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Beausejour, orgueil mapuche
Son nom est une invitation au voyage, mais son niveau est souvent mis en cause au Chili. Pour ses détracteurs, Bose fait partie de la sélection uniquement en raison de son amitié avec Vidal et Valdivia. Pourtant el negro Jean est un joueur important pour Sampaoli comme il le fut pour Bielsa. Portrait d'un leader de vestiaire, un équipier modèle et surtout un homme aux convictions rafraîchissantes.
En France, on appellerait cela une Dugarry. À l’image du désormais commentateur de Canal+, supposément appelé en équipe de France en 98 en raison de sa proximité avec Zidane et Lizarazu, il se dit à Santiago que Jean Beausejour est à chaque fois sélectionné à cause de son amitié avec Valdivia et Vidal. Avant chaque compétition, on le dit usé, maladroit, pas au niveau, et les réseaux sociaux pestent contre sa sélection. Pourtant, quand vient l’heure pour Sampaoli de composer les feuilles de match, l’homme qui laboure le flanc gauche de Colo-Colo n’est jamais loin. Et il déçoit rarement. Car s’il est parfois maladroit, Beausejour présente un profil intéressant pour Sampaoli. Il est polyvalent, peut jouer aussi bien arrière gauche qu’ailier, rapide et puissant physiquement, une caractéristique rare en sélection chilienne. Constant, l’ancien joueur de Wigan est aussi un joueur intelligent tactiquement, une qualité qu’il doit à Bielsa, à propos duquel il ne tarit pas d’éloges : « Pour moi et pas mal de coéquipiers, Bielsa a changé ma manière de voir le foot, il nous a ouvert l’esprit. C’est comme la matrice. Peut-être que je joue aussi mal qu’avant, mais si je fais un mauvais match maintenant, je le fais en ayant conscience des choses que je fais mal. Bielsa t’ouvre une autre dimension du football, une nouvelle vision. Être avec le Loco, ce n’est pas juste du foot, c’est croire en une idée de manière excessive. »
Bourrés à l’aube
Mais surtout, son entente avec Valdivia fait des merveilles. Il faut dire que les deux hommes se connaissent parfaitement. Respectivement prêtés par Colo-Colo et la Cato, ils se font les dents ensemble du coté de Concepcion en 2003 et bossent leur complémentarité. Une association juteuse déjà perçue par Bielsa, qui associait systématiquement les deux hommes. Pas étonnant, donc, si le Mago recherche constamment le « Negro » lors des attaques chiliennes. Pas étonnant non plus qu’en 2012, les deux hommes rentrent ensemble saouls à l’aube, après le baptême de la fille de Valdivia (avec Jara et, déjà, Vidal) dans ce qui fut le dernier scandale en date chez la Roja, avant l’affaire Vidal.
Il faut dire que le foot, pour Jean, c’est d’abord une affaire de potes. Jeune, alors qu’il s’enquille deux heures de bus chaque matin pour aller de son modeste quartier d’Estacion Central au stade de la Catolica dans le barrio alto, l’homme refuse la promotion en équipe fanion. La raison, Beausejour l’expliquait l’an passé pour le magazine de Colo-Colo : « À la Cato, j’étais hyper pote avec les joueurs de ma catégorie d’âge. Mon utopie, c’était qu’on joue tous ensemble en équipe première. Je n’étais pas spécialement content quand on m’a annoncé que j’allais jouer avec l’équipe première. J’aurais voulu jouer pour toujours avec les potes de ma catégorie. Je m’entraînais avec eux le matin et quand on venait me chercher pour enchaîner avec l’effectif professionnel, je me cachais, car je n’avais pas envie d’y aller. »
À l’âge ou tout footballeur rêve de promotion en équipe première, le Negro préfère l’amitié et la beauté du geste. Il faut dire que l’homme n’est pas à un paradoxe près. Dans un Chili très homogène ethniquement, Jean détonne par son métissage haïtien/ mapuche. De son père, qui ne l’a pas élevé, le joueur de Colo-Colo a gardé un blase impayable, et imprononçable pour les Chiliens (à Santiago, on dit « Boseyour » ). De sa famille maternelle, et surtout de son grand-père, El Negro a gardé chevillée au corps la défense de l’identité mapuche. Les Mapuches sont les indigènes natifs du Chili, un peuple pourtant peu reconnu officiellement et dont les révoltes sont régulièrement réprimées par les militaires qui appliquent dans la région de Temuco la loi anti-terroriste. De ces origines, Beausejour a gardé un second nom, Coliqueo, et des convictions qu’il détaillait dans le supplément du Mercurio, récemment : « Tous les gouvernements l’ont géré comme un problème criminel et c’est pour cela que la loi antiterroriste a été appliquée, mais en réalité, c’est un problème national. Le gouvernement de Pinera a été très répressif avec le mouvement mapuche, celui de Bachelet dans une certaine mesure aussi. Elle a rétabli la loi anti-terroriste en Araucanie, je le dis avec pas mal de douleur, car sinon j’adhère à beaucoup des idées de Bachelet. J’ai voté pour elle. »
Alors que la fierté mapuche a longtemps été réprimée, Beausejour Coliqueo, lui, n’hésite pas à la revendiquer : « La génération de nos parents n’a pas transmis à ses enfants la fierté d’être Mapuche, car la dictature était très répressive avec le sujet. Être mapuche était synonyme de raillerie et les parents n’ont pas voulu transmettre cette honte à leurs enfants, ils ont voulu les protéger en leschilenisant. Moi, mon grand-père m’a transmis cet orgueil mapuche depuis mon enfance, je porte mon nom et mes traditions avec honneur. » Face aux footballeurs généralement peu bavards à propos de leurs convictions politiques, Bosé oppose les siennes avec lucidité et modestie : « Je ne me sens pas capable d’être le porte-parole d’une lutte aussi grande. Je crois que nous devons tous lutter et forcer les choses avec nos moyens. Je ne le dis pas uniquement parce que j’ai la possibilité de m’exprimer dans les médias. Je le dis avec ma posture de citoyen, autant chilien que mapuche, et qui porte avec honneur un nom de famille mapuche. » Une posture rafraîchissante. Celui qui a reconnu que certains de ses oncles mapuches n’étaient pas ravis de le voir jouer en sélection, confesse au passage un dernier rêve : « Si la Catalogne a une sélection, pourquoi les Mapuches n’en auraient pas ? Mon rêve est de jouer pour la sélection du Wallmapu. » Même si, avant cela, il y a une Copa América à aller chercher avec le maillot chilien.
Par Arthur Jeanne, à Santiago de Chile