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Bayal Sall : « Si je suis dans la merde un jour, l’ASSE ne sera pas là»
À quelques mètres du stade de Gerland, à la Plaine des Jeux, la silhouette du colosse d’1,93 m Moustapha Bayal Sall ne passe pas inaperçue. Sur le terrain d'entraînement, le nouveau joueur de Lyon-Duchère (N1) n'a rien perdu de sa capacité de dissuasion et de sa voix. C'est ici, aux côtés de Laurent Roussey, que l'international sénégalais aux 233 matchs avec les Verts a choisi de se relancer après trois années difficiles. Entre balades d'un Stéphanois à Lyon, Matuidi, respect et plus gros derby d'Europe, entretien désherbant.
Comment un joueur qui a défendu les couleurs stéphanoises pendant dix ans (de 2006 à 2016) atterrit-il à Lyon ?Cet été, je suis revenu à Saint-Étienne pour m’entraîner avec la réserve et j’ai croisé en ville Laurent Roussey, le nouvel entraîneur de La Duchère. Il m’a présenté le projet ambitieux du club, mais je lui ai dit de me rappeler lorsque je rentrerais du Sénégal. Et c’est ce qu’il a fait, plusieurs fois… Comme c’est la personne qui a lancé ma carrière professionnelle à Saint-Étienne, c’était à moi de lui rendre la monnaie de sa pièce, donc je lui ai dit OK pour une saison afin d’aider le club à monter en Ligue 2 et tenter une nouvelle expérience.
À 33 ans et après trois saisons à l’étranger sans beaucoup jouer, as-tu eu peur de ne pas retrouver de club ? Non, jamais. J’avais quelques contacts, en France et à l’étranger. Mais comme je n’avais pas joué depuis un an en raison du décès de mon père et que les deux saisons précédentes, j’avais évolué au Qatar où il n’y a pas de niveau puis en Belgique (Royal Antwerp), j’avais un peu disparu des radars. Les clubs se posaient des questions sur mon état de forme. La Duchère, c’est aussi l’occasion de me relancer.
Comment juges-tu le niveau du National 1 ? Pas trop dur de passer de meilleur ennemi de Zlatan à l’anonymat ?Ce n’est pas la L1 ou de la L2, mais on ne peut pas prendre la N1 à la légère. Ce championnat est plus physique, et nécessite un comportement professionnel. Il faut oublier son nom, son image et se mettre au niveau. Je m’en fous qu’il y ait moins de supporters, ou moins de télévisions. Quand j’entre sur un terrain, mon objectif est toujours que l’équipe gagne, et je ne me prends pas la tête sur le reste.
Comment se passe la vie d’un ancien Vert à Lyon ? Très bien ! Mais déjà à l’époque où je jouais à Saint-Étienne, je me baladais souvent à Lyon. Le lendemain du derby de 2014, mon but et notre victoire 3-0, j’étais à Lyon avec ma femme à Part-Dieu et je n’ai jamais eu de souci. Au contraire : depuis que je suis arrivé, beaucoup de Lyonnais m’interpellent. Encore hier, un supporter m’a dit qu’il aurait aimé que je joue à l’OL. La rivalité, c’est sur le terrain.
Cet été, tu t’es entraîné avec Saint-Étienne. Tu aurais aimé y signer un nouveau contrat ? C’est la maison, j’aurais beaucoup aimé. J’ai parlé avec le président de ma volonté de revenir et me relancer à Saint-Étienne, mais je n’ai pas eu de nouvelle et j’ai compris qu’ils n’étaient pas intéressés. Ça m’a fait un peu mal parce qu’avec tout ce que j’ai fait pour le club, je pense qu’ils auraient pu faire un geste. Des joueurs de l’effectif me disaient qu’ils souhaitaient mon retour. Je pense qu’en tant qu’ancien Vert, et pas n’importe lequel, je méritais plus de respect. J’ai compris que si un jour j’étais dans la merde, ils ne seraient pas là.
De quel président parles-tu ?Romeyer. Je ne parle pas à Caiazzo.
Justement, le fonctionnement du club à deux présidents est souvent pointé du doigt par les supporters. Qu’en penses-tu ? C’est bizarre. Mais pour les joueurs, il n’y a qu’un président : Roland Romeyer. C’est le seul que l’on voit à l’entraînement, dans les vestiaires. Certains ne doivent même pas connaître Bernard Caiazzo.
Toi qui as suivi la préparation des Verts de l’intérieur, arrives-tu à expliquer leur mauvais début de saison ? Je pense que le problème vient du recrutement. Je ne parle pas de la qualité des joueurs, mais ils ont trop recruté. Ils auraient dû doubler les postes, et rester dans la continuité… Mais en recrutant autant de milieux notamment, ils ont bouleversé l’équilibre du groupe et j’ai l’impression que les joueurs ne se donnent pas à fond.
Penses-tu que le départ de Jean-Louis Gasset, remplacé par Ghislain Printant, est aussi une raison ? Gasset est une bonne personne, il me taquine depuis qu’il est à Bordeaux. Le changement a pu déstabiliser les joueurs, car c’est un très bon entraîneur, tranquille. Il les a sauvés, puis qualifiés en Ligue Europa et a créé une équipe qui l’aimait et voulait gagner pour lui. Mais je pense que le début de saison raté n’est pas uniquement lié au coach, il faut aussi que les joueurs se réveillent. Il manque surtout de la confiance, dans ce club.
De quoi a besoin l’ASSE, pour s’installer comme le top en France ?De joueurs qui savent ce que le club représente, et de gagner en régularité. Saint-Étienne doit faire peur aux adversaires, et ce n’est pas le cas cette saison. J’ai regardé le match contre Nîmes, et l’équipe qui avait peur, c’était Sainté. À mon époque, lorsqu’une équipe venait au Chaudron, elle savait qu’elle allait perdre. Même Paris avait peur. Blaise Matuidi m’a dit, un jour : « Laurent Blanc nous fatigue lors de la préparation des matchs contre vous, car il vous craint. Il sait que vous n’avez peur de rien, et que vous pouvez nous battre. »
Que penses-tu du retour de Juninho à Lyon, toi qui l’as affronté plusieurs fois ?Lyon n’oublie pas ses anciens, c’est important de faire appel à des gens qui connaissent le club et c’est super d’avoir rappelé Juninho. Je ne me fais pas de soucis pour eux, il a toujours beaucoup travaillé pour l’OL. C’est le travail d’un Lyonnais, pour les Lyonnais…
Tu as participé à neuf derbys, qu’est-ce que ce match représente pour toi ?Sainté-Lyon, c’est l’un, voire le plus gros derby d’Europe. Dès le début de saison, les supporters sont très clairs : ils préfèrent battre deux fois l’OL que d’être champions de France. C’est exceptionnel, il n’existe rien de plus beau qu’un jour de derby. Ce sont les Stéphanois contre les Lyonnais, on ne s’aime pas, donc on donne tout pour son club et on va à la guerre. Avec ma grinta, j’ai toujours adoré ça. Lorsque tu marques un but et que tu vois les supporters se jeter dans la tribune, tu as l’impression qu’elle s’écroule. C’est inoubliable. En rentrant chez moi après ce match, j’étais fou à chaque fois.
Tu te souviens de ton tout premier ? Très bien. À quatre minutes de la fin, je remplace Geoffrey Dernis sous les sifflets de Gerland. On est menés 2-1, par le grand Lyon de 2006. J’étais surmotivé, je suis entré en me disant : « Fonce, met des coups, blesse un joueur ! » J’ai compris que le derby, c’est bouillant.
As-tu souvenir d’avoir vécu des derbys avec les deux clubs en difficulté, comme cette saison ?En 2009, nous sommes 18es et on arrache le nul 1-1 à Gerland grâce à Kevin Mirallas. La situation des deux équipes rajoute de la pression, mais elle sera surtout sur Saint-Étienne, car on reçoit. D’autant que Lyon, comme lorsqu’on va chez eux, sera plus tranquille. À la maison, tu ne sais jamais comment ton public peut réagir à l’ouverture du score adverse. Certains joueurs peuvent mal gérer cette pression. Une chose est certaine, l’équipe qui l’emporte lancera sa saison et continuera de gagner. Et inversement pour le perdant, car il n’y a pas meilleur match pour la confiance.
Si tu ne devais garder qu’une image de cette affiche ?Je me rappellerai toujours de certains fans, que j’appelais les fous. Ils venaient deux jours avant le match pour te parler avec le cœur. Ces supporters-là ne veulent pas d’argent, pas de cadeau. Juste de la fierté, donc tu ne peux pas les décevoir car ils n’ont que ça. Certains font dix heures de route… J’aime tellement ces fous que je me suis toujours battu pour eux, et c’est pour ça qu’ils me respectent.
Entre ton but en 2014 et ton capitanat en 2016, quel est le meilleur souvenir ?Mon but, et la victoire 3-0 en 2014. Une humiliation parfaite de Lyon pour nos supporters, et la première victoire à domicile depuis vingt ans… Être capitaine, c’est une fierté et une mission. Je suis comme ça naturellement, mais c’est à toi de mettre en confiance tes coéquipiers dans le vestiaire et leur donner la rage. Ils doivent savoir que même si ça va mal, tu seras là et tu ne lâcheras jamais rien.
Et comment on vit le match, en tant qu’ancien joueur ?Dimanche, je serai à Geoffroy et je vais passer quelques coups de fil pour motiver mes amis. Perrin, Hamouma, les médecins… Mais sinon, à la TV. Je supporte l’équipe que j’aime, donc c’est particulier. Il y a deux ans, lors de la défaite 5-0, j’étais en Belgique et très énervé. Je me suis embrouillé avec un ami qui me taquinait beaucoup, et j’ai failli lui donner un coup de poing parce que je suis stéphanois. Un Stéphanois à Lyon, mais pour toujours stéphanois.
Propos recueillis par Ken Fernandez, à Lyon