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Be nice with Brice
Après ses boulettes contre Paris, la tentation de tirer sur Brice Samba à boulets rouges est grande. Mais est-ce qu'un jeune gardien de 24 ans qui vit sa première saison comme titulaire mérite un tel traitement pour avoir loupé un match ? N'importe quel être humain doté d'un cœur répondrait que non.
Jusqu’à 21h12 dimanche dernier, les similitudes entre le parcours de Brice Samba et celui de Steve Mandanda étaient déjà flippantes : naissance en Afrique centrale dans deux pays voisins (Congo-Brazzaville pour l’un, République démocratique du Congo pour l’autre), début de formation à Évreux, passage en pro au Havre, puis signature à l’Olympique de Marseille. À 21h13, le gardien du Stade Malherbe de Caen a eu le droit d’ajouter une nouvelle ligne au jeu des 7 ressemblances : la relance dans l’axe catastrophique qui termine dans les pieds adverses, suivie d’un face-à-face perdu et d’un but encaissé. Rendre hommage au gardien numéro 2 de l’équipe de France est déjà une belle preuve de caractère. Mais Samba ne s’est pas arrêté là et a voulu monter en grade en casant une dédicace au numéro 1. Alors à une minute de la fin du temps réglementaire, il s’est permis une joyeuse imitation d’Hugo Lloris face à la Croatie en tentant un dribble absurde juste devant son but, et en se faisant prendre le ballon. Là encore avec un but encaissé à la clé. Après le match, Samba a au moins eu le mérite de ne pas esquiver les questions qui fâchent et est venu faire le boulot devant les caméras : « C’est une défaite que je prends pour moi. Je plombe un peu l’équipe, je les mets à l’envers, entre guillemets, avec cette mauvaise relance en première mi-temps. Déjà que face à Paris, c’est pas facile, si en plus on leur donne des buts, c’est encore plus compliqué. » Une drôle de manière de démarrer sa carrière de titulaire.
« C’est un raisonnement totalement con »
Car avant ça, le gardien caennais n’était qu’une ombre passée par la Normandie, le Grand-Est et la région PACA sans convaincre nulle part. L’histoire commence par un record de précocité, quand il devient le plus jeune joueur de l’histoire du HAC à devenir professionnel en 2010, alors qu’il a 16 ans. Elle se poursuit par des rendez-vous manqués avec son destin, aucune apparition en Ligue 2 avec Le Havre, puis un transfert à l’OM où le sort qui l’attend est clair et net : être la doublure de Mandanda. En même temps, le gamin n’a que 18 ans au moment où il débarque dans le Sud, et ceux qui le suivent imaginent qu’il est enfin sur la bonne rampe de lancement. Sauf qu’en trois saisons sur place, Brice Samba portera le maillot de l’OM à quatre reprises. Famélique. Même une saison en prêt à Nancy ne change rien à l’affaire, et Samba fait banquette partout où il passe.
Au printemps dernier, il analysait ses ratés dans les colonnes de L’Équipe : « Jusqu’à peu, j’étais un enfant. Mon problème, il était mental.(…)Quand tu signes pro à seize ans, que deux ans plus tard tu signes à l’OM et qu’en jeunes, ça dit : « Brice, Brice, Brice », à un moment, tu tombes dans une certaine facilité. On ne va pas se voiler la face, je n’ai pas bossé.(…)À Nancy, je me suis vu trop beau. Je me suis dit : je viens de Marseille, forcément, je vais jouer. C’est un raisonnement totalement con. » Du coup, Samba n’a même pas dix matchs chez les pros dans les jambes quand il signe à Caen à l’été 2017. Où là aussi on brode son nom en lettres d’or sur un appuie-tête du banc de touche, puisque la place de numéro 1 est l’apanage de Vercoutre.
Le train qui passe trois fois
Printemps 2018. Rémy Vercoutre passe au confessionnal : « Je vais passer la main en fin de saison et arrêter le football. Il est temps de tourner la page. » Dans la foulée, Patrice Garande promet à Samba la place de titulaire pour la saison suivante, mais sans enthousiasme : « Je ne vais pas dire qu’il joue son avenir, mais quand même un petit peu. Il est prévu qu’il soit notre gardien la saison prochaine.(…)Partout où il est passé, ses qualités ont été unanimement reconnues, mais ça n’a pas fonctionné. Quand le train passe une fois, deux fois… Là, il est en train de passer une troisième fois, faut pas le louper. » Une promesse qui a survécu au changement d’entraîneur et à l’arrivée de Fabien Mercadal sur le banc des Normands, et alors que Samba a réalisé de grosses performances en Coupe de France en fin de saison dernière.
Dimanche soir, c’est donc ce gaillard qui s’est troué face aux attaquants parisiens. Un jeune homme de 24 ans à qui un club fait réellement confiance pour la première fois de sa carrière, et qui est devenu assez adulte pour passer par la case introspection et tirer les leçons des choses bêtes qu’il a faites par le passé. « Il va en souffrir, mais ça lui permettra de grandir, désamorçait Mercadal après le match contre Paris. On peut tirer sur Brice, mais je ne le ferai pas, car ce serait terriblement injuste. » Réputé pour être un monstre de confiance en lui – il a refusé plusieurs convocations de la sélection congolaise, pensant qu’il aurait un jour sa chance en Bleu –, Samba aura l’occasion de vraiment lancer sa saison et sa carrière samedi prochain face à Nice. Il pourra également montrer qu’il sait jouer sans se tirer une balle dans le pied, et même en les utilisant à bon escient.
Par Alexandre Doskov