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  • Joyeux anniversaire Bayal Sall

Bayal Sall, trente et un ans et presque toutes ses dents

Par Camille Belsœur et Bruno Poussard
Bayal Sall, trente et un ans et presque toutes ses dents

Il avait séché la reprise de l’entraînement à Saint-Étienne début juillet. Moustapha Bayal Sall s’est finalement engagé avec Al-Arabi au Qatar. Geoffroy-Guichard n’assistera donc plus aux découpages en règle du roc aux gros cuissots ni à ses duels verbaux avec de grands attaquants suédois. Peut-être aussi parce que Bayal Sall, solide défenseur à la culture de battant inculquée sur son île natale de Gorée, a eu trente et un ans ce mercredi. Et ouais.

Il n’y a qu’une manière de rallier Gorée, confetti de terre qui émerge de l’océan Atlantique à quelques kilomètres au large de Dakar : le bateau. Et pour 99% des Sénégalais et touristes, c’est la chaloupe qui les déposera sur cette île de trois kilomètres de long, découverte par le navigateur portugais Dias en 1444 et tristement connue pour son passé esclavagiste. Loin des cales putrides et des biscuits secs de l’époque, les voyageurs embarquent aujourd’hui dans le moderne port de Dakar, où la salle d’attente du ferry sent la crème solaire et mélange expatriés européens, familles de la classe moyenne sénégalaise, insulaires et touristes occidentaux. Cette chaloupe est chevillée à la carrière de Moustapha Bayal Sall, comme d’autres ont le centre de formation de leur adolescence gravé dans la peau. Né à Gorée, le futur ex-défenseur de l’AS Saint-Étienne a commencé sa vie de footballeur à bord du ferry. Il l’a emprunté matin et soir pour se rendre à l’entraînement sur le continent. « Quand je jouais à l’US Gorée en juniors, je prenais tout le temps le bateau, alors que les autres utilisaient des moyens de transport classiques, raconte Sall. C’est comme ça qu’ils ont tous commencé à me surnommer « loupecha », chaloupe en verlan. Quand j’ai des amis sénégalais au téléphone, ils continuent à m’appeler comme ça. » Même si le défenseur des Lions de la Téranga a ensuite pris l’habitude de rejoindre L’Étrat, le centre d’entraînement de l’ASSE, à bord d’une Porsche rutilante, jantes rouge et noir jusqu’aux vitres teintées.

Des tours de l’île à la nage

Si Bayal Sall tient indirectement son surnom du fait d’être né sur une île, il doit aussi à Gorée son physique de déménageur. « Je nageais beaucoup et bien. On avait un maître-nageur qui, l’été, supervisait la petite plage de l’île, juste à côté de l’embarcadère. Pendant les vacances, c’est lui qui nous apprenait entre les deux quais à nager. On faisait des petites compétitions autour de l’île. Je nageais le crawl, la brasse. Mais je n’ai jamais fait la traversée Gorée-Dakar comme certains de mes amis » , dit-il. Pas moins physique, son autre passe-temps quand il ne tapait pas la balle a longtemps été la pêche. « Avec mon meilleur ami, Ibou, on partait à la mosquée à six heures du matin et quand on avait fini, on allait chercher les poissons. On plaçait les filets le soir et on les relevait le matin. On allait aussi pêcher loin en mer, avec nos cannes sur une barque. » À la dure, son enfance a poli la musculature du défenseur stéphanois. De ses pectoraux à ses cuissots. « On avait même un préparateur physique qui s’occupait spécialement de Bayal, raconte Maguette Dia, son ex-équipier à l’US Gorée. À l’époque, il avait déjà des muscles énormes, et il fallait bien les chauffer avant l’entraînement ou les matchs. On prenait soin de lui. » Au sujet de son tour de cuisse de son désormais ancien défenseur, Christophe Galtier, l’entraîneur stéphanois, se marre : « C’est vrai qu’ils ont toujours pris soin de ses cuisses ici, il y a de la surface en même temps ! » La plupart de ses frères sont grands ou costauds. Lui cumule les deux : « Je suis né costaud. Les gens pensaient que je faisais de la musculation, mais non, pas de pompes, rien du tout, juste des abdos. Sur l’île, des gamins m’appelaient même « yuruba », le nom des gardes bien costauds au Nigeria. »

Sa puissance naturelle a agi comme un coup de pouce pour percer dans le football sénégalais. Alors qu’il observe derrière ses épaisses lunettes aux verres fumés un match amical entre vétérans de l’île, Cheick Diallo, demi-frère de Bayal – né de la même mère – se souvient : « Lors d’un de nos premiers tournois, on perdait deux-zéro et le coach avait mis Moustapha sur le banc. Il l’a finalement fait entrer et il a marqué deux buts tout de suite sur deux frappes lointaines. C’est son premier petit exploit à Gorée. On a tous gardé en tête ses frappes de 25 mètres qu’il décochait parfois en match. » De son torse bombé, le jeune Moustapha a survolé les Navétanes, ces traditionnels championnats de quartier disputés l’été où il a aussi fait parler ses talents de tireur de coups francs. « Je frappais en force, pas en finesse, clarifie-t-il. Au Sénégal, ils me demandaient pourquoi je n’en tirais pas en arrivant en Europe. « Ils ne savent pas que tu en as déjà marqué du rond central ! » me disaient-ils. Mais je ne suis pas là pour marquer, juste pour faire mon job. » Son job, justement, s’est précisé avec le temps. Des juniors de Gorée à l’US Douanes, un autre club de Dakar où il s’est retrouvé prêté. Concentré sur son activité de récupération et de relance, le milieu a vite réalisé qu’il préférait passer que marquer. Se sacrifier plutôt que s’illustrer. « J’aimais la course, le combat, les duels, tout le temps tacler, tacler… repète Bayal Sall. Comme il y avait toujours beaucoup de sable, on essayait techniquement de bien contrôler la balle pour éviter de se mettre en difficulté. »

« Même l’entraîneur, je l’ai agressé »

La joie des tacles sur moins de sable, Bayal Sall l’expérimente à l’été 2006, à son arrivée dans le Forez. Son âge à l’époque : vingt ans. « Mon premier entraînement, c’était sur le terrain Aimé Jacquet, et je taclais tout le monde. Je m’en souviens bien, après un circuit pour travailler la technique et l’endurance, on avait fait un toro, et j’étais dans l’équipe de Julien Sablé. J’ai commencé trois jours, et l’entraîneur (Ivan Hasek, ndlr) a voulu me prolonger d’une semaine. Je m’entraînais avec les pros, il a vu que j’étais là et que je ne lâchais rien. Si je n’avais pas le ballon, j’agressais tout le monde. Même l’entraîneur, je l’ai agressé. Voilà, après il a sauté (rires). » La Ligue 1 a fait sa connaissance le 6 octobre 2007, lors d’un choc entre les Verts et l’OM. Bayal Sall est dans le onze depuis quelques matchs, les habituels titulaires, Tavlaridis et Nivaldo étant blessés ou suspendus. « On joue Marseille, on gagne 1-0 avec un but à la 95e. En face de moi, il y avait Mamadou Niang et Djibril Cissé que j’ai bien tenu, alors qu’il était chaud à ce moment-là. Ce match-là, il m’a fait basculer derrière, direct. » C’est à son issue qu’il gagne d’ailleurs un (autre) surnom, le roc.

Un petit nom éprouvé et approuvé par l’attaquant le plus connu que la Ligue 1 ait jamais compté : Zlatan Ibrahimović. Automne 2012, au Parc, les deux hommes s’échangent des coups virils et quelques bons mots. Capté par les caméras, le « I fuck you toi aussi » de Bayal Sall reste encore mythique. « J’ai fait mon match tranquillement, je ne l’ai pas calculé, commente-t-il sobrement. Moi, avant ce match, je ne le connaissais pas trop. Je le voyais en Italie, mais je n’avais jamais joué contre lui. Il m’a d’abord insulté en suédois, puis en anglais, j’ai juste répondu ! Sur le terrain, c’est le football. Quand il est devant moi, il a beau être costaud, technique et faire peur à tout le monde, moi j’ai dit non, je me fous de Zlatan ! Il vient au combat, je vais au combat. » De la surprise de sa réaction, Bayal Sall tire assurément le respect de Zlatan, dont ont disposé assez peu de footballeurs du championnat de France. Car derrière les chambrages, l’international scandinave a fait passer ses compliments, par l’intermédiaire de Blaise Matuidi, qui, l’année dernière, a proposé au défenseur stéphanois, alors blessé, de rentrer dans le vestiaire sacré du PSG. « Zlatan est venu vers moi, et puis il m’a attendu les bras en croix, en me disant « Ça va mon ami ? » Ça fait toujours plaisir d’échanger en dehors du terrain. »

La prière de 5h du matin

Mais le défenseur stéphanois n’est pas qu’un Hercule triomphant de l’adversité par la force. Il a aussi construit sa carrière avec sa tête. C’est elle qui lui a permis de supplanter la concurrence. À Gorée, Bayal Sall a grandi aux côtés d’Ibou Ndione. Son meilleur ami, son complice dans toutes les équipes de jeunes de l’île, et l’autre diamant de la paire infernale qui a hissé l’US Gorée en Ligue 1 sénégalaise. « Il me disait toujours: quand un jour tu partiras en Europe, je viendrai avec toi, raconte le défenseur stéphanois. On priait aussi ensemble. Lui respectait bien l’horaire de la mosquée. Il me réveillait à 5h du matin, alors que moi, j’avais un peu plus de mal avec les horaires des prières. » Finalement, Ndione s’est échoué au Maroc, puis à Oman. À l’opposé, Bayal Sall a patienté pour réaliser ses rêves d’Europe avant de rejoindre aujourd’hui le Qatar pour la fin de sa carrière. Mais si la carrière du défenseur sénégalais a plusieurs fois tenu à un fil pendant ses neuf années chez les Verts, il s’est accroché avec ses tripes. Jusqu’à s’imposer dans l’historique vestiaire, devenant capitaine en l’absence de son pote Loïc Perrin. « C’était à la fois un gagneur, un mec sympa et un leader, mais c’est sur le dernier point qu’il a le plus évolué, je pense » , décrypte son ancien partenaire aux Douanes, Vito Badiane.

Depuis toujours, Bayal Sall sait où il veut aller. S’éloigner des filles et des bars ont été ses premiers sacrifices de jeunesse. « Quand mes amis rentraient de boîte à six heures du matin, moi j’allais courir » , relate-t-il. « Même quand il n’avait pas d’argent, il s’achetait de l’eau minérale. Car si tu bois l’eau du robinet, c’est mauvais pour le corps ici. Il avait déjà un mode de vie de pro dans sa jeunesse » , ajoute Pape Omar Ngala Ndoye, ex-coéquipier de Sall à l’US Gorée, et toujours dans l’équipe aujourd’hui. La détermination du défenseur stéphanois nous ramène encore à l’embarcadère du ferry, que le déjà grand Bayal Sall a souvent manqué, à force de prolonger les entraînements matinaux sur le continent. « On courait, on prenait des raccourcis pour l’avoir. Parmi les gens qui nous voyaient passer, certains pensaient même parfois qu’on avait volé quelque chose. Au bout d’un moment, j’ai dit : « C’est bon, si je loupe la chaloupe de 12h30, je prends l’autre. » Alors j’ai commencé à payer le deuxième gardien du club pour frapper des coups francs, faire des frappes de loin… »

Un maillot préparé par le marabout

Plutôt famille que clubbeur, « Mouss » a aussi ses superstitions. À son arrivée en prêt aux Douanes, elles ont failli lui jouer un bien mauvais tour. Habitué à jouer avec le numéro 12, Bayal Sall avait d’abord négocié pour le garder au sein de sa nouvelle formation, jusqu’à ce qu’un équipier ne tente de lui reprendre juste avant le premier match de la saison. « Mais mon marabout avait préparé le maillot, et quand tu l’enfiles, il ne faut plus l’enlever, coupe l’intéressé. Alors j’étais prêt à me battre avec lui. Je lui avais dit que je l’allais le défoncer si je n’étais pas son partenaire. » Sans les poings, Bayal Sall a finalement gardé son numéro. Ses rituels, eux, ont disparu saison après saison, sans qu’il ne délaisse pour autant sa croyance. Loin de son île, l’ex-Stéphanois a toujours gardé en lui ses racines. Et veille à les inculquer à ses enfants, qu’il a renvoyés au pays pour qu’ils aient conscience de leur identité. « Pour leur bien, je les avais d’abord amené en France quand ils étaient petits, mais j’ai vu que quelque chose leur manquait quand je les emmenais dehors, justifie-t-il. Et puis j’ai vu les enfants d’autres joueurs africains être mal éduqués ici. Ils insultent leur mère et oublient leurs racines. »

Quand il revient au pays lors des périodes de vacances, le défenseur stéphanois n’oublie pas de faire un crochet sur l’île. Son « père adoptif » , c’est Augustin Senghor, maire de Gorée, président du club de foot local et surtout patron de la Fédération sénégalaise. C’est aussi le conseiller de Bayal Sall depuis ses débuts. « Au-delà de ce qu’il porte comme titre, c’est un avocat, le président de la Fédération sénégalaise, le maire de l’île… C’est un homme bien. Il m’a bien éduqué. Quand je me suis marié, c’est à lui que je l’ai annoncé en premier. C’est aussi lui qui m’a conseillé pour la maison que j’ai acheté à ma mère, les immeubles que j’ai achetés à Dakar. Après, je fais ce que je veux, mais il nous donne des idées. C’est quelqu’un qui m’aide beaucoup et qui m’a beaucoup aidé. » Et Mustapha le lui rend bien. « C’est un vrai modèle pour les jeunes, c’est important qu’il garde le contact, débite Augustin Senghor, en épongeant la sueur qui coule à torrent sur son front au sortir d’un amical entre vétérans de l’île de Gorée. Ici, on se bat pour garder la tradition sportive historique de l’île, et l’US Gorée est le deuxième plus vieux club du Sénégal. »

« J’achète cent maillots et je les ramène ici »

Outre ses déjeuners avec Augustin, quand il débarque sur l’île du haut de son mètre 94, « La chaloupe » distribue les cadeaux. « Parfois, j’achète cent maillots en France et je les ramène ici, glisse Bayal Sall. Fredo, (l’intendant du club stéphanois, ndlr) peut te le dire. C’est 80 euros le maillot. J’ai payé jusqu’à 10 000 euros de maillots en rentrant avec le maximum de valises autorisées en soute. Je donne beaucoup, car je sais d’où je viens. Pendant l’été, on organise aussi des tournois. Je sais qu’un autre petit sortira un jour de Gorée et deviendra professionnel. Et à son tour, il fera pareil. Il achètera des maillots, des chaussures, en se rappelant d’où il vient. » Et ils sont plusieurs jeunes Goréens à marcher dans les traces de leur idole en espérant eux aussi rejoindre un jour cette Europe lointaine. Assane notamment. À dix-huit ans, ce jeune espoir de l’US Gorée a joué quelques bouts de match en Ligue 1 sénégalaise. Il est le seul natif de l’île parmi les jeunes. « Bayal Sall, c’est mon modèle. Il a montré qu’un îlien pouvait réussir, partir en Europe et jouer avec les Lions. Je rêve de rejoindre la France comme lui. »

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