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Bastia, le jour d’après

Par Maxime Brigand
Bastia, le jour d’après

C'est l'histoire d'une rivalité que le passé a atténué. Bastia – Gazélec rappelle les belles heures du football corse, du foot amateur à de vieilles tensions. Reste qu'en 1992, quelques mois après la catastrophe de Furiani, le Sporting se délocalisera pendant de longs mois à Mezzavia. Récit.

C’est un premier pas. La proposition datait du 16 mai dernier. Elle a été validée le 22 juillet 2015 par le secrétaire d’État aux Sports, Thierry Braillard, d’une manière « globale et définitive » . La bataille a été longue et la victoire n’est que partielle. Face aux caméras de France 3, Josepha Guidicelli, la présidente du collectif du 5 mai 1992, l’affirme : « C’est la première fois que l’État prend des décisions, amène quelque chose au collectif, mais c’est vrai qu’il ne répond pas totalement à notre demande. (…) C’est bien, mais le collectif continuera à porter sa démarche. » La moustache de Thiriez l’avait précisé à l’avance, « une journée sans football n’est pas une réponse à un drame » . L’État a donc tranché : un hommage annuel aux victimes de la catastrophe de Furiani a été instauré, interdisant dans le même temps toute rencontre de football qui tomberaient un samedi 5 mai. Si cette date tombe en semaine, le match se jouera avec une minute de silence et un brassard noir. Pour le moment.

La peur, partout

Il était 20h20. Thierry Roland et Jean-Michel Larqué venaient de prendre l’antenne. PPDA était au cœur de son 20 heures. Bastia s’apprêtait à disputer une demi-finale de Coupe de France contre l’Olympique de Marseille. La tribune nord, installée temporairement pour le match, va alors s’effondrer. Les spectateurs en haut vont chuter de 15 mètres. « J’étais dans la tribune, en bas, avec les jeunes du centre de formation. Le Sporting, c’est 19 ans de ma vie, c’est beaucoup de choses. C’est le genre d’instants dont on se souvient toute notre vie » , raconte aujourd’hui Frédéric Antonetti, à l’époque directeur du centre de formation bastiais.

Ce 5 mai 1992, Antonetti aura passé toute sa journée à Armand-Cesari. Le Sporting joue là une partie de son histoire, alors il file un coup de main pour que tout se passe bien, tandis que la tension est partout. La peur est partout. Il aurait fallu un miracle, le speaker avait pourtant appelé cinq minutes plus tôt à « ne pas taper des pieds surtout sur les parties métalliques » . Le bilan sera lourd : dix-huit morts, 2357 blessés et un club tout entier condamné à panser ses plaies. Le Sporting vient de sombrer.

Les Délices de l’Opéra

Capitaine du Sporting à l’époque, Antoine Di Fraya se rappelle : « Un drame, on ne le traverse pas, on le vit. Chacun de nous avait perdu des proches ce soir-là, connaissait de près ou de loin des personnes touchées. On ne peut pas oublier. En tant que capitaine, c’était forcément particulier. Pendant une dizaine de jours, j’ai rendu visite aux blessés dans les hôpitaux avec le président Filippi. La force du club, c’est ce passé, cette histoire. C’est là-dessus qu’on se structure et qu’on grandit. » Bastia menace alors de sombrer, voire de mettre la clé sous la porte. De nombreux blessés ressortiront de l’hôpital handicapés par ce soir de mai 92. « On ne savait pas où on allait, explique Antonetti. Puis on s’est remis au boulot. À trois, quatre et le mouvement a commencé à prendre. »

Bastia est un monument du football français. Il y a eu l’épopée de 78 avec Papi, Rep, Orlanducci. Il y a eu aussi la victoire en Coupe de France face aux Verts de Platini au Parc des Princes en 1981. L’histoire du football corse est complexe, mais de partout le constat est similaire : le Sporting est un ciment de passion capable de construire autour de lui des miracles. Les hommes passent, mais le club ne peut mourir. En juillet 1992, après le drame, ils vont alors se rassembler. À quelques-uns, autour des tables d’une brasserie située sur le port de plaisance de Bastia. Le lieu s’appelle Les Délices de l’Opéra et n’existe plus aujourd’hui. « La réunion a été organisée par Alain Muselli pour lancer une campagne pour sauver le club de la disparition. On a décidé rapidement à deux, puis à trois, puis avec de nombreux jeunes qui nous ont rejoint de proposer notre aide, explique Jean-Michel Canazzi. « L’Associu pè a salvezza di u Sporting » est née avec à sa tête Canazzi et Muselli. On a d’abord proposé de l’aide pour les travaux, puis on a organisé les déplacements pour la saison suivante. Il fallait tout prévoir. Le Sporting devait trouver un autre stade, n’avait plus de sponsors, n’aurait plus de recettes. L’objectif était dans tous les cas de revenir rapidement jouer à Furiani. » L’association sponsorisera même un match de l’équipe.

Le groupe va alors s’organiser autour de nouveaux dirigeants, du soutien politique et d’un soutien naturel : celui du Gazélec, le club historique d’Ajaccio, qui va lui offrir un hébergement pendant plusieurs mois. Le Sporting doit repartir et ne peut se rater. À l’été 92, l’ensemble du football français est fixé. La saison 1992-93 sera la dernière avant l’arrivée de la « Super D2 » . C’est la fin de l’ère des deux poules de 18 équipes. La deuxième division sera ramenée dès août 1993 à 22 équipes. Pour rester, il faut terminer dans les onze premiers de sa poule. L’enjeu est double pour le Sporting. Il faut se sauver sportivement pour ne pas mourir, financièrement pour ne pas disparaître. Bastia est alors dans la poule A aux côtés du Gazélec.

Les ballons dans le coffre

Si, par solidarité régionale, le Gazélec a accepté de prêter son stade aux voisins bastiais, le Sporting doit également se débrouiller pour trouver des terrains d’entraînement. Le groupe de René Exbrayat va alors utiliser par rotation les infrastructures des clubs amateurs locaux. « Il a fallu s’accrocher. L’équipe était solide, construite pour rester en deuxième division, mais c’était le système D en permanence, détaille Frédéric Antonetti. On mettait les ballons, les chasubles dans le coffre et en avant ! » Les hommes s’appellent alors Bianconi, Pierre Maroselli, Morlaye Soumah, Di Fraya, Mangione. Le Sporting termine la saison septième, à quatre points d’un barrage de promotion pour la première division. Yves Mangione, lui, est deuxième meilleur buteur du championnat. Le Gazélec, lui, tombe en D3.

Cette saison est aussi l’histoire d’une reconstruction par étape jusqu’au retour à Furiani, contre Nancy, le 4 avril 1993. « À l’été 1992, beaucoup de questions se sont posées. Tout était à refaire » , se souvient Di Fraya. Durant toute la saison, tous les quinze jours, plus de 2 000 Bastiais font le déplacement à Ajaccio pour venir encourager les gars du Sporting. « On a eu vraiment beaucoup de chance » , explique Jean-Michel Canazzi dont l’association deviendra rapidement « Testa Mora » , disparue depuis. « À l’époque, Eurosport diffusait déjà les matchs et on organisait des retransmissions dans les salles polyvalentes de Bastia pour les supporters qui restaient. On organisait aussi des lotos pour récolter de l’argent pour les déplacements. Les autocaristes de la ville nous avaient également mis à disposition des cars et des chauffeurs gratuitement. Et à Mezzavia, il fallait le voir. L’ambiance était survoltée, on n’était pas beaucoup, mais ça valait 10 000 personnes au niveau du bruit. »

« Bastia régale Mezzavia »

De cet épisode va également rester des images. Celles d’un derby brûlant entre le Gazélec et le Sporting. On y voit les taquets de Bianconi sur Pantaloni, quelques gifles qui partent, des CRS qui accompagnent la sortie des supporters bastiais du stade. « Ce n’est pas un match pour les filles, un derby, c’est pour les hommes, pointe Stéphane Gori, joueur du Gazélec à l’époque et aujourd’hui dirigeant du club. Faut juste savoir que c’était tendu sur le terrain pendant 90 minutes, mais qu’on allait boire des verres ensemble après, hein. » Les incidents conduiront à une délocalisation des matchs du Sporting à Aix-en-Provence pour la suite de la saison. Le président du Gazélec menacera même de rendre Bastia indésirable à Ajaccio. 1992 sera aussi l’année d’un incident appelé la Bataille d’Alès, daté du 5 décembre. Un affrontement entre CRS et membres des supporters corses à l’issue d’un Alès-Bastia qui se terminera dans les journaux locaux avec un titre vindicatif : « Les supporters corses exportent leur hooliganisme sur le continent. »

Il reste aussi des souvenirs. L’accueil d’Ajaccio, mais aussi le lendemain du premier match où Corse-Matin mettra en Une la victoire des Bastiais avec un « Bastia régale Mezzavia » pour accompagner le tout. « C’était une curiosité, mais la solidarité nous a permis de nous relever » , note Di Fraya. La saison se terminera avec l’émotion, le retour à Armand-Cesari, ces maillots noirs portant la marque du deuil, cette victoire contre Nancy. Ce stade qui renaît, ce club reconstruit. « Avec une telle histoire, un club ne meurt jamais. Il a connu tellement de crises sportives et financières. La Corse est une région pauvre, mais sa force reste sa passion, cette terre de passion » , explique Antonetti. Samedi, l’ancien entraîneur sera dans les tribunes de Furiani. Pour se rappeler la mémoire d’un club contre son ancien hôte. À jamais.

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