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  • SORTIE DU LIVRE "MANAGER UNITED"

Ben Lyttleton : « Mourinho ferait bien de prendre exemple sur Graham Potter »

Propos recueillis par Maxime Marchon
9 minutes
Ben Lyttleton : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Mourinho ferait bien de prendre exemple sur Graham Potter<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Après Onze mètres, la solitude du tireur de penalty, dans lequel Ben Lyttleton convoquait l'histoire, la statistique, la psychologie, l'enquête sociologique et la littérature pour comprendre tous les secrets d'un tir au but réussi, l'écrivain s'attaque cette fois aux secrets derrière la réussite des plus grands entraîneurs, dirigeants et présidents de club avec Manager United - La science du leadership expliquée par les stratèges du football. Ou quand le monde du foot peut apprendre beaucoup aux entrepreneurs, businessmans et dirigeants du CAC 40.

Quel a été le déclic pour écrire Manager United ? Il y a deux points de départ : mon intérêt pour la psychologie et un appel du Guardian. En 2014, son rédacteur en chef m’a demandé d’identifier deux talents de 17 ans et moins en France, promis à devenir des stars du ballon rond dans le futur, pour leur dossier annuel intitulé « La relève » . J’ai passé quelques coups de fil à mes contacts français, qui m’ont permis d’établir une short list de cinq noms, dont le niveau, les qualités physiques, athlétiques et techniques ne faisaient aucun doute. Mais pour savoir qui parmi les cinq allait réussir à percer… Il faut analyser le talent dans le cerveau, l’adaptabilité, la créativité, la résilience, leur motivation. J’ai alors étudié la psychologie de la performance et compris que les qualités que l’on exige d’eux ne se limitent pas qu’à l’univers du football. Elles sont décisives dans n’importe quel environnement professionnel. Voilà ce que je voulais proposer : apprendre des méthodes du monde du foot pour détecter et développer ces aptitudes difficilement quantifiables et invisibles à l’œil nu, afin de les adapter au monde de l’entreprise ou dans notre vie de tous les jours.

Comment as-tu procédé pour écrire ce livre ? Quelle était ta méthode pour identifier les profils de tes intervenants ?La première chose était d’identifier les compétences clés pour avoir un tel niveau de performances. Pour chacune, j’ai cherché à cibler les coachs et les clubs les plus innovants en la matière et déterminer leur aptitude à me parler. Contrairement à ce que je pensais, et malgré la réputation qui précède les écrivains anglais, la plupart étaient disposés et contents de me parler, car ils voyaient la différence entre mon travail et celui d’un journaliste. C’était presque thérapeutique pour eux de me faire part de leurs théories sur le leadership, de parler sans être jugés. Parfois aussi, j’ai interviewé des personnes dont je pensais que les propos viendraient en complément d’un chapitre, et ils sont finalement devenus mes intervenants principaux. Par exemple, Tim Harkness à Chelsea. Au départ, je voulais parler à Christophe Lollichon, coach des gardiens des Blues, du sujet de la résilience, lui qui avait connu une histoire hallucinante lors de vacances au Mexique. Avec sa femme, il s’est retrouvé pris en otage, dans un bus, avec un revolver collé sur la tempe. Si certains des passagers sont restés traumatisés, incapables de dormir, de se nourrir, lui n’a pas eu à souffrir d’effets secondaires. Je pensais centrer ma section autour de son histoire, mais c’est finalement son collègue Tim, responsable des sciences du sport et de la psychologie de Chelsea, qui a pu mettre des mots et des explications sur cette expérience. Son travail et ses conclusions étaient tellement riches – il a étudié cette notion pendant sept ans et est convaincu qu’on peut améliorer nos capacités émotionnelles comme nous développons nos capacités intellectuelles – que j’ai changé mon approche.

Tuchel répète qu’il est plus important d’oublier et de passer à autre chose après une victoire qu’après un échec.

Qu’as-tu appris dans la rédaction de ton livre que tu ne suspectais pas du tout avant ?Énormément de choses. Plus sur moi que sur le foot, d’ailleurs. Le fait qu’il y ait différentes manières de mesurer le succès d’abord. L’enseignement majeur a été pour moi le concept d’échec. C’est très binaire et dur. Les plus grands coachs ont redéfini ces notions. Tuchel répète qu’il est plus important d’oublier et de passer à autre chose après une victoire qu’après un échec. Lors de sa deuxième saison avec Mayence, il a connu un début de saison très compliqué. Pour faire réagir son équipe, il a, à l’occasion d’un briefing avec ses joueurs, projeté cette citation au mur : « J’ai manqué plus de 9 000 shoots, dans ma carrière. J’ai perdu plus de 300 matchs. J’ai loupé 26 fois le shoot de la gagne alors que mes coéquipiers m’avaient confié le dernier ballon. Durant ma vie j’ai échoué, échoué et encore échoué, à plusieurs reprises. Voilà pourquoi j’ai fini par gagner. » Elle est de Michael Jordan. J’ai également appris de Didier Deschamps qu’il ne faut jamais faire de promesses. En tant que coach, tu dois sélectionner des joueurs chaque semaine, et une fois, il lui est arrivé de ne pouvoir tenir son engagement auprès de l’un d’entre eux. La confiance est donc partie. C’est quelque chose que j’ai adapté à ma vie personnelle, vis-à-vis de mes deux enfants. Finalement, dans chaque discussion que j’ai eue pour écrire ce livre, je pouvais prendre des conseils et l’adapter à ma vie de tous les jours.

Et qu’as-tu appris sur le monde du foot en lui-même ? J’ai pu mesurer le nombre de personnes intéressantes et d’esprits vifs travaillant dans l’industrie du foot, avec lesquels tu peux avoir des conversations profondes. Ce snobisme entourant le foot, qui serait un univers peuplé en majorité de personnes peu intelligentes, m’a définitivement quitté.

La première question que je pose quand j’audite un club, c’est : qui êtes-vous ? Quel est votre rôle auprès de la communauté ? Pour beaucoup d’entre eux, c’est très compliqué d’y répondre.

Quel intervenant t’a le plus impressionné ? Et pourquoi ?Je me suis senti privilégié de passer du temps avec chacun d’eux. Mais si je devais choisir, je dirais que Graham Potter, ancien coach d’Östersunds actuellement à la tête de Brighton, m’a marqué. Il s’est donné comme mission de tout donner pour faire ressortir le meilleur des gens autour de lui. Pas juste le joueur, mais aussi l’humain. Un leader très inspirant, sur lequel Mourinho ferait bien de prendre exemple, lui qui lutte pour tirer le meilleur de Tanguy Ndombele. Tuchel aussi essaye d’améliorer ses joueurs en tant qu’individus et pas juste en tant que footballeurs. Alex Inglethorpe, directeur du centre de formation de Liverpool, est également quelqu’un de fascinant. Un leader avec une certaine aura. Toute sa carrière, il a refusé des postes de coach principal. Il a toujours préféré consacrer sa vie à faire ressortir et fructifier le talent des jeunes joueurs. Il a travaillé au centre de formation de Tottenham et fait éclore Harry Kane ou Townsend. Désormais chez les Reds, il a sorti Sterling ou encore Trent Alexander Arnold.

En lisant ton livre, on se demande ce que les clubs attendent pour adapter toutes ces méthodes. Qu’est-ce qui les en empêche ? D’où vient cette léthargie ?Des querelles intestines, des agendas personnels, la multitude d’objectifs différents, les définitions différentes du succès, le manque de stratégie commune… Une des résultantes de la publication de ce livre est que j’aide désormais les clubs, via mon agence Soccernomics avec laquelle je faisais déjà du conseil dans l’amélioration de leurs performances, à trouver leur « edge » , leur valeur ajoutée en quelque sorte, et la stratégie à mettre en place. La première question que je leur pose quand je les audite c’est : qui êtes-vous ? Qui aimeriez-vous être ? Quel est votre rôle auprès de la communauté ? Et plus globalement, qu’est-ce que tu représentes ? C’est très compliqué de répondre pour beaucoup d’entre eux. Ils sont bien plus intéressés par le spectacle sur le terrain, le score, que ce qu’ils attendent de leurs équipes de jeunes. Bilbao ne fait pas partie des tops clubs européens. Ils ne sont pas en Ligue des champions. Pourtant, avec le FC Barcelone et le Real Madrid, ce sont les seuls à n’avoir jamais été relégués de la Liga, le tout avec une équipe seulement composée de joueurs locaux, originaires du Pays basque. De ce point de vue, ils surpassent toutes les attentes et la notion même de succès. Cela paraît évident, mais ça ne l’est pas pour plein de clubs : qu’est-ce qu’ils veulent être ?

Un coach m’a avoué faire des nuits blanches. Je ne l’ai pas mis, car cela aurait été monté en épingle par la presse.

Au regard de tous les enseignements de ton livre, quels sont les trois choses qu’un manager de club devrait mettre en place dans son club pour avoir ce petit plus ? Autrement dit, demain tu deviens manager d’un top club, quels sont les trois méthodes, solutions, enseignements que tu appliques immédiatement ?Je prends Didier Deschamps comme responsable communication, Tuchel pour travailler sur l’adaptabilité des joueurs, Harkness pour mettre au point mon test psychologique de recrutement… Je rigole. La première chose à faire est d’établir des paramètres de mesure clairs autour des notions de succès et d’échec. Qu’est-ce qu’ils veulent dire ? Quels sont mes objectifs ? Est-ce réaliste ? Tu entends des clubs dire qu’ils vont tout faire pour gagner le championnat, la coupe… Gary Southgate est un leader, le seul coach qui n’a pas dit en arrivant à la tête de la sélection anglaise : « On va aller à la Coupe du monde en Russie pour la gagner. C’est notre ambition. » C’est l’assurance de se louper. Il a déclaré : « On va essayer de faire de notre mieux et surtout de faire preuve d’une mentalité vaillante, et non craintive. » Ses attentes étaient différentes de celles de ses prédécesseurs, plus réalistes, et on a finalement été en demi-finales. La deuxième chose à faire, c’est d’introduire plus de diversité dans le processus de décision. Si tu regardes le paysage politique anglais, en ce moment par exemple, je ne vois autour de Boris Johnson que des hommes blancs d’âge moyen le conseiller sur la crise du coronavirus. Je me demande où est la diversité en matière de leadership, de management. Dans le football aussi, aux postes de direction et parmi les entraîneurs, ça manque de femmes, de personnes de « couleur » . Un aspect que j’aborde notamment dans mon livre avec Claude Michy, président du Clermont Foot, qui en 2014 a nommé Corinne Diacre à la tête de son équipe.

Qu’est-ce que tu as vu ou découvert pendant les entretiens que tu as menés que tu n’as pu mettre dans ton livre ?J’ai touché du doigt le sujet de la vulnérabilité. Quelques coachs m’ont expliqué qu’ils étaient souvent dans l’incertitude, qu’ils n’avaient pas de réponse avant le match, seulement après. Or ils doivent sans cesse faire croire que si, sous peine d’être critiqués par le public et les médias. J’ai minimisé cette vulnérabilité qui transpire de leurs propos. L’un m’a avoué faire des nuits blanches. Je ne l’ai pas mis, car cela aurait été monté en épingle et repris dans des articles. Alors qu’il est important finalement dans le système actuel de leadership, vis-à-vis des jeunes générations, de ne pas être dictatorial, d’accepter qu’on n’ait pas toutes les réponses et donc qu’on ait des doutes.

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