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Bastos : « La meilleure réponse au 7-1 ? Gagner le Mondial »
Depuis la finale de la Ligue des champions et le sacre du Real Madrid, les 23 Brésiliens appelés par Tite sont rassemblés à Londres pour préparer le Mondial russe. Désireuse de broder une sixième étoile sur son maillot, la Canarinha va pourtant devoir affronter un autre adversaire de taille : le spectre du 7-1 reçu contre l'Allemagne en 2014. L'ancien international Michel Bastos s'est penché sur ce sujet encore très sensible au Brésil.
Le jour du 7-1, tu étais où ? C’était l’année où je rentrais au Brésil, à Curitiba. J’étais devant ma télé, et j’ai ressenti toute la tristesse du peuple brésilien. Ce jour était catastrophique. Quand tu joues une Coupe du monde dans ton pays et que tu souhaites être champion, c’est difficile d’accepter cela. C’est déjà dur de perdre. Mais perdre de cette façon… La manière était plus compliquée à digérer que la défaite en elle-même, en fait.. Jamais de la vie tu ne peux imaginer voir le Brésil prendre sept buts. C’est impensable.
En tant que Brésilien, quel sentiment as-tu ressenti au moment du coup de sifflet final ? Je ne dirais pas que j’avais honte, mais c’était choquant comme atmosphère. Je me souviens très bien que dans la maison, nous étions tristes. En tant que supporter, c’était plus simple pour nous que pour les joueurs présents sur la pelouse.
Le visage de la société brésilienne était-il le même après le 7-1 ? Déjà, au niveau sportif, cette défaite change l’image de la sélection brésilienne. J’ai joué une Coupe du monde (en 2010, N.D.L.R.) et je peux confirmer qu’il est déjà difficile de subir une élimination. Là, les joueurs ont mis du temps avant d’encaisser ce 7-1. Thiago Silva par exemple, c’est un joueur qui a souffert de ce résultat. Maintenant, même s’il en souffre encore, il est de retour en sélection et c’est un des plus grands défenseurs du monde. C’est la preuve qu’il ne s’arrête pas de travailler ! Au pays, les gens vivent le football comme une joie. La majeure partie du peuple brésilien a toujours connu des difficultés, de la souffrance. Mais il faut savoir relativiser : au Brésil, tu ne rentres pas chez toi en disant : « Ce soir, nous ne mangeons pas car le Brésil a perdu 7-1. » Ramener tout cela à la famille, certains le font, mais ce n’est pas la bonne solution. Les Brésiliens ne se sont pas arrêtés de vivre car le Brésil a pris 7-1 contre l’Allemagne. La vie continue !
En 1950, il y a eu le Maracanaço, et les joueurs qui en ont fait partie, notamment le gardien Barbosa, en avaient souffert toute leur vie. Est-ce que ce 7-1 a traumatisé les joueurs du Brésil à ce point ?
Je n’étais pas là, donc c’est assez difficile de contextualiser la chose. Mais si l’on doit comparer l’impact médiatique de 1950 et celui de 2014, il y a des différences. Aujourd’hui, le 7-1 fait plus de bruit que le Maracanaço, mais c’est surtout lié au fait que cette défaite est plus récente. Barbosa n’avait peut-être pas eu la chance de se rattraper de cette finale, alors que Thiago Silva détient cette possibilité ! Et puis, pour parler franchement, nous savions que le Brésil ne pouvait pas remporter cette Coupe du monde 2014. Si le match s’était terminé sur un 2-0, cette défaite n’aurait pas fait autant de bruit. Mais là, sept buts… Ce qui est le plus récent fait davantage souffrir.
Est-ce que le Brésil est muni d’un sentiment de revanche ? Si le Brésil doit rencontrer l’Allemagne à nouveau dans cette Coupe du monde, bien sûr qu’il y aura ce désir de revanche. Mais je pense que la plus grande réponse que peut donner le Brésil, ce n’est pas de battre l’Allemagne 5-0 ou 6-0. C’est de remporter la Coupe du monde.
Quand on prend une claque comme ça, on a tendance à se replier sur soi, à jouer la défense. C’est un peu ce qu’a fait Parreira en 1994 : après 24 ans de déceptions, le Brésil l’a emporté avec un schéma très européen, très rigide, malgré Romário et Bebeto devant. Est-on reparti sur les mêmes bases avec ce Brésil de Tite ?Au niveau tactique, Tite possède une manière de travailler bien spécifique. Techniquement, le niveau est bon, mais c’est surtout tactiquement que les exigences sont élevées. Cela demande beaucoup au niveau de la condition physique. Le Brésil a compris que si la tactique n’était pas au point, ça ne pouvait pas aller. Et à ce niveau-là, je crois que le Brésil a nommé le meilleur entraîneur possible.
Les joueurs disent tous qu’ils ne parlent pas de ce 7-1, comme s’ils voulaient l’oublier. Dante a d’ailleurs refusé de s’exprimer sur le sujet… Tu ne peux pas oublier une telle défaite, mais tu peux la digérer. Là, certains joueurs de ce Brésil 2014 possèdent une chance de rejouer une Coupe du monde. Certains resteront marqués par ce 7-1, mais cela fait partie de la carrière d’un footballeur. Dans la vie, il existe d’autres bonheurs pour compenser cette tristesse… Et puis, ces joueurs restent de grands joueurs, et la poursuite de leur carrière leur permet de retrouver la sensation de victoire.
Comment est-ce que tu considères l’état actuel du football, amateur comme professionnel, au Brésil ?Aujourd’hui, le football évolue partout dans le monde, et le Brésil ne fait pas exception. Avant, le Brésil pouvait faire la différence grâce à sa maîtrise technique au-dessus de la moyenne. Maintenant, c’est fini ! Certains pays ne sont pas aussi bons sur la technique, mais ils possèdent une condition physique et connaissent la rigueur tactique. Cela se répand aussi dans les clubs : au Brésil cette saison, Corinthians n’était pas hyper fort sur le plan technique, mais ils étaient physiques et bien en place tactiquement. Et ils ont été champions du Brésil ! Qu’est-ce que cela signifie ? Si tu veux être champion, la technique pure ne suffit plus. Je vois parfois certains joueurs brésiliens au talent fou partir en Europe, mais ils ne confirment pas après leur départ, car la barre est trop haute sur le plan physique. Tu dois désormais savoir courir dix kilomètres dans un match.
Est-ce que la médaille d’or aux JO de Rio en 2016, acquise contre l’Allemagne en finale, a permis de mieux digérer le trauma du 7-1 ?La médaille d’or est importante, mais plus anecdotique pour les Brésiliens. En revanche, la manière dont le Brésil s’est qualifié pour le Mondial est beaucoup plus importante, car les éliminatoires se sont bien déroulés. Tite a fait beaucoup de bien à cette équipe, les joueurs ont appris à s’investir davantage et mouiller le maillot, et je crois que c’est en grande partie grâce à lui. Le peuple brésilien sera là pour aider la Seleção, car il se doit d’être optimiste. S’il était négatif, il n’avancerait pas avec les problèmes sociaux qu’il connaît aujourd’hui. Dès le premier match, le Brésil va supporter son équipe. C’est un concept différent de la France, où les trois quarts des Français supportent leur équipe à partir des huitièmes ou des quarts… Dix jours ou quinze jours avant au Brésil, les gens mettent déjà le maillot de l’équipe nationale. Il y a un réel engouement local autour du mondial.
Trois joueurs ayant joué cette rencontre sont susceptibles d’être utilisés : Marcelo, Paulinho et Willian. Comment Tite doit-il procéder pour leur enlever ce 7-1 de la tête ?Tite est une personne très intelligente, il sait gérer un groupe. Les joueurs cités sont des joueurs de grande qualité qui savent tourner la page. Je ne vois pas où pourrait se situer le problème pour eux. D’après moi, ils n’y pensent plus. Quatre ans ont passé, ce n’est pas anodin dans la carrière d’un joueur de football.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix
Interview réalisée dans le cadre de la publication du numéro de So Foot spécial Coupe du monde 2018, disponible en kiosque depuis le 31 mai.