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Benfica-Sporting et la boucle d’oreille perdue de Vítor Baptista
Alors que Benfica reçoit le Sporting ce dimanche, retour sur l'anecdote la plus fameuse et improbable du derby de Lisbonne. En 1978, Vítor Baptista s'arrête de jouer pour chercher sa boucle d'oreille perdue lors la célébration de son but. Une histoire à l'image de sa vie : aussi triste que folle.
« Mon argent, je l’ai gaspillé avec les femmes et les voitures. » Quand Vítor Baptista paraphrase George Best, il ne se contente pas de reprendre ses meilleurs sorties, il va jusqu’à confondre sa vie avec celle du « cinquième Beatles » . Buteur prolifique du Vitória Sétubal au début des années 70, Baptista traverse le Tage en 71 pour signer avec le grand Benfica pour un transfert record à l’époque. Grand, beau et fort, l’attaquant détonne par sa personnalité dans le Portugal de l’Estado Novo agonisant. L’homme est capable d’arriver à l’entraînement dans une Jaguar conduite par un chauffeur et affiche un style débraillé avec chemises à fleurs, tongs, barbe de dignitaire cubain et bague à chaque doigt.
« Il s’est mis à inspecter la pelouse pour la retrouver »
Mais son goût de la joaillerie ne s’arrête à ses doigts. Baptista porte aussi une boucle d’oreille. Un bijou qui, 36 ans après, continue d’entretenir sa légende. Ce dimanche 1978, Benfica reçoit le voisin du Sporting pour le derby. Pas vraiment le genre de rencard propice à la déconne. Les deux équipes se neutralisent quand, au milieu de la seconde mi-temps, Baptista transperce la défense adverse pour inscrire un but de folie, un but très vite éclipsé par la suite des événements. Dans l’ivresse du moment, ses coéquipiers l’entourent, l’enlacent, l’embrassent, le chérissent. Mais quand Baptista s’extirpe de la mêlée, sa boucle d’oreille a disparu. Et là, il ne rigole plus. « Il s’est mis à inspecter la pelouse pour la retrouver. Je suis venu lui dire de reprendre le match, mais il m’a répondu que sans elle, il ne jouait plus » , relate Toni, un de ses coéquipiers.
Baptista poursuit sa fouille quand tout le monde attend son retour dans son camp pour engager. Sous la pression, il finit par regagner sa moitié de terrain, mais n’abandonne pas pour autant son précieux bijou à son sort. La suite tourne au gag. Étranger à la partie, Baptista ignore les ballons qui lui filent sous son nez, pour passer au peigne fin le lieu de la disparition. Après le coup de sifflet final, Toni, Humberto Coelho et des employés du club reprennent les recherches à ses côtés. En vain. Malgré la victoire, Baptista est inconsolable : « J’ai mis 12 000 escudos dans cette boucle d’oreille et la prime du match me rapporte la moitié. Je n’allais quand même pas la laisser par terre. » Face à son désarroi, ses coéquipiers tentent de lui remonter le moral. « Nous avons demandé aux dirigeants de le récompenser pour son but, en lui offrant une nouvelle boucle d’oreille. Comme ils ont refusé, nous avons dû nous cotiser pour lui en offrir une » , se souvient l’ancien entraîneur de Bordeaux.
Mais derrière l’anecdote, il y a un homme qui part déjà en dérive. Depuis quelques années déjà, Baptista a sombré dans l’héroïne. Ingérable, il emprunte de l’argent à ses coéquipiers pour payer ses doses et part en vrille, comme lorsqu’il débarque en caleçon à l’aéroport de Lisbonne avant que la sélection du Portugal ne s’envole pour un match à Chypre. Viré de l’équipe nationale, puis de Benfica, on lui diagnostique un trouble de la personnalité. Comme Best, il met les voiles pour les États-Unis et les San Jose Earthquakes. Il exige une Corvette comme prime à la signature. Deux semaines plus tard, le Portugais repart dans un état de délitement toujours plus avancé. Entre-temps, il se sera juste démerdé pour égarer sa Corvette.
L’histoire ne peut que mal se terminer. Après plusieurs passages par la case prison, un Baptista seul et ruiné retourne dans sa ville de Sétubal où la mairie le recase comme gardien du cimetière. Ignoré de tous, viré des bars où ses photos tapissaient les murs, il décède au matin du 1er janvier 1999 à l’âge de 50 ans. À la différence de Best, il n’a pas droit à des obsèques nationales, le Portugal préférera retenir de lui un immense gâchis et une boucle d’oreille perdue à jamais.
Par Alexandre Pedro
Extrait du portrait de Vítor Baptista publié dans le So Foot 45.