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Beckenbauer et le «marécage» marseillais
Beckenbauer à l'OM ? Et pourquoi pas les chemises ouvertes de Rolland Courbis à Lens, ou les pulls acryliques de Guy Lacombe au PSG ? Retour sur la courte collaboration entre le mesuré Kaiser et le flamboyant OM du clinquant Bernard Tapie. Un choc des cultures pas franchement fécond.
Juillet 1990, Bernard Tapie prend le contrôle d’Adidas et l’Allemagne est sacrée championne du monde. La relation entre les deux événements ? On la devine quand Franz Beckenbauer, sélectionneur de la Mannschaft, débarque à l’OM dès le mois de septembre. Le Kaiser venait alors de s’engager pour dix ans avec Adidas. À Marseille, il ne s’attardera pas.
Plus qu’un jeu à trois bandes, la venue de Beckenbauer sur le Vieux-Port répond à la volonté farouche de Bernard Tapie de soulever la C1. À l’époque, pas grand monde ne résiste à Nanard. Il a son siège à l’Assemblée nationale, a battu le record de la traversée de l’Atlantique en monocoque à la barre du Phocéa, et prospère dans les affaires. « Maintenant, je sais comment gagner la Coupe d’Europe » avait grogné en avril 1990 le Golden Boy, furieux d’avoir vu son Olympique éliminé par la main de Vata. Une phrase qui a alimenté les suspicions sur les méthodes de winner employées par Tapie. Dans l’immédiat, l’omniprésident frappe très fort : tout d’abord, 50 millions pour acheter Dragan Stojković, record absolu pour un transfert en D1, puis Franz Beckenbauer, qui rapplique. Le Kaiser est « séduit » par le personnage Tapie.
Faux départ
En installant la légende allemande sur le Vieux-Port, le boss de l’OM a avant tout voulu s’acheter du respect. Pour que Marseille en impose sur la scène européenne. En langage d’affaires, on appelle cela du lobbying. Devant le pedigree du Kaiser, Gérard Gili se doit de s’éclipser. Il vient pourtant de réaliser un début de championnat canon : sept victoires, deux nuls, mais une moustache qui ne dit rien à personne. Le samedi 22 septembre, au Vélodrome, pour la première de Beckenbauer sur le banc phocéen, l’OM perd son invincibilité face à Cannes (0-1). Faux départ pour une relation condamnée à l’échec.
À Marseille, Beckenbauer se cherche des repères. Il juge les installations de l’OM « indignes de celles d’un grand club » . De celles du Bayern, par exemple. Les manières locales n’ont aussi, rien à voir, avec la froide civilité bavaroise. À peine a-t-il débarqué, que le Kaiser voit les ex-toulonnais Pardo, Olmeta et Casoni, se faire embarquer par la police. « Je n’ai rien compris à ce qui se passait car je ne parlais pas un mot de français, a commenté le Kaiser dans L’Équipe, avant le quart de finale aller de Ligue des champions. Tout cela était vraiment malvenu. » Beckenbauer cherche encore ses mots dans le dictionnaire mais n’a pas besoin de traducteur pour comprendre rapidement qu’il baigne dans un environnement singulier. « Un marécage » comme il le qualifiera dans ce même entretien donné au quotidien sportif. « Si cela n’a pas marché, ce n’est pas à cause de la barrière de la langue ou de Bernard Tapie, mais parce que je ne voulais pas être mêlé à tout ça. Je suis aussitôt allé voir Tapie et je lui ai dit :« Ne m’en veux pas, mais je m’en vais. » »
Au placard
Fin décembre, Beckenbauer rend son tablier d’entraîneur. Raymond Goethals prend sa succession. Le bilan du double Ballon d’or (1972, 1972) n’a rien de reluisant : huit victoires, deux nuls, et cinq défaites. Le Kaiser se refuse toutefois à partir comme un voleur, et accepte de terminer la saison en tant que directeur sportif. De son placard, Beckenbauer voit l’OM livrer les deux plus grands matchs de son histoire (quarts de finale aller-retour face au Milan AC). Il voit aussi Goethals ne pas perdre un match en championnat, et échoué d’un rien en finale de la Coupe des Champions.
Interrogé, lui aussi, à la veille du quart de finale aller entre l’OM et le Bayern, Bernard Tapie assure que la venue du Kaiser a bien changé la donne sur le Vieux-Port. « Le changement fut incroyable. Partout où l’OM de Beckenbauer passait, il n’était plus traité de la même manière Il nous a apporté tout ce que l’on n’avait pas. Avec Beckenbauer, l’OM est devenu un club très discipliné. Sa part dans notre succès en Ligue des champions en 1993 est énorme. » Ou comment s’envoyer des fleurs en dressant l’éloge d’un ex-prestigieux collaborateur.
Par Thomas Goubin