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Ben Arfa, le vieux fantasme du PSG
Si son talent a pris sa source en région parisienne, Hatem Ben Arfa aura dû attendre ses vingt-neuf ans pour revêtir le maillot du PSG. Pourtant, à la fin des nineties et au début des années 2000, le club de la capitale a lorgné avec insistance le joyau français.
La trentaine arrive à grands pas, mais le temps ne semble pas encore avoir eu raison de lui. Avec sa gueule d’éternel enfant et ce sourire presque candide dont il ne se départ jamais, Hatem Ben Arfa diffuse toujours la même impression aux autres. La même insouciance. La même innocence, peut-être aussi, quand il s’agit de mettre des mots sur son transfert au Paris Saint-Germain. « Le Paris Saint-Germain est un club que j’apprécie depuis tout petit. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai ce club au fond de mon cœur. Je l’ai toujours supporté. C’est le destin, c’était écrit ! confiait l’attaquant français au site officiel du club, début juillet, avant de sortir la boîte à souvenirs. Je me souviens de la demi-finale de Coupe UEFA 1992-1993, face à la Juventus, et d’un but sur coup franc de Roberto Baggio qui m’avait brisé le cœur (1-2) ! Au match retour au Parc des Princes, Baggio avait de nouveau inscrit un but (0-1). Je garde bien en tête cette élimination… J’en avais même pleuré ! Mais je garde aussi de bons souvenirs, comme la victoire 4-1 face au Real Madrid au Parc des Princes, lors de la même saison en quarts de finale, et des buts de Weah, Ginola, Valdo et Kombouaré… Beaucoup d’émotions ! » Il y a sans doute derrière cela une posture de circonstances et une communication parfaitement rodée pour embellir ce mariage. Reste qu’à une époque, le club de la Ville Lumière a bel et bien fait la cour à l’impétueux gaucher. C’était il y a près de vingt ans.
Phénomène et talent convoité
Pour saisir ce que représentait Ben Arfa à la fin des années 90, il faut peut-être donner la parole à ceux qui ont vu le phénomène s’éveiller. Comme Georges Claire, ancien recruteur de Saint-Étienne et l’un des premiers à avoir repéré le joyau : « À son âge, Hatem était déjà un talent pur tandis que les autres jeunes n’étaient que du potentiel. » Un talent rare que l’enfant de Clamart met au service du SM Montrouge 92 durant deux années (1997-1999). Là-bas, le gamin de dix ans intègre une équipe prometteuse où figure notamment Marvin Martin. « Ils nous arrivaient de mener rapidement 5-0, 6-0. Il faisait partie d’une génération exceptionnelle, révèle Patrick Schneider, son éducateur au club montrougien. J’avais quatorze joueurs et je devais avoir neuf gauchers. En deux saisons, on n’a connu qu’une seule défaite. » Par ses crochets du gauche et ses inlassables chevauchées, Hatem se distingue plus que les autres. Au point de provoquer une effervescence déconcertante autour de lui. « Hatem était vu comme une future star mondiale. Il fallait complètement le protéger, se souvient Daniel Ravaudet, ancien responsable technique de Montrouge. Plus d’une fois, il a fallu intervenir pour demander à ce qu’il reste auprès de son groupe, qu’il aille aux vestiaires avec les autres. Lors des matchs, il y avait toujours du monde et des yeux tout particuliers sur Hatem. » Au milieu de ces incessants regards, une foison de recruteurs à la fois français et étrangers convoite ardemment le jeune joueur. Dans l’Hexagone, Paris est l’un des premiers clubs à le solliciter. « Le PSG a toujours été très intéressé par Hatem » , assure Daniel Ravaudet.
Par l’entremise du regretté Jean-Pierre Dogliani, recruteur du club à l’époque, les premiers contacts se nouent avec la famille Ben Arfa. Sans que cela aboutisse à quelque chose de concret. « Le PSG le voulait absolument mais n’avait pas la réputation de sortir des jeunes, explique Georges Claire. Monsieur Dogliani était là pour prouver qu’on faisait confiance aux anciens pros passés par le club et qu’il y avait un socle à poser. » À l’époque, la stratégie de Paname pour essayer d’attirer les jeunes, notamment issus du bassin parisien, se développe. Mais plutôt timidement, comme le rappelle Daniel Ravaudet : « La politique du PSG était de construire des parrainages avec énormément de clubs de banlieue pour avoir un avantage. Même nous, au niveau départemental, on recevait des instructions comme quoi Paris devait être rapidement au courant des meilleurs jeunes dans la région et dans le département. » Sauf que le club de la capitale manque clairement de maîtrise dans ce domaine. Et ce sont surtout Rennes et Saint-Étienne qui, déjà sur le coup, vont en profiter en se présentant comme les prétendants les plus sérieux afin d’accueillir et choyer Hatem. Georges Claire souffle son nom à Christian Larièpe, alors directeur du centre de formation des Verts, qui emploie de nombreux moyens pour tenter de le faire venir dans le Forez. Opération de séduction auprès des dirigeants de Montrouge, places de matchs offertes pour Hatem et son père et même une promesse de déménagement à Saint-Étienne avec un travail garanti pour le frère aîné Lotfi. « Hatem, c’était une histoire d’amour. Je suis allé le voir jouer plusieurs fois, c’était un réel plaisir parce que c’était déjà quelqu’un d’atypique,raconte aujourd’hui Christian Larièpe. J’étais vraiment prêt à faire beaucoup d’efforts. Parce que, très objectivement, j’estimais que le jeu en valait la chandelle. » Finalement, par peur de le déraciner trop tôt, Sainté s’abstiendra.
Politique de formation repensée et entretien avorté
Sur les conseils de Georges Claire, les parents d’Hatem prennent la décision de le placer à l’INF Clairefontaine en septembre 1999. « Il avait rejoint Clairefontaine pour ne pas s’éloigner de la famille et rester dans la région, se remémore Francisco Filho, l’un de ses anciens formateurs dans les Yvelines. Les parents pouvaient de cette façon le voir le week-end. » Avec un an de moins que les autres (fait à ce jour unique), le bambin intègre la promotion 1986 et entame ses trois années de formation. Ce qui n’empêche pas Jean-Pierre Dogliani de continuer à suivre avec assiduité sa progression. Mais si le nom de Paris ne laisse pas insensible, le club a réellement du mal à séduire les joueurs de demain. « Le PSG, ça nous faisait rêver, assure Nadim Saïd, qui a partagé la chambre de Ben Arfa durant les trois ans à Clairefontaine. C’était chez nous, notre ville, notre club de cœur. Mais, à l’époque, quand tu allais là-bas, c’était plus par défaut qu’autre chose… » Alors, au début des années 2000, Paris, encore ébranlé par la fin du septennat heurté de Denisot et du mandat fugace de Biétry, choisit d’opérer une refonte complète de sa politique de formation. Une intention qui s’inscrit dans les nouveaux changements majeurs effectués en interne, après avoir résolu provisoirement le problème des supporters violents et racistes au Parc et inauguré le nouveau centre d’entraînement – pompeusement baptisé « Germanello » – à Saint-Germain, en novembre 1999. L’objectif est notamment d’améliorer la détection afin de s’appuyer sur le vivier parisien et que les jeunes de banlieue s’identifient davantage au PSG. « Le club avait laissé partir trop de joueurs de la région parisienne. L’idée, sous l’impulsion de Laurent Perpère et de Pierre Lescure, était donc de remédier à ça » , corrobore Alain Cayzac, ex-actionnaire minoritaire et président d’association du club.
Pour ce faire, François Gil et Patrice Lecornu sont débauchés du Red Star pour s’occuper respectivement de la préformation et de la formation. « Le club n’avait pas de savoir-faire en matière de formation à l’époque et ne s’appuyait que sur son nom, éclaire François Gil. À mon arrivée, on a ouvert deux centres de préformation, à Verneuil et Conflans. On a aussi établi un plan de détection de tous les départements d’Île-de-France pour recruter les joueurs issus du tissu parisien. » Originaire de Clamart (Hauts-de-Seine), Hatem ferait donc figure de vitrine idéale pour le projet « banlieue » échafaudé par Paname. À quelques mois de la fin de sa formation à Clairefontaine, le prometteur gaucher fait l’objet d’une nouvelle approche des dirigeants du PSG, qui organisent une rencontre avec les parents au siège du club en présence de Luis Fernandez, manager général, et Patrice Lecornu. « On n’a pas été très bon sur ce dossier, regrette ce dernier. Le rendez-vous s’est bien passé et on était censé se revoir dans une semaine. Mais il n’y a rien eu de concret. Luis n’a pas été dans le vif du sujet. C’était bien beau de dire que le PSG est un grand club, sauf qu’il fallait clairement formuler des propositions. Les parents attendaient autre chose. C’est dommage car Luis représentait un atout pour nous. » L’ancien entraîneur parisien, lui, évoque plutôt un clan Ben Arfa à l’appétit financier gargantuesque, lequel aurait réclamé un million d’euros pour un gamin alors âgé de quinze ans : « Je n’étais pas contre le fait qu’il vienne mais quant aux rémunérations demandées, je n’étais pas pour et c’était donc au club de voir. C’était trop à mon goût pour un jeune de quinze ans qu’on devait ensuite intégrer dans une structure avec d’autres jeunes. Cela ne l’aurait pas mis dans les meilleures dispositions. » Si le père d’Hatem, Kamel, affirme formellement ne pas se souvenir d’avoir exigé de telles doléances, il suggère aujourd’hui que le conseiller proche de la famille à l’époque, Michel Ouazine, a sans doute formulé cette requête subrepticement.
Le jour où Lyon a voulu échanger Ben Arfa contre Rothen
C’est sans doute là que le PSG a raté celui qui a grandi à Châtenay-Malabry. Une erreur que ne commettra pas l’OL, qui s’est invité dans la danse sur la fin. Un peu par hasard, d’ailleurs. « On pensait que le dossier était impossible à l’époque. Pour moi, c’est un concours de circonstances incroyable, relate Gérard Bonneau, responsable de la cellule de recrutement à Lyon depuis 2003. J’allais à Clairefontaine et Alain Thiry m’avait parlé d’un joueur hors norme. C’est la maman d’Hatem qui m’avait abordé :« Vous êtes le recruteur de Lyon et vous ne vous intéressez pas à mon fils ? » Je lui ai répondu : « C’est trop cher pour nous ! Moi, je commence tout juste dans le métier… » On a rigolé et sympathisé. On se voyait souvent. On a invité à Hatem lors d’un OL-PSG. » Un certain 17 février 2002 où Hatem assiste dans les tribunes de Gerland à la large victoire des Gones (3-0). Avant de croiser Luis Fernandez dans les vestiaires et de le faire entrer dans une colère mémorable. « À la fin de ce match, Bernard Lacombe descend avec Hatem dans les vestiaires et il tombe au milieu d’un accrochage entre Jacques Santini et Luis Fernandez, poursuit Gérard Bonneau. Les deux coachs se gueulent dessus et Fernandez balance à Hatem : « Qu’est-ce que tu fais dans ce club ? » Là, Bernard Lacombe prend sa défense et lâche : « Il est chez nous ! » » Et pour une coquette somme. L’OL débourse, en avril 2002, 150 000 euros pour le recruter (premier transfert payant pour un jeune destiné au centre de formation du club), sans oublier les prévenances apportées avec une prime à la signature qui s’élève à 130 000 euros et un salaire à quatre chiffres. Reste que si Ben Arfa rallie le Rhône, il gardera une affection toute particulière pour Paris. Pour le Parc des Princes, aussi. En février 2008, quand France Football sonde les joueurs de L1 pour connaître leur stade préféré, le Français vote en faveur de l’écrin parisien : « J’aime vraiment aller jouer au Parc. Je m’y sens un peu comme chez moi. J’ai l’impression de vraiment bien connaître tous ces lieux devant lesquels je passais souvent quand j’étais plus jeune. Moi, je ne jouais pas au Parc mais sur le petit d’à côté, au Stade Jean-Bouin. »
Il n’en a d’ailleurs pas connaissance, mais il aurait pu y étaler plus tôt ses talents avec le maillot du PSG sur le dos. « Personne ne le sait mais quand j’étais à la tête du PSG, Ben Arfa aurait pu venir, révèle Alain Cayzac. Lors de ma deuxième année, l’OL voulait Rothen mais je ne souhaitais absolument pas m’en séparer. J’ai fait le forcing pour le garder et j’étais parvenu à signer sa prolongation lors d’un stage à Deauville. Je me souviens d’un coup de fil de Marino Faccioli, directeur général de l’OL, qui m’avait dit : « On a une idée. Tu ne veux pas te séparer de Rothen, on te propose donc un échange avec Ben Arfa » . Même si j’étais un très grand fan de lui, qui n’était pas forcément en odeur de sainteté à Lyon, j’ai coupé court car je tenais à ce que Rothen reste. » Loin de la capitale, HBA trace ensuite son itinéraire à Marseille puis en Angleterre. Avant de connaître un sévère coup d’arrêt avec le refus de la LFP d’homologuer son contrat avec Nice en janvier 2015 et une période de chômage de six mois. Il trouve alors en attendant un pied-à-terre à Saint-Germain-des-Près où il se plaît à redécouvrir la capitale. « On se baladait sur l’île Saint-Louis à côté de Notre-Dame, souffle Franck Etogo, l’un de ses amis d’enfance les plus fidèles. On a vécu comme des petits Parisien normaux. » C’est également en banlieue parisienne, d’Ivry-sur-Seine à Aubervilliers en passant par Puteaux et Meudon, qu’il s’entretient physiquement en prenant part à des fives. Jusqu’à la renaissance au Gym, aussi ébouriffante qu’inespérée, lui permettant d’accéder aux hauteurs du PSG. Enfin. « Il y a trois mois, pour plaisanter, j’avais dit à Olivier Létang (directeur sportif adjoint, ndlr) que je voulais qu’il me fasse un cadeau, confesse Cayzac, sourire en coin. En tant que supporter, je lui avais confié que je voulais qu’il m’amène au PSG un joueur : Ben Arfa. » Après avoir longtemps fantasmé, le cadeau est devenu une réalité. Ne reste désormais plus qu’à savoir si la virée nuptiale sera réussie.
Par Romain Duchâteau
Tous propos recueillis par RD, sauf ceux de Gérard Bonneau extraits du Progrès, Ben Arfa de France Football et Franck Etogo de L’Équipe Magazine