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Bastia/LFP : Les raisons d’un divorce
La Ligue de football professionnel (LFP) a suspendu le stade de Furiani à titre conservatoire et envisage de faire jouer le prochain Bastia-Nancy à… Gueugnon. Si les supporters reconnaissent leurs torts, ils ne comprennent pas certains motifs invoqués par la LFP pour justifier cette décision inédite qui ne passe pas non plus auprès du club. Décryptage.
Mercredi 12 décembre, Bastia reçoit l’Olympique de Marseille pour un match de gala à… huis clos. Le club bastiais est sanctionné pour les incidents qui ont émaillé le derby corse. Malgré l’interdiction de pénétrer dans le stade Armand Cesari, les supporters turchini, surnom des supporters bastiais, ont obtenu l’autorisation de la préfecture et de beIN Sport pour se réunir devant un écran géant, sur le parking à côté du stade. Et ils sont plusieurs milliers à se rassembler derrière les travées de Furiani, car en face c’est Marseille, le voisin continental honni, qui se présente.
Incidents avec le bus de l’Olympique de Marseille
En dehors du stade, les pétards rythment les chants bastiais et de nombreux fumigènes illuminent l’obscurité du parking. Fumée et détonations se voient et s’entendent jusque sur le terrain lorsque les joueurs pénètrent sur la pelouse. Une manière pour les supporters – bien qu’absents des travées – de montrer à leur équipe qu’ils ne sont pas loin. La rencontre se termine sur une défaite bastiaise (2-1) qui relance les Phocéens. Mais l’essentiel est ailleurs pour les supporters corses : le lendemain, une missive de la LFP annonce la suspension de Furiani à titre conservatoire. La Ligue pointe notamment que « l’un des engins pyrotechniques a été lancé sur le délégué adjoint occasionnant une brûlure à une jambe » et que « de très graves incidents ont été provoqués à l’arrivée et à la sortie du bus de l’Olympique de Marseille » .
« Il a bien dû y avoir quelques insultes, deux ou trois pétards qui sont partis à côté du bus des Marseillais. Apparemment, un délégué aurait été légèrement blessé. Là-dessus, il n’y a rien à dire si les faits sont avérés. Avoir une sanction par rapport à ces faits, on peut dire qu’on l’a cherchée… » , reconnaît Olivier, l’un des responsables du groupe de supporters Bastia 1905. Avant d’ajouter : « Ce qui est plus embêtant, c’est que la Ligue nous reproche d’autres choses et notamment d’avoir utilisé« un arsenal d’engins pyrotechniques »qui aurait« manifestement instauré un climat d’insécurité autour du stade ». » Des raisons injustifiées pour les supporters : « C’était en dehors du stade, de quoi se mêle la Ligue ? Où s’arrêtent les limites ? C’est le début d’une escalade. Ils commencent à juger sur des faits qui se sont déroulés à l’extérieur du stade et qui ne gênent en rien le déroulement de la partie. Surtout que nous avions eu l’autorisation de la préfecture » , fulmine Olivier.
Les fumigènes sont-ils également interdits en dehors du stade ?
Selon, l’article L 332-8 du Code du sport, les engins pyrotechniques sont interdits à l’intérieur de l’enceinte sportive. La commission de discipline a-t-elle estimée que le parking du stade Armand Cesari faisait partie de l’enceinte ? Interrogé sur ce point précis par So Foot, Pascal Garibian, président de cette commission, n’a pas souhaité nous répondre. La LFP a seulement indiqué qu’elle ne s’exprimait pas sur une procédure en cours et rappelé les différents antécédents des supporters bastiais pour justifier la décision de suspension. « C’est quand même ennuyeux de se faire juger sur des faits qui ne concernent pas l’enceinte du stade, estime Olivier de Bastia 1905,et surtout de ne pas pouvoir se défendre. Avec cette mesure à titre conservatoire, on a encore l’impression d’être le laboratoire des sanctions… » Qu’ils se rassurent le Parc des Princes est un autre théâtre des opérations. Devant la rapidité de la sanction et son caractère unilatéral, et alors que le club a fait appel de cette décision auprès du CNOSF (Comité national olympique et sportif français), Jo Bonavita, ancien joueur et intendant historique du Sporting, a entamé, vendredi 14 décembre, une grève de la faim pour protester contre la Ligue. « Ce qui me chagrine, c’est le manque de communication. On peut nous dire : « Il y a un problème avec Bastia, montez, on en discute. » Là, même pas, on coupe de suite la tête de quelqu’un sans qu’il puisse se défendre. Cela n’existe pas dans le droit français. » Noël Le Graët, fraîchement réélu à la tête de la FFF, a lui-même plaidé pour davantage de dialogue : « Les sanctions ne suffisent pas, il faut encore plus d’information et de discussions. Il va falloir discuter avec les pouvoirs publics, les dirigeants. Ma mission, c’est la paix. Bastia a besoin de calme. La Corse est respectable, et c’est une terre de foot. » De son côté Frédéric Thiriez, président de la LFP, est monté au créneau le vendredi, pour assurer « son plein soutien » à la Commission de discipline « face aux attaques insensés dont ils font l’objet » .
« Il faut une sanction proportionnée et qu’on nous laisse la possibilité de nous défendre »
Dans son communiqué, la Commission justifie la sanction par la répétition des incidents depuis le début de la saison et pointe les manquements du club corse notamment dans la préparation des réunions de sécurité avec la préfecture. Mais Jo Bonavita n’en démord pas et voit même une certaine forme d’acharnement de la part de la Ligue, lorsqu’il déclare dans une interview à Rue89 : « Comme par hasard, le huis clos, on le prend contre Marseille, pas lors d’un autre match ! La Corse entière attendait cette rencontre, c’est du gâchis. Si on avait joué contre Nancy ce mercredi, je vous parie qu’il n’y aurait pas eu de huis clos. » Une posture de résistance saluée par une banderole des ultras pailladins, lors de Montpellier-Bastia : « Honneur aux clubs qui luttent avec leurs supporters. Liberté pour Furiani » .
Selon Didier Rey, historien et auteur de La Corse et son football : « On retrouve les même mécanismes que 50 ans auparavant. D’un côté des pratiques partisanes et un enthousiasme des dirigeants tels qu’on ne comprend pas qu’on puisse sanctionner l’engagement. De l’autre, une vision médiatique du football corse pleine de stéréotypes. Le drame, c’est que ça ne s’arrêtera pas tant que les positions seront tranchées de chaque côté. » La largesse avec laquelle certains supporters utilisent des bombes agricoles ne fait toutefois pas l’unanimité parmi les fans turchini, car, au final, c’est le club qui risque d’en pâtir sportivement. « Dans les années 70, lorsqu’il y avait des débordements au stade de Furiani, la plupart des gens n’approuvaient pas les fauteurs de trouble. Mais à partir du moment où les instances nationales prennent des décisions iniques ou ressenties comme telles, ça ressoude tous les supporters bastiais » , analyse Didier Rey. Olivier concède : « C’est sûr que nous ne sommes pas tout blancs. On ne demande pas à ne pas être sanctionnés, mais il faut une sanction proportionnée et qui nous laisse la possibilité de nous défendre. » Le tout étant de « mieux réfléchir sur notre manière d’agir, mais sans perdre notre âme » , explique le supporter de Bastia 1905.
« C’est compliqué de se battre et de montrer ta belle figure quand tu as ces quelques casseroles »
Car là est tout le problème du supportérisme corse et du folklore historique dont il se nourrit : « Certains supporters bastiais vivent sur les mythes d’une autre époque, une certaine croyance selon laquelle si on se remet à fond dans les pratiques partisanes des années 70, à grands renforts de bombes agricoles notamment, Bastia va redevenir un grand club. Or c’est impossible, aussi bien sportivement que du point de vue des règles drastiques du football moderne » , signale Didier Rey. Les supporters savent que la liste des faits reprochés ne plaide pas en leur faveur : « C’est compliqué de se battre et de montrer ta belle figure quand tu as ces quelques casseroles » , confesse Olivier. Mais il s’agit aussi de ne pas perdre une certaine part de ce qui fait leur identité, ainsi que l’indique Didier Rey : « Au début des années 2000, Bastia avait essayé d’être « politiquement correct », entretenant de bonnes relations avec les instances nationales, et siégeant même pour certains dirigeants dans ces instances. Il y a eu une réussite sportive relative avec deux finales, en Coupe de France et en Coupe de la Ligue. Mais dès que les résultats n’ont plus suivi, ça a été très mal vécu par des supporters qui redoutaient de devenir un « club français » comme un autre, de perdre leur identité, d’être aseptisés. »
Par Anthony Cerveaux, avec Antoine Aubry