- Le derby du week-end – Équateur – Emelec/SC Barcelona
Bataille navale en Équateur
Dimanche, c'est jour de fête à Guayaquil, le grand port d'Équateur : les deux grands rivaux de la ville, Barcelona et Emelec, s'affrontent dans un derby passionnel surnommé « El Clásico del Astillero », le classique du chantier naval. Ces deux institutions du football équatorien, en retrait pendant plusieurs années, sont actuellement en plein renouveau. L'occasion est belle d'en conter l'histoire.
2 septembre 1948, la population de Guayaquil se réveille avec les nouvelles fraîches du quotidien El Universo. À la rubrique sport, le journaliste affecté au match de la veille entre Barcelona et Emelec (0-3) était particulièrement inspiré. Pour qualifier ce match entre les deux principaux clubs de la ville, il a eu l’idée d’une appellation qui a depuis traversé les décennies : « El Clásico del Astillero » . Littéralement, le classique du chantier naval. C’est que cette ville, aujourd’hui surnommée « la Perle du Pacifique » , a une sacrée histoire maritime. Et une sacrée histoire tout court. Fondée en 1547 comme chantier naval et port commercial au service de la couronne espagnole, Guayaquil a grandi au fil des siècles, sans jamais perdre de sa splendeur et de son influence. C’est encore aujourd’hui la plus grande ville du pays, devant la capitale Quito, et son poumon économique. Une cité où s’entremêlent différentes cultures. Un brassage comme seul peut en produire l’Amérique du Sud. C’est ainsi qu’en 1925, un groupe d’immigrants catalans, nostalgiques de leurs jeunes années passées en Europe, décide de fonder un club de football. Tout naturellement, il prend le nom de Barcelona et son blason est aux couleurs jaune et rouge de la Catalogne. Quatre ans plus tard en 1929, un homme d’affaires américain, riche propriétaire de la principale compagnie d’électricité de Guayaquil, appelée « Empresa Eléctrica del Ecuador » , laisse un groupe de techniciens créer un club sur leur temps libre. Son nom est très marqué corpo : CS Emelec, avec le bleu de l’usine pour couleur dominante. Les deux équipes s’affrontent une première fois seulement en 1943. Et c’est donc en 1948, au bout du quatrième match entre les deux, que cet affrontement devient le Clásico del Astillero. Depuis ce jour, il est la référence incontestable et incontestée en matière de rivalité footballistique en Équateur. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit des deux clubs principaux de la plus grande ville du pays, celle qui se passionne le plus pour le sport. Et aussi parce qu’il s’agit aussi de deux des plus grands palmarès d’Équateur : 14 titres pour Barcelona, 11 pour Emelec (un club de Quito intercalé : El Nacional, avec 13 titres).
Le coup de la panne d’électricité…
Dès le premier championnat professionnel organisé en 1957, les deux occupent les devants de la scène nationale, Emelec étant sacré premier champion de l’histoire devant Barcelona. Puis il y a eu alternance dans la domination, jusqu’aux années 80 et l’ère Barcelona (5 titres acquis sur la décennie). Le Clásico a parfois donné lieu à des matchs épiques et à des polémiques. Exemple dès 1949, avec un scénario pour le moins étrange et douteux : déjà corrigé 5-2 un mois plus tôt par Barcelona, l’équipe d’Emelec est menée de trois buts, mais revient miraculeusement à 3-3 après une salvatrice coupure d’électricité ayant brisé l’élan des adversaires. Pour Emelec, le fait que ce soit les collègues de la compagnie d’électricité qui soient en charge d’alimenter les projecteurs du stade est une heureuse coïncidence… Autre souvenir marquant, bien plus tard, en mai 1988 : le SC Barcelona décide d’inaugurer son nouveau stade en organisant un tournoi amical avec pour invité son meilleur ennemi Emelec, le vainqueur de la Copa Libertadores en titre Peñarol Montevideo, ainsi que… le FC Barcelone ! En demi-finale du tournoi, Barcelona SC et FC Barcelona s’affrontent, avec la victoire surprise des Équatoriens sur leurs cousins espagnols. De son côté, Emelec domine les Uruguayens du Penarol avant de s’imposer lors du derby final.
Brûlé vivant par un fumigène à 11 ans
Fête passionnelle, mais sans débordements majeurs jusqu’alors, le derby de Guayaquil a viré au grand n’importe quoi au tournant du nouveau millénaire, à une époque où les deux clubs ont dû évoluer dans l’ombre des formations de Quito (LDU Quito, Deportivo Quito et El Nacional). Les joueurs ne parvenant plus à se distinguer sur le terrain, les supporters ont pris le relais avec quelques lamentables événements à relater. D’abord en 2006, avec le saccage d’un stade en plein match par la Sur Oscura, le principal groupe d’ultras de Barcelona. Un an plus tard, un enfant de 11 ans fan d’Emelec, nommé Carlos Cedeño Veliz, est mort à quelques minutes du coup d’envoi d’un derby, touché par un fumigène enflammé lancé depuis la tribune occupée par cette même Sur Oscura… Plus récemment, en novembre 2012, avant un Clásico que gagnera Barcelona 5-0, un supporter de l’équipe a été tué par balle après des affrontements avec le camp des ultras d’Emelec. Depuis, heureusement, la baston a essentiellement retrouvé son caractère sportif : Barcelona a été sacré champion d’Équateur en 2012 pour la première fois depuis 1997, et Emelec lui a succédé l’année dernière, après une décennie sans titre. Tenants du titre, Los Electricos occupent actuellement seuls la tête du classement avant le match de dimanche, tandis que leurs grands rivaux de Barcelona sont actuellement en cinquième position.
Par Régis Delanoë