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Bastien Vivès : « Messi ressemble à un facteur »
Se considérant comme « une des rares personnes au monde à avoir supporté Paris et Marseille », autant dire que Bastien Vivès aime les contrastes. Plus seul contre tous dans un milieu BD footophobe que Fabrice Fiorèse dans l'âme, l'auteur de Polina et de Lastman évoque sa fascination pour Steven Gerrard, les victoires inattendues à l'Euro et le peu de crédit qu'il porte au Barça. Entre autres.
Visiblement, dans la bande dessinée, seul Bouzard et toi êtes fans de foot ?Ouais, je me rappelle que j’étais en festival pour le France-Togo de la Coupe du monde 2006. Eh ben, je l’ai vu tout seul ! Dans l’hôtel, il n’y avait personne, alors qu’on était une vingtaine d’auteurs. Mais vu que, dans le foot, il y a tout ce côté beauf, gros supporters, etc, c’est pas trop le délire de la BD. Disons que les fans de foot dans la BD sont ceux qui supportent l’équipe du coin, comme Bouzard à Caen. Moi, je trouve que c’est génial lorsque je me retrouve en dédicace et qu’on commence à me parler foot. T’es à Metz et là, des mecs te disent « Génération Grenat » , tout ça. C’est cool.
D’après ce qu’on dit de toi, t’as un souci de club ?C’est compliqué. J’ai commencé à suivre le foot quand j’étais gamin avec mon cousin. J’allais voir les matchs chez lui. On supportait Paris. Jusqu’en 1998, en fait, quand la France a gagné la Coupe du monde. Là, j’ai éteint ma télé : ça y est, on avait gagné, c’était fini. J’ai même raté l’Euro juste après parce qu’on avait déjà tout gagné, donc ça ne servait plus à rien que je regarde. Donc je me suis désintéressé du foot à partir de 1998, et puis, c’est revenu pendant les études. J’avais un groupe de potes et ils étaient tous pour l’OM. Ils me disaient « Viens, on va mater les matchs dans les bars ! » et moi, je taillais comme un gros con en disant que l’OM, c’était de la merde juste parce que j’aimais bien Paris au début. Sauf que quand Marseille marquait, j’étais le seul connard à ne pas être content. En fait, j’avais envie de m’amuser avec mes potes aussi. J’étais étudiant, pas trop consistant, quoi. En plus, c’était la belle époque de l’OM avec Sychev, Christanval, Abdoulaye Meïté, Taye Taiwo, etc. Ils étaient tous pétés ! Je me suis pris d’affection au fur et à mesure et j’ai fini par suivre Marseille. Mais je te prends, je te mets devant tous les matchs de Nancy, au bout d’un moment, tu vas finir par te dire « Putain, lui, il est cool ! Putain, c’est dommage ! » Le foot, je vois ça comme une histoire : le nombre de points qu’ils vont prendre dans une année, puis le mercato qu’ils feront à l’été et ainsi de suite. Disons que je vais suivre un club, mais pas forcément pour ses valeurs. Il m’est arrivé de suivre des équipes que j’aimais pas forcément. Là, il se trouvait que l’OM, je les aimais bien. Surtout quand Ribéry est arrivé.
Pourquoi ?Le mec, il arrive de Metz, il est en feu. En plus, avec sa gueule balafrée, je me dis « Putain ! » Et il est hyper bon dans une équipe où tous les mecs sont pétés. Il est bon, mais il a quand même du mal à se mettre, il parle comme un gogol. Mais je prête pas forcément attention aux discours, à ce que disent les joueurs. Je préfère me concentrer sur le terrain. Quand ils ont mis les micros sur les arbitres, j’ai trouvé ça génial parce que j’avais envie de savoir de suite ce qu’il se passait, ce qu’il se dit. Quand Brandão fait « je pas touchéo, j’ai pas touchéo ! » , c’est génial ! Je trouve ça dommage qu’ils aient enlevé le micro, mais bon, c’est sans doute pas bon de le garder. C’est comme ce qui se dit dans le vestiaire : ce sont des éléments de travail. Si on devait rendre public les mails que t’envoies aux gens avec qui tu travailles, ce serait compliqué.
Quel autre joueur t’affectionnait de cette période de l’OM ?Taye Taiwo. Je me rappelle ce but qu’il met, où il pète un câble, remonte la moitié du terrain pour mettre une frappe en lucarne. Un truc complètement hallucinant ! J’adore les joueurs qui ont un vrai tempérament sur les terrains. Plus généralement, le joueur que j’ai vraiment aimé, suivi, dessiné, c’est Steven Gerrard. Je le trouve trop classe. Le mec éclate un gamin en bagnole et, juste derrière, il doit jouer, il est capitaine de son équipe. Il est hyper traumatisé pendant tout le match, mais il fait le travail. Genre il te met un missile à la 92e, comme d’habitude. Ce sont de beaux archétypes. C’est comme Zidane qui dégueule avant son penalty contre l’Angleterre. Faut faire le job. Et tout de suite, c’est épique.
En parlant d’épique, t’as vu France-Ukraine ?Ouais, je l’ai vu. Je dessine souvent devant le foot, en fait. J’ai même pris Canal+ exprès pour ça. J’aime bien le Canal Football Club, L’Équipe du Dimanche. C’est un super fond. Tu sais qu’à 19h30, t’as ta soirée de bouclée jusqu’à minuit. Donc je suis toujours le foot, ouais. D’ailleurs, ce qui est arrivé à Marseille cette année en Ligue des champions, c’est horrible. C’est pas la peine de se réjouir qu’ils aient pris zéro point.
Après, Marseille cristallise souvent la « haine » des supporters en France. Ouais, mais j’ai l’impression que c’est le souci avec les clubs qui ont un gros passé. À un moment donné, tout le monde détestait Lyon en les traitant de fils de pute, que Fred était le pire joueur de la Terre. À Paris, à part l’époque Raí, il s’est pas passé grand-chose. C’est une Coupe des coupes et une poignée de championnats. C’est rien comparé à Sainté ou Marseille. Des supporters de l’OM, il y en a beaucoup hors de Marseille parce qu’ils avaient sept, huit ans quand l’OM a gagné la Coupe des clubs champions. Et on leur dit que ce ne sont pas de vrais supporters ? Par exemple, imagine, j’ai dix ans au début des années 2000, je me dis que Lyon est une équipe de oufs ! Mon joueur préféré à Marseille, tout le monde le déteste : le petit Valbuena. J’aime bien ce mec, je le trouve un peu touchant. Mandanda aussi. Je me rappelle ses premiers matchs à Marseille, il te sortait des parades de ouf. Maintenant, j’ai l’impression de voir Hugo Lloris en Angleterre. Ils sont pas habitués à se prendre autant de buts, les deux.
Si tu devais faire une BD sur un joueur de foot, ce serait lequel ?Elle est dure, cette question, parce que la vie des joueurs est pas trépidante. Si je devais faire un truc complètement fantasmé sur le foot en général, je ferais une histoire sur le Danemark à l’Euro 1992. Ils sont pas qualifiés, mais il y a la Yougoslavie qui pète, « OK, bon bah, allez-y le Danemark ! » Trois mois avant l’Euro, ils étaient les doigts de pied en éventail, ils sont pas forcément entraînés et leur équipe est pétée, et non, ils gagnent l’Euro. L’histoire la plus ouf qui ait jamais existé. Pareil, quand je vois ce qui s’est passé durant l’Euro au Portugal, c’est incroyable. Les Grecs, ils ont mis 1-0 à tout le monde et ils gagnent. J’ai encore l’image de Cristiano Ronaldo qui ne réalise pas que le Portugal s’est fait baiser l’Euro. J’adore. Cristiano Ronaldo, ça reste une pute, même s’il s’est assagi. C’est incroyable : c’est l’un des plus grands joueurs de tous les temps et il est en même temps que Léo Messi. C’est horrible. Il devait être le meilleur du monde et il se fait dépasser par Messi, qui ressemble à un facteur, qui fait 1,60m et qui court comme un chien. En même temps, si Ronaldo avait dû être numéro 1, il aurait vraiment été détestable, alors que là, par sa position de deuxième, les gens retrouvent un peu d’affection. Tu te dis « Oh le pauvre, c’est quand même dur ce qui lui arrive ! » Nous, les français, on adore faire ça. L’esprit Poulidor. Et donc Ronaldo, j’ai de l’affection pour lui, alors que je devrais le détester, vu qu’il représente tout ce que je déteste dans le foot : l’arrogance, le bling bling, etc. En plus, c’est une chialeuse. Un mec comme Zlatan, par exemple, il va te dire « Pour le Ballon d’or, faites ce que vous voulez, mais je sais que je suis le meilleur. »
Donc t’aimes pas Messi non plus ?J’ai jamais aimé le Barça parce que le côté passe à dix dans le foot, ça me fait chier. Et le problème, c’est que c’est devenu une norme. Mais ils se sont pris le revers de la médaille quand ils ont commencé à perdre. Lorsque l’Inter les ont battus, ils se sont mis à dix derrière, et ben, tout le monde s’est mis à jouer comme ça. Du coup, c’était devenu insupportable de regarder un match du Barça. Ils avaient provoqué un jeu défensif. Le foot, c’est ce qu’il y a de plus beau : trois passes, un tir et il y a but.
C’est ce qu’essaie de faire le Borussia Dortmund, notamment.Ouais. D’ailleurs, c’est étonnant : la Bundesliga était le championnat le plus pourri il y a dix ans et là, ils sont en train de démontrer qu’on peut pratiquer un football flamboyant. Ça fait tellement du bien ! En 2010, l’Allemagne doit gagner mille fois la Coupe du monde. Ils ont joué les plus beaux matchs de la compétition. Müller est une révélation totale et, sur cette demi-finale, ils perdent contre l’Espagne. C’était triste.
D’ailleurs, ton plus beau souvenir de Coupe du monde ?Le match France-Italie en 1998. Avec mon cousin, on était derrière le canapé avec la boule au ventre. 0-0, on va aux penalties et Di Biagio met le sien sur la barre. Il était ouf, ce match. Je me souviens que c’était la première fois où j’avais la boule au ventre. Sur un 0-0, tu fais gaffe à chaque passe, c’est tendu… Alors que quand ton équipe est menée et qu’elle revient au score, c’est incroyable, mais c’est de la mauvaise tension. D’ailleurs, ça me fait penser à France-Ukraine, dont on a parlé tout à l’heure. Ça m’a cassé les couilles quand tout le monde disait autour que la France allait paumer. Moi, je leur dis « Allez vous faire enculer ! » , parce que quand la France gagne, c’est les seuls moments où les gens sont heureux. Personne n’a le moral, avec la crise et tout, donc si on peut faire un Mondial, c’est cool. Pensez à ça plutôt que de penser aux klaxons en bas de vos fenêtres !
Lastman de Bastien Vivès, Mickaël Sanlaville et Balak est paru en mars 2013 chez KSTR
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Propos recueillis par Matthieu Rostac