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Bauthéac : « À la douane, j’essaye de viser les mecs en espérant qu’ils suivent le foot  »

Propos recueillis par Quentin Coldefy
Bauthéac : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>À la douane, j’essaye de viser les mecs en espérant qu’ils suivent le foot <span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

En plein voyage pour rentrer en France, titre de champion de Chypre en poche, Éric Bauthéac s'est retrouvé contraint de passer une nuit dans l'aéroport de Francfort. Une mésaventure banale en apparence, mais dont l'origine remonte à presque dix ans. Alors à Dijon, le joueur s'est fait usurper son identité par un homme mondialement recherché pour terrorisme. Rien que ça. Une histoire incroyable dont le « vrai Bauthéac » n'a pris connaissance qu'en 2018. Récit.

Salut Eric, comment ça va ?Ça va bien ! Je suis en France pour un mois avant de repartir à Nicosie pour la reprise. Le confinement s’est super bien passé. C’était un peu long, car j’étais tout seul à Chypre. Mais je travaillais tous les jours, donc ça a aidé à passer le temps.

En général, ça se règle en 30-45 minutes dans le bureau des douaniers. Mais là, c’est la première fois qu’on me garde à l’aéroport sans me laisser sortir.

C’est comment un aéroport en période de confinement ? Une mésaventure comme celle-ci t’était déjà arrivée ?C’est vide ! Pour un aéroport comme Francfort, un des plus grands d’Europe, ça fait bizarre. J’avais de quoi faire des footings ! (Rires.) En revanche, on n’y dort pas, nuit blanche assis sur un siège… Ça ne m’était jamais arrivé. En général, ça se règle en 30-45 minutes dans le bureau des douaniers. Mais là, c’est la première fois qu’on me garde à l’aéroport sans me laisser sortir. Ádám Lang et Mickaël Panos, qui voyageaient avec moi, sont restés par solidarité. J’ai tenté d’expliquer que j’ai ce problème à chaque fois, en montrant ma plainte. Mais bon, les Allemands sont très droits. Ils ont douté de moi et ont pris Mickaël à part pour lui demander qui j’étais et se renseigner sur moi.

J’arrive là-bas en me disant : « Putain, mais c’est une histoire de fou ! Mon visa ne passe pas alors que je suis juste Éric Bauthéac, quoi. Footballeur professionnel, sans casier, père de famille. C’est bizarre. »

Raconte-nous cette histoire d’usurpation d’identité ? Ça remonte à tes années dijonnaises ?Exactement. Mais à l’époque, seule la police était au courant. Je ne l’ai appris qu’en rentrant d’Australie. Avant, je n’avais joué qu’en France et quand on partait à l’étranger pour jouer l’Europe, c’est le club qui gérait, donc je n’avais jamais eu de problèmes. En arrivant en Australie, personne ne m’avait dit quel était le problème avec mon visa, je ne savais rien ! C’est seulement à mon retour en France après ma première année là-bas que j’ai commencé à me faire arrêter dans les aéroports. À partir de là, il fallait bien que je me renseigne.

Justement, comment se passe l’arrivée en Australie ?J’ai compris qu’il y avait un problème, mais je ne savais pas lequel. Le jour où j’ai signé, le 4 septembre, je crois (le 8 en réalité), il fallait que je fasse mon visa pour arriver dans la semaine ou dans les quinze jours maximum. Sauf qu’ils ont refusé mon visa et de me faire entrer sur le territoire. Je ne comprenais pas trop pourquoi. Le club faisait le forcing, mais ils refusaient, ils refusaient… Le temps passait, et j’ai loupé un bon mois et demi, voire deux mois de préparation sans savoir pourquoi. Le club a continué de faire le forcing auprès du gouvernement, et au bout de deux mois, mon visa passe. J’arrive là-bas en me disant : « Putain, mais c’est une histoire de fou ! Mon visa ne passe pas, alors que je suis juste Éric Bauthéac, quoi. Footballeur professionnel, sans casier, père de famille. C’est bizarre. »

Je n’ai été embêté que sur les voyages, à chaque fois, on fait des recherches pour savoir si je suis le vrai Éric Bauthéac !

Donc c’est plus de six ans après les faits que tu apprends réellement ce qu’il s’est passé. C’est vraiment un douanier de l’aéroport de Nice qui te l’a révélé ?Oui ! À l’été 2018, la saison en Australie se termine, et je rentre en vacances en France. En arrivant à Nice, la douane m’arrête. Les douaniers me reconnaissent et me disent : « Eric, tu sais que là, on devrait t’emmener au poste, on ne devrait même pas te laisser rentrer. » Moi, je ne comprends rien. Et là, on m’explique : « Il y a un gros problème avec ta carte d’identité, un très gros problème. Il faut que tu règles ça vite parce que tu vas être emmerdé partout. » Tout de suite, je comprends, et ils me le confirment : « Va à la gendarmerie pour déposer plainte parce que quelqu’un a usurpé ton identité. » Donc je vais à la gendarmerie de Pont-Saint-Esprit, chez moi dans le Gard, et j’explique mon problème pour déposer une plainte. Et là, les gendarmes sortent mon dossier : quelqu’un a usurpé mon identité à l’époque où je jouais à Dijon, et le mec est double fiché S, terroriste et recherché dans le monde entier ! Ça fait seulement un an et demi que j’ai appris ça. Je comprends mieux pourquoi on m’arrête partout !

À partir du moment où tu en es informé, comment tu réagis ? Surpris évidemment, mais ensuite ?Forcément surpris, oui. Mais pas de stress ni de peur, surtout de la frustration. Je me dis que j’ai perdu deux mois en Australie pour ça, alors que le problème aurait pu être réglé plus rapidement si j’avais été au courant. Ce qui me fait chier en fait, c’est qu’on ne peut rien faire ! Tout ce qu’on m’a dit, c’est que tant que l’usurpateur n’est pas retrouvé, je ne peux rien faire. Ça peut durer toute ma vie. Donc j’ai refait mes papiers, mais voilà, c’est une histoire incroyable. Je suis emmerdé de partout, même si, maintenant, en France, ils me reconnaissent. Quand j’arrive dans les aéroports, même si c’est quelqu’un qui ne suit pas le foot, il va avoir au téléphone un de ses collègues, ils tapent mon nom et ils voient qui je suis. Et puis j’ai toujours la plainte sur moi, elle me sert de preuve. Le problème, c’est que le document est en français, donc dès que je vais à l’étranger, c’est plus compliqué. À Francfort, j’ai dû rester dans l’aéroport toute la nuit, alors que j’aurais pu partir à l’hôtel, dormir et revenir.

À la douane, j’essaye de viser les mecs en espérant qu’ils suivent le foot et qu’ils vont me reconnaître.

Dans cette situation, on est aidé ? On imagine que ça a un impact sur plein d’aspects pratiques…Au départ, je n’avais rien voulu révéler, mais après Francfort, je me suis dit :« Allez, autant le dire, peut-être que ça fera bouger les choses. » Depuis, j’ai reçu pas mal de messages sur les réseaux sociaux de la part de gens qui ont vécu des situations pareilles. Mais je n’ai été embêté que sur les voyages, à chaque fois on fait des recherches pour savoir si je suis le vrai Éric Bauthéac ! Quand tu as deux vols comme ce que je viens de faire en rentrant de Chypre, tu sais que tu peux rater ton deuxième vol à cause de ça. J’espère vraiment que ça va se régler. Mais je n’ai eu aucun problème sur d’autres choses.

Tu pars en vacances quand même ou ça te dissuade ?Bien sûr, je vais quand même partir en vacances. Si je commence à m’empêcher de partir, je ne vis plus ! Je sais que je vais être emmerdé à chaque fois que je vais aller dans un nouveau pays. Peut-être qu’un jour, on ne me laissera pas entrer, c’est une question que je me pose. Pour l’instant, je n’ai jamais été dans des pays trop restrictifs, on verra… Déjà, à la douane, j’essaye de viser les mecs en espérant qu’ils suivent le foot et qu’ils vont me reconnaître. (Rires.)

Du coup, jouer la Ligue des champions l’année prochaine, c’est un bon moyen pour être reconnu plus souvent, non ?Exactement ! On y est, en tout cas. On a fait une belle saison, on a fini champions, c’était super. On reprend la saison prochaine le 1er juillet et on saura le 17 juin quand aura lieu le tour préliminaire de Ligue des champions.

Depuis, tout ce que je sais, c’est qu’il est double fiché S et recherché pour terrorisme. On ne m’a rien dit de plus.

En refaisant le fil, tu as une idée de comment tout ça a pu arriver ? Qu’est-ce que tu sais de la personne qui a fait ça ?Non, je n’en ai aucune idée. Aujourd’hui, c’est facile de trouver toute la vie d’un footballeur professionnel. C’est tombé sur moi comme ça aurait pu tomber sur quelqu’un d’autre. Je suis juste la victime de l’histoire. Sur celui qui a fait ça : il s’appelle Éric Vincent Bauthéac, né le même jour que moi dans la même ville et le même hôpital. (Rires.) Plus sérieusement, au moment des faits, il était en France, à Grenoble. Depuis, tout ce que je sais, c’est qu’il est double fiché S et recherché pour terrorisme. On ne m’a rien dit de plus. J’imagine que quand tu es terroriste, tu essayes de te cacher. Le but, c’est de ne pas se faire retrouver, donc forcément, si tu commences à ouvrir des comptes, on te retrouve.

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