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Ben PLG : « Mon pseudo MSN, c’était Fodé Mansaré »
Remarqué lors de son court, mais furieux passage dans Nouvelle École sur Netflix, le rappeur nordiste Ben PLG s'est montré hyperactif en 2022, lui qui a sorti début novembre le troisième volet de sa saga Réalité Rap Musique, dans laquelle il développe un univers qui respire la sincérité et les samedis passés au PMU devant Foot+. Entretien avec le rappeur frisson de l’année, qui a déjà gardé la cage de l'USL Dunkerque et reste obsédé par deux figures du foot français : Zizou et Jean-Claude Darcheville.
Ce samedi 3 décembre, Ben PLG se produit à la Boule noire, salle mythique de la capitale qui sera pleine à craquer. Devant France-Tunisie, le jeune trentenaire croisera tout de même les doigts pour que les Bleus restent premiers de leur groupe, de manière que la bande à Deschamps ne dispute pas son huitième de finale en même temps que ce concert important de sa première grande tournée nationale. En attendant, celui qui avait fait briller son année 2021 avec le sublime « Vivre et mourir à Dunkerque » parle foot. Où il est question de malaise vagal, de sandwich au pâté et de Madeleine au Camp Nou…
Ben « PLG » , c’est un hommage à Paul Le Guen ?J’avais remarqué ce truc avec les initiales l’année dernière parce que sur Twitter, quand tu recherches « Ben PLG » , si c’est par exemple le lundi soir après un match, tu as des « ben PLG il est éclaté », « putain ben PLG les changements ». (Rires.) J’en parlais avec un mec du Havre, en lui disant que la saison dernière, Le Guen avait l’air de s’en prendre plein la gueule. Non moi, PLG, c’est « Pour La Gloire » , et sur la pochette de mon premier album Dans nos yeux, il y a un gros détail de foot : au fond, sur l’écran, on voit la panenka de Zidane en 2006. Pour moi, c’est la définition de « pour la gloire » . Cette panenka, Zidane n’a aucune raison de la faire. La raison officielle, c’est « parce que Buffon me connaît par cœur » . Bah tire au milieu en force dans ce cas-là ! La panenka, ça n’est pas efficace, c’est pour « flex » un minimum. Après, on pourrait aussi parler de la panenka de Landreau face à Teddy Richert. (Rires.) Moi, si je faisais une panenka en finale, je serais plus Landreau que Zidane. Mon parcours, c’est un peu plus ce délire-là.
D’ailleurs, tu as eu une petite carrière de gardien de but.Tu ne connais pas cette histoire ? Je faisais du foot, j’ai un parcours classique genre PH, j’étais gardien. Après le bac, je fais STAPS à Lille, et je me retrouve gardien de l’équipe une pour les championnats universitaires. Quand je pars à Dunkerque pour les études, fort de ça, je voulais continuer le foot, donc j’appelle le club qui était en CFA à l’époque. Je m’entraîne avec les U18 DH, le plus haut niveau de cette catégorie et le plus haut niveau auquel j’ai joué. Mais je m’ennuie, l’ambiance ne m’amuse plus, donc j’arrête. Je découvre l’alcool, la clope, la totale, mais un mois après avoir arrêté, il y a pénurie de gardien, on m’appelle pour me dire : « Tu joues avec la CFA ce week-end ! » Enfin, c’était un match de Coupe. Je devais avoir 18 ans.
Quel genre de gardien étais-tu ?J’avais des gros défauts, je faisais par exemple des espèces de blocages psychologiques sur les six mètres, je galérais à envoyer des pétards. Mon autre défaut, c’était les sorties aériennes. Je suis un gardien spectaculaire, c’est ce qui me faisait kiffer. J’ai repris le foot l’année dernière, à Lille Sud, un bon petit club qui a formé des bons joueurs comme Abdellah Zoubir de Qarabağ. Avec la confiance et l’expérience de la vie, les six mètres et les sorties aériennes, ça n’est plus un problème, au contraire. Bon, je dois avouer que je ne joue pas tant que ça, cette saison. Mon coach ne comprenait pas pourquoi je ne pouvais pas être là tout le temps, je lui disais que j’étais en concert, mais lui croyait que je faisais de la guitare dans les bars. Depuis qu’il m’a vu sur Netflix, il a compris. (Rires.)
Tu ne cites jamais de nom de gardien dans tes morceaux. C’était qui, tes idoles ?Je kiffais Barthez, pour le style de jeu, c’était une tête brûlée ! Guillaume Warmuz me faisait kiffer, Tony Sylva au LOSC aussi ! Je me souviens d’un match, j’écoutais Eugène Saccomano à la radio, ils mènent 1-0, et penalty pour Caen à la dernière minute. Sylva l’arrête et relance au pied. Contre-attaque et but de Philippe Brunel. La radio, c’est des souvenirs foot de malade.
Le foot, c’est souvent quelque chose qui se transmet par le père. En écoutant ta musique, on comprend que tu n’as pas connu le tien (« Enfance dans Clio 2 sans désembuage, j’ai découvert l’daron sur Google Images », dans « Réalité Rap Musique » ). Qui t’a transmis cette passion ? Je suis adopté, j’ai un père biologique que je ne connais pas et j’ai eu mon père adoptif par la suite. Je me souviens, en 2001-2002, il m’emmène à Bollaert. Le premier match c’est Lens-Marseille, le deuxième c’est Lens-Lille, je vois un derby… Sandwich, cellophane, pain de mie, pâté, tu vois ce truc ? À l’époque, j’habitais à Tourcoing. Lens, c’est un stade en ville, donc tu te gares loin et tu marches, ça fait une fourmilière, tu commences à voir de plus en plus de maillots sang et or… C’était fou. Mais bizarrement, je n’ai jamais trop eu cette notion de supporter. J’aime bien Lens, j’aime bien Lille. J’ai des périodes où l’une des deux équipes me fait plus vibrer. Quand il y a eu le derby cette saison, je ne savais pas pour qui j’étais. C’est hyper antinomique, je sais, mais je n’aime pas ces rivalités, je ne les comprends pas.
Tu as aussi vécu à Nantes pendant six mois. Et c’était impossible pour toi de ne pas aller à la Beaujoire.J’ai fait un malaise vagal en tribune Loire, comme Bafé. (Rires.) C’est une anecdote de con : je vais voir un Nantes-Lens avec un pote, et c’était à une époque où avec la fatigue et le taf, je faisais des malaises vagaux. Donc je suis en tribune Loire, je regarde le match et d’un coup je me sens partir. (Rires.)
Tu es allé dans beaucoup de stades ?Dès que je voyage, je vais au stade. J’étais pendant longtemps directeur de colo pour adultes en situation de handicap, et dès que je tapais une colo, j’emmenais les vacanciers au stade. Une fois, je fais une colo à Barcelone, il y a un mec, Mathieu, qui vient de Sochaux et aime bien le foot, mais il est en situation de handicap mental, donc ce n’est pas forcément facile, il n’est pas autonome, pas capable de se débrouiller pour choper une place, organiser un truc, etc. Je réussis à avoir des places pour un match de Coupe du Roi, Barcelone-Hércules. On était obligés d’emmener tout le groupe, même Madeleine, 70 ans, qui s’en foutait du foot et voulait mater la télé. Donc let’s go le Camp Nou avec Madeleine : sandwich, cellophane… (Rires.) Pour moi c’était un truc de fou, et pour Mathieu aussi : je me souviens du moment où tu montes et tu découvres la pelouse. Mathieu, il n’était pas très expressif et hyper poli, mais il me lâche un truc de fou genre « sa mère la pute, ça tue ».
Dans Potentiel, tu dis : « On a pleuré à la naissance et pour Zidane en 2006 »… J’ai du mal à pleurer, mais j’ai vraiment chialé en 2006. Je suis né en 1992 donc la Coupe du monde 1998, j’ai 6 ans, et mon père me demande d’aller me coucher à la mi-temps. Même 2000, j’ai zéro souvenir. 2006, c’est ma première Coupe du monde, j’y crois. Et du coup, c’est hardcore. Et magnifique en même temps, en matière d’intensité dramatique. La finale de 2006, ça résume presque tout ce qu’est le foot.
Dans tes morceaux, tu parles aussi beaucoup de paris sportifs ( « Les anciens mettent la fin du mois sur la victoire du Barça dans les Loto Foot », dans « Humain » ). C’est quoi, ton rapport à cet univers ? Ce qui me gave, ce sont les sociétés de paris sportifs qui font de l’appropriation. Tous les trucs de « Tout pour la daronne »… C’est malsain, parce qu’ils visent les jeunes de banlieue, qui n’ont pas forcément d’oseille et sont potentiellement influençables. On a déjà trop de problèmes, ne nous en rajoutez pas ! Ils te font croire qu’il y a moyen de faire un braquage, mais la majorité perd de l’argent. J’ai été contacté par une société de paris pour faire leur hymne de la Coupe du monde. J’ai répondu non merci. J’ai aussi été contacté par une marque de tacos très connue qui m’a proposé de faire un partenariat dans lequel je devais juste manger un tacos. Je ne voulais pas gâcher de la nourriture, alors je leur ai dit : « Si vous voulez, vous faites les tacos et on fait une maraude, on va donner des tacos à tous les SDF. » Je n’ai jamais eu de réponse.
Dans ton dernier projet, il y a moins de références au foot que dans les deux précédents, à part celle sur Djibril Cissé(1). Je n’ai pas spécialement remarqué. Ce que je sais, c’est que je n’ai pas envie de faire une référence au foot histoire de faire une référence. J’ai toujours un minimum envie de faire avancer le schmilblick. Si c’est gratuit, ça ne sert à rien. Dans « La symphonie de l’arrêt de bus » , je dis « J’suis en détente, j’suis comme Bergkamp contre Newcastle ». Cette action est super connue, mais personne n’y avait fait référence dans un morceau. Et puis Bergkamp, il n’est pas si hype que ça, pour le grand public, j’entends. Mon manager m’avait dit « celle-là il faut la garder », je lui avais répondu « ah bon ? », parce que c’est facile, je ne me rendais pas compte. En concert, ce moment-là, tout le monde le hurle. Après tout, c’est peut-être le plus beau but de l’histoire du foot.
Toutes tes références foot, ça semble être cette période, le début des années 2000, les Panini…Il y a un peu de ça. Les yeux d’enfant jouent beaucoup, je pense, mais le foot a aussi évolué. À l’époque, j’étais un buté de foot. Je connaissais tout par cœur, j’achetais les résumés de la fin de l’année dans L’Équipe, et je me refaisais toute la saison. J’étais un malade : on avait un Windows 95, il y avait Excel dessus, et je faisais des tableaux en me disant « Si on ne compte que les matchs joués à l’extérieur, qui est champion de France ? » ; « Si avec une victoire par trois buts d’écart tu marques quatre points, qui est champion ? » Alors que je suis nul en maths. Mais ça m’obsédait.
Dans le Nord, il y a énormément de clubs. Et dans tes clips ou tes textes, il peut y avoir des références à Lens, Dunkerque, Lille… Tu es un peu de partout ?J’ai aussi présenté le maillot de Dunkerque, mais au handball. Je suis un peu l’ambassadeur. Ça défonce, c’est trop un honneur, ils m’ont donné le maillot « 59 / Pour La Gloire » , incroyable. J’ai grandi à Tourcoing à côté de Lille, jusqu’à 17 ans, ensuite je suis parti à Dunkerque. J’ai des souvenirs dans tous les clubs. Je me rappelle un match à Nungesser, où j’emmène mon grand-père, qui était journaliste. Sous mes yeux, Jean-Claude Darcheville avait fait un enchaînement dos au but contrôle poitrine-retourné acrobatique-barre, et ça n’était pas dans le résumé le dimanche, j’étais dégoûté. Quand Jean-Claude Darcheville prend sa retraite, je lui fais une lettre ouverte sur Facebook, et il me repartage ! (Rires.) Mais moi, franchement… Mon pseudo MSN, c’était Fodé Mansaré. (Rires.)
Propos recueillis par Jérémie Baron et Matthieu Pécot, à Paris
(1) Dans « Rue des postes » : « Privés d’nos rêves / On les reconstruit en six mois comme la jambe à Cissé / Destins cassés applaudis sur la civière / Pendant qu’ta resta fait la gueule sous les sifflets »