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Bastian Schweinsteiger moralement harcelé par le Mou ?
Il est champion du monde, il a gagné la Ligue des champions, tout gagné en Allemagne, pété la barre des 100 sélections avec la Mannschaft. Mais José Mourinho s'en moque et a balancé Bastian Schweinsteiger en réserve. Comme ça, comme le premier joueur de CFA venu. On peut parler d'outrage ?
« C’est clairement une tentative d’intimidation. En Slovénie, nous aurions pu inculper Mourinho et réclamer la peine la plus élevée, trois ans de prison » Dejan Stefanovic, avocat et représentant de la Slovénie à la FIFpro, prend la mise à l’écart de Bastian Schweinsteiger très au sérieux. Et requiert donc une lourde condamnation pour le Mou. « À la lecture des journaux, cela peut paraître excessif » admet Philippe Piat, président de l’UNFP et de la FIFpro, « mais c’est plus une manière d’interpeller sur une situation inacceptable : un entraîneur arrive dans un club et pointe du doigt certains joueurs en disant « lui, lui et lui, je n’en veux pas, qu’ils partent » , jusqu’à preuve du contraire, ces gens ont un contrat et des droits, personne ne s’émeut que cela soient bafoués… » D’autant plus choquant quand il s’agit d’un joueur de la trempe de Schweini, champion du monde 2014 et centenaire avec la Mannschaft. « Si lui n’est pas à l’abri d’une telle situation, qui le sera ? » , s’insurge Piat. L’agent Franck Belhassen ne voit pas forcément du « harcèlement moral » mais simplement « une attitude irrespectueuse de la part d’un entraîneur qui n’en est pas à son coup d’essai et d’un club qui marche sur la tête depuis plusieurs saisons. On ne fait pas ça à un joueur exemplaire comme Schweinsteiger. » Du point de vue juridique cependant, c’est le syndicaliste qui a raison selon Redouane Mahrach, fondateur du cabinet RMS Avocats, spécialiste du droit du sport. « On est exactement dans le cadre d’un harcèlement moral dans la mesure où l’on pousse un individu à partir en acceptant des conditions inférieures à ce qu’il pourrait réclamer. Il y a même le risque de le pousser à bout et donc à la faute, à une insulte, une violence physique… »
Passible de rupture unilatérale de contrat
Une pratique officiellement prohibée mais qui se répète à chaque intersaison dans différents pays du globe. « C’est en effet un classique » assure maître Mahrach. « On écarte le joueur du collectif, notamment lors du stage de pré-saison, pour ne pas qu’il pollue l’ambiance, mais dans les textes, le club doit non-seulement payer le salaire comme convenu mais aussi fournir les mêmes conditions de travail à tous ses joueurs. » Afin d’assurer l’équité des chances d’apparaître sur les feuilles de match. Arrivé à une telle situation, le joueur n’a pas mille et une possibilités, surtout dans le cas d’un Bastian Schweinsteiger dont les émoluments limitent le nombre de prétendants potentiels. « L’agent, il ne peut que faire de son mieux pour trouver un point de chute et négocier pour que le club ne soit pas trop exigeant, explique Belhassen. Et logiquement, si tu fous ton joueur en réserve, tu ne peux pas exiger une fortune pour le céder. » Voire ne rien exiger du tout pour Philippe Piat, qui œuvre depuis longtemps à l’abolition du système des indemnités de transferts : « si le club ne respecte pas ses devoirs contractuels, le joueur peut engager une procédure menant à une rupture unilatérale. » Maître Mahrach explique la procédure : « il faut faire constater la mise à l’écart par un huissier de justice, pour ensuite mettre en demeure le club de réintégrer le joueur -car il faut en premier lieu montrer que le joueur veut continuer la collaboration- et ensuite saisir la FIFA si l’employeur reste en faute contractuelle. » Auquel cas l’instance dirigeante du football mondial peut condamner le club – « s’il n’y a eu aucune faute disciplinaire du joueur » – à une rupture de contrat et au versement d’indemnités compensatrices au joueur. « Mais ce n’est pas facile d’entamer ce type de procédure » assure Piat car « les agents ne peuvent s’engager totalement pour leur joueur, il y a conflit d’intérêt car ils ont besoin d’un bon relationnel avec les clubs pour leur activité. Ils vont donc plutôt encourager leur client à être conciliant, à baisser ses exigences ou accepter un transfert dans un club qui ne voulaient pas forcément. »
« Beaucoup aimeraient rester chez eux avec le salaire de Schweinsteiger »
Moins critique à l’égard de la profession de Franck Belhassen, Maître Mahrach analyse néanmoins que « ce n’est pas à l’agent de se mouiller dans un tel cas, mais bien à un avocat. Le problème, c’est que les agents ont parfois peur d’intégrer une tierce personne dans leur relation avec un joueur, par peur de le perdre. » Ce qui le surprend, c’est surtout de voir la pratique en Angleterre, « un pays quand même assez cadré, comme la France » , alors qu’il est le plus souvent appelé à gérer ce type de problématiques « dans les pays du Golfe ou en Turquie » . La patte personnel du management façon Special One : couper une tête, si possible importante, pour asseoir son autorité vis-à-vis du reste de l’effectif. « Ce qui est simplement abject » , estime Redouane Mahrach, point sur lequel Philippe Piat et Franck Belhassen sont totalement en phase. « Mourinho a déjà fait ça au Real Madrid avec Raúl, il n’aime pas les joueurs qui ont une aura trop importante, qui peuvent lui faire de l’ombre » affirme l’agent de Sébastien Corchia et Alphonse Areola. « Mais bon, José Mourinho sait bien que les gens lambdas ne vont pas plaindre Schweinsteiger et ses quatre ou cinq millions d’euros annuels. Tu plains plus facilement un mec qui plie la Renault Clio qu’il a pris à crédit qu’un millionnaire qui a fracassé l’une de ses quatre Ferrari. Beaucoup de gens seraient prêts à toucher le salaire de Schweinsteiger et rester chez eux. Il n’en reste pas moins que ses droits élémentaires ne sont pas respectés par Mourinho, c’est un fait… »
Par Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par Nicolas Jucha, à l'exception de ceux de Dejan Stefanovic, tirés de son interview pour la BBC