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Belmadi et Cissé, made in Champigny

Par Arthur Stroebele
7 minutes
Belmadi et Cissé, made in Champigny

Vendredi soir (21h), l’Algérie de Djamel Belmadi sera opposée au Sénégal d’Aliou Cissé en finale de la Coupe d'Afrique des nations. Si les deux sélectionneurs n’ont jamais joué ensemble, ils ont grandi à quelques kilomètres l’un de l’autre, à Champigny-sur-Marne (94), dans les années 1980. Pourtant, Cissé et Belmadi ne se sont jamais vraiment côtoyés, laissant chacun une empreinte différente dans leur ville d’enfance.

Vendredi soir, au moment où Djamel Belmadi et Aliou Cissé se salueront avant le match le plus important de leur vie, c’est à 5000 kilomètres du stade international du Caire que l’émotion sera la plus forte. Le temps d’une poignée de main, les communautés algériennes et sénégalaises de Champigny-sur-Marne (94) — réunies pour l’occasion devant un écran géant installé sur le stade municipal — célébreront deux des plus grands ambassadeurs de leur ville. Deux hommes liés par la ville du Val-de-Marne, nés à un jour d’intervalle — le 24 mars pour Cissé au Sénégal, le 25 pour Belmadi à Champigny-sur-Marne — de la même année, en 1976.

Des destins parallèles, mais pas forcément liés

Ce n’est que neuf ans plus tard que la route des deux se croise — ou se rapproche seulement, en réalité —, au moment où Aliou Cissé quitte le Sénégal et débarque à Champigny-sur-Marne avec sa mère. La famille Cissé s’installe au sud de la ville, dans la rue Musselburgh à quelques encablures du collège Willy Ronis où est scolarisé le jeune Aliou. Je l’ai connu à son arrivée à l’école, parce qu’on a été pendant deux années dans la même classe, explique son ami d’enfance Mehdy Bougguera. Pourtant, celui qui est aujourd’hui devenu président du FC Champigny n’est jamais complètement parvenu à briser la carapace du Sénégalais : « Une fois la journée de cours terminée, il passait son temps avec sa copine… Très discret, mystérieux. Je ne l’ai finalement connu que par le prisme du foot, il ne nous a jamais parlé de sa vie ou de son passé » , se remémore Mehdy. Dès son arrivée, Aliou Cissé s’inscrit au Red Star Champigny où il jongle entre le football et le handball. Il aurait aussi pu s’inscrire dans l’autre écurie du coin, le PA Champigny, club de la communauté portugaise, où joue Djamel Belmadi. Le club baigne dans cette culture lusitanienne faisant du foot le sport roi : une donne qui séduit le jeune Djamel.

Malgré des lieux de vie très proches, Belmadi et Cissé ne se côtoient jamais dans leur enfance, se croisant à de rares reprises, mais ne jouant jamais ensemble, ni l’un contre l’autre. « Ils n’ont pas grandi dans les mêmes quartiers de Champigny, détaille Chérif Chaouch, ami de toujours de Belmadi. Djamel vient du quartier de Bois-L’Abbé, dans le nord de la ville, et même si Aliou n’était pas très loin, on avait un espace de vie assez restreint. L’école était en face de chez nous, le terrain du club est juste à côté, on n’avait pas de raison de bouger. » Des destins parallèles donc, mais pas vraiment croisés en fin de compte. Même dans leurs résultats scolaires, les deux hommes empruntent un parcours différent. « L’école, c’est le seul point faible que je connaisse d’Aliou » , lâche Mehdy. « Franchement, il galérait. Les maths, le français… Il venait d’arriver du Sénégal et c’était dur pour lui. » Du côté de Djamel, en revanche, le parcours scolaire est radieux, dans le collège du quartier. « Bon élève, calme, discipliné » , décrit Chérif, qui est rentré en maternelle le même jour que Djamel sans jamais le quitter par la suite. Une rigueur imposée par ses parents qui, eux, n’ont jamais pu suivre d’études.

« Vous aurez du mal à trouver d’autres personnes qui connaissent Aliou, alors que Djamel… »

Son père, peintre en bâtiment, et sa mère femme au foyer devaient gérer les sept enfants dans un quartier particulièrement sensible, classé en zone de sécurité prioritaire. Cinq garçons, deux filles, et une famille connue de tous à Champigny-sur-Marne. « Vous aurez du mal à trouver beaucoup d’autres personnes qui connaissent bien Aliou, alors que Djamel… » , avoue Mehdy Bougguera. Une popularité familiale qui s’explique par le nombre d’enfants, grâce auxquels les réseaux de connaissance s’étirent au fil des années. Mais aussi par le football, grâce auquel Djamel Belmadi côtoie plusieurs générations de son quartier : « Il a rapidement eu l’envie d’en découdre avec des plus âgés et des plus forts que lui. Donc il faisait le nombre chez les grands, au début pour combler l’absence d’un joueur, et en fait très vite, ce sont eux qui se sont mis à le chercher parce qu’ils ont compris le niveau du jeune. Tout le monde les connaît grâce à Djamel » , explique Chérif Chaouch.

Surtout, Belmadi est, encore aujourd’hui, l’un des personnages clés pour les jeunes issus de l’immigration algérienne, nombreux à Champigny-sur-Marne. Très jeune, il entérine sa volonté de représenter l’Algérie. Un choix qui signifiait et signifie encore beaucoup pour les jeunes du Bois-L’Abbé, en quête d’identité et de figure modèle : un jeune de quartier, né en France, de parents algériens, qui représente les Fennecs. La fierté de jouer pour son pays est très vite débordante, aussi, chez Aliou Cissé. Déjà à l’époque de Champigny, il « l’a toujours dit : représenter le Sénégal était son rêve » , précise Mehdy. Mais pour ça, il fallait d’abord se sortir du quartier, et attirer l’œil des recruteurs.

Champigny-sur-Marne, berceau de champions

Or, pour percer dans le sport, Champigny-sur-Marne est peut-être le meilleur endroit dans lequel les deux garçons pouvaient atterrir. La ville est notamment le berceau de trois médaillées olympiques avec Haby Niaré en taekwondo, Émilie Andéol en judo et Estelle Mossely en boxe. Dotée d’une trentaine d’infrastructures (foot, judo, basket, hand), Champigny est réputée pour la qualité des initiatives sportives à destination des jeunes. « Tout le monde ne parle que d’eux ces deniers jours. La présence d’Aliou et de Djamel en finale de la CAN est un magnifique message délivré à la jeunesse d’ici » , se réjouit Karim Guet, directeur des politiques sportives de la ville. « On doit permettre à chacun de s’offrir la possibilité de réussir, et le sport est un merveilleux vecteur d’émancipation à Champigny » , poursuit-il. Et si les deux hommes se croisent aujourd’hui en finale de la Coupe d’Afrique des nations, ce n’est pas un hasard, estime Chérif Chaouch : « Ça vient de deux choses : les opportunités offertes par la ville via les belles infrastructures, et la réalité difficile du quartier qui oblige les jeunes à vouloir s’en sortir. Tu puises une force mentale et une fierté là-dedans. »

Quitter la ville d’enfance pour voir plus haut

Rapidement, Champigny-sur-Marne devient trop petit pour ces grands talents. Tous deux sont contraints à l’exil. Direction l’AS Sucy-en-Brie pour Djamel à ses 12 ans, et Viry-Châtillon puis Joinville pour Aliou, au même âge. Avant d’être repérés et de rejoindre, respectivement, le centre de formation du PSG et du LOSC. Lille, justement, c’est là où les deux Campinois auraient enfin pu croiser leurs trajectoires, puisque Belmadi a failli rejoindre les Dogues en 1997, au moment où Cissé y était : l’Algérien a finalement préféré rejoindre l’OM. Si Cissé n’a plus vraiment d’attache dans la ville de son enfance, Belmadi revient encore pour y voir sa famille et ses amis, « toujours partant pour organiser un five ou un match » , dit Chérif.

Finalement, l’amitié s’est nouée loin de Champigny, au fil des rencontres dans leur formation, d’abord, puis dans leur carrière professionnelle, ensuite. En conférence de presse ce lundi, le sélectionneur algérien s’est d’ailleurs réjoui de revoir son homologue sénégalais : « Jouer cette finale contre mon ami Cissé, c’est extraordinaire. C’est un bon message qu’on envoie à nos responsables du football en Afrique. » Quelques mois avant le début de la CAN, c’est Aliou Cissé qui avait été interrogé par le site cafonline.com sur ces retrouvailles, initialement prévues en phase de poules (victoire 1-0 des Verts) : « L’Algérie n’est plus à présenter. Aujourd’hui, ils sont en train de se bonifier avec l’arrivée de Djamel Belmadi que je connais, c’est un ami » , avait-il expliqué. À Champigny-sur-Marne aussi, désormais, tout le monde les connaît.

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Par Arthur Stroebele

Tous propos recueillis par AS, sauf mentions

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