien de but et le gros de son attaque. Pourtant, il a mis beaucoup trop de temps à réagir sur le marché pour trouver des alternatives crédibles. À croire que les dirigeants avaient perdu leur carnet d’adresses ou, pire, qu’ils étaient sûrs de pouvoir faire aussi bien que l’an passé avec Artur (un portier moyen) aux cages et un Lima en méforme depuis plusieurs mois en pointe. Résultat, Júlio César et Jonas sont arrivés très tard. L’ancien attaquant de Valence a carrément débarqué en plein mois de septembre et n’a pas pu être inscrit dans l’effectif en C1. Quand on voit le nombre d’occasions vendangées par les Aigles contre Monaco ou le Zénith et l’apport du Brésilien dans les compétitions domestiques (quatre pions en six matchs), il y a de quoi avoir des gros regrets pour le double finaliste de la Ligue Europa.
Le fantasme du « made in Portugal »
Conscient que le système actuel porte plus préjudice qu’il n’avantage son club, Luis Filipe Vieira réfléchit depuis plusieurs années à une alternative à la vente massive de joueurs. Et comme il faut allier les paroles aux actes pour convaincre, la « SAD » benfiquista a décidé de racheter les parts manquantes du Benfica Star Funds (environ 30 millions d’euros), le fonds d’investissement rattaché à la Luz. L’idée ? Faire en sorte que l’argent de la vente des joueurs n’atterrisse que dans les caisses de Benfica afin de réaliser de gros profits sur le marché tout en vendant moins. Le boss « encarnado » a également promis, dans une interview pour A Bola, que les jeunes issus du centre de formation seraient très présents, sinon majoritaires dans l’effectif professionnel d’ici une poignée d’années. Le Sporting obtient de formidables résultats avec un budget de 25 millions d’euros en se basant sur ce modèle et économise énormément d’argent grâce à ce système. Benfica, qui a beaucoup plus d’argent et une image bien plus prestigieuse, a potentiellement de quoi faire mieux.
Oui, mais cela relève encore du fantasme. Car si Jorge Jesus a lui aussi promis « que de nombreux jeunes formés ici joueront avec les A dans deux ou trois ans » au début de l’année 2014, il est difficile de le croire. Son amour pour les étrangers est loin d’être une légende, pas moins que son manque de confiance envers les jeunes issus de la formation. Depuis son arrivée sur le banc de Benfica, Jorge Jesus n’a donné que 5 609 minutes (soit 62,3 matchs au total) aux onze locaux de moins de 21 ans qu’il a lancé en cinq ans. Cela fait 5 matchs complets par tête en moyenne, sachant que la plupart d’entre eux ont surtout joué des premiers tours de Coupe du Portugal et de Coupe de la Ligue. Et ce n’est pas forcément une question de niveau. Cette année, « Boucles d’or » aurait déjà pu lancer les membres d’une génération qu’on annonçait dorée (celle des Bernardo Silva, Ivan Cavaleiro et João Cancelo), mais il ne l’a pas fait. Pire, certains d’entre eux ne reviendront pas. S’il veut vraiment mener à bien la transformation de son Benfica, Luis Filipe Vieira devra peut-être prendre le risque de tourner la page Jesus. Car si le messie a apporté fonds de jeu, stabilité et titres aux Aigles, il semblerait qu’il ait aussi quelques limites, comme la phase de groupes de la Ligue des champions.
Par William Pereira