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Bastia, accusé de réception
Comment un club, autant matraqué fût-il à l’intersaison et aussi respecté soit-il dans sa région, peut-il être autorisé à disputer dix-sept matchs dans son stade contre neuf seulement à l’extérieur, avec tous les avantages que cela comprend ? Un manque d’équité soulevé par plusieurs adversaires du SC Bastia en National 3, qui sont surtout consternés par le laxisme de la FFF.
Le 1er novembre dernier, si la Corse honore tous les saints comme partout en France, les Bastiais ont également pu rendre hommage à une institution du football insulaire. En effet, la réserve du FC Bastia-Borgo, né de la récente fusion du Cercle athlétique avec le FC Borgo, recevait la « prima squadra » du grand mais affaibli Sporting Club de Bastia dans un derby complètement inédit. Une rencontre de la troisième journée de National 3, initialement prévue le 2 septembre. À cette date, le Sporting n’était absolument pas prêt à reprendre la compétition, devant se remettre d’une rétrogradation administrative officialisée quelques jours plus tôt. C’est à la suite de cet épilogue tardif que le Sporting a pu reporter ses débuts dans sa nouvelle vie en amateur. Pourtant, difficile de comprendre pourquoi les Turchini, considérés comme club visiteur ce soir-là, pouvaient disputer ce match dans leur antre de Furiani. Et c’est donc sur sa propre pelouse et devant son public que le Sporting s’est imposé sans sourciller (3-0).
« On assiste à une première mondiale »
Un cas loin d’être isolé, puisque les Bleus ont, à ce jour, disputé huit rencontres à Armand-Cesari, une sur terrain neutre et seulement cinq loin de leurs bases, là-bas, sur le continent. Sur le papier, pourtant, les matchs contre la réserve du FC Bastia-Borgo, du Gallia Club Lucciana et de Balagne-Île-Rousse auraient dû se jouer à l’extérieur. Autrement dit, à l’exception d’un déplacement pour affronter la réserve de l’AC Ajaccio, le Sporting se déplace toujours lors de ses rencontres face aux autres clubs corses à… Furiani. Aujourd’hui, Bastia est troisième et a pu rattraper un à un ses concurrents, au fur et à mesure qu’il a joué ses matchs reportés.
Un aménagement du calendrier qui agace sérieusement les continentaux, jugeant le championnat floué. « Comment peut-on autoriser un club à jouer ses matchs extérieurs à domicile ?, fulmine Didier Camizuli, l’entraîneur d’Aubagne. Il n’y a qu’en France, qu’avec le football corse, que l’on voit ça. » D’autant plus que le bilan des Bastiais confirme qu’ils se sentent bien mieux à la maison : après quatorze journées, le SCB est invaincu à Armand-Cesari alors qu’il n’est reparti du continent avec les trois points qu’à une seule reprise, lors d’un voyage à Villefranche. « Ça aurait pu être n’importe quelle équipe du championnat : elle n’a pas à jouer 17 matchs à domicile, tranche Michel Pavon, à la tête d’un autre historique déchu, l’AS Cannes. Je pense que les Corses gueuleraient aussi si nous avions cet avantage. »
Claude Ferrandi : « Jouer à domicile est selon moi un désavantage »
Un avantage dont certains profitent pendant que d’autres en pâtissent. Pour les joueurs des autres équipes corses, jouer à Furiani, c’est réaliser un rêve de gosse. « C’est un plaisir de jouer à Furiani. Ça change des stades qu’on a l’habitude de fréquenter » , assure Patrick Valéry, qui entraîne le FC Bastia-Borgo 2. Surtout que l’accueil y est irréprochable. « On prouve que l’on sait recevoir, s’enorgueillit Claude Ferrandi, le président du SC Bastia. On propose à tous les clubs visiteurs de jouer à 19 heures au lieu de 15 heures pour offrir un vrai spectacle devant 5000 spectateurs. Et, en échange, on prend en charge leur hôtel, leur transport et leur repas. Aucune équipe n’a refusé ou est repartie mécontente. » « Pour un joueur de National 3, jouer devant 5000 personnes rend le match spécial pour toi, donc quand on te demande si tu veux bien jouer à Furiani, tu y vas, quitte à perdre deux ou trois points » , assure Grégory Poirier, jeune manager de l’US Marseille Endoume Catalans, actuel leader de la poule.
Autre raison pouvant motiver les éphémères locataires d’Armand-Cesari : celle d’encaisser la recette de la billetterie, qui leur est due en tant qu’hôtes. « Contrairement à ce qu’on dit, je pense que jouer à domicile est un désavantage, toise Claude Ferrandi, le président du SCB. N’importe quelle équipe, corse ou non, est transcendée quand elle vient jouer le Sporting à Furiani. C’est un match de coupe à chaque fois. » Un avis loin d’être partagé par tout le monde. Car pendant que Bastia s’évite les traquenards, toutes les autres équipes du championnat doivent quant à elle essayer de s’en extirper. « Quand vous allez à l’Étoile filante bastiaise ou à Île-Rousse, ce sont des petits synthétiques, un autre football et une autre façon d’aborder le match, continue Grégory Poirier. Ce serait plus compliqué pour Bastia d’aller chercher un résultat sur ces terrains. Le contexte domicile, c’est des repères, un public… Dans le sport, recevoir est toujours plus facile. »
« Aujourd’hui, j’ai envie d’arrêter le football… »
D’autant plus quand les us et coutumes des niveaux amateurs accentuent les bienfaits de la réception. En National 3, si l’arbitre central est issu d’une autre Ligue, les juges de ligne sont des locaux. Et donc forcément des visages familiers dans le petit monde du foot régional. « À Bastia, ils leur font la bise en arrivant, et quand ils marquent sur hors-jeu, le public chante « Merci Nico, merci Nico », parce que l’arbitre de touche s’appelle comme ça, témoigne l’un des entraîneurs. J’ai été obligé de dire à ma défense d’avoir toujours un œil dans son dos et ne pas jouer l’alignement. C’était infernal. » Des errances arbitrales dont l’effet est à minimiser, puisque ces arbitres locaux auraient été les mêmes à Lucciana qu’à Bastia, et que le Sporting doit également composer avec ce paramètre quand il quitte son île. Pourtant, Didier Camizuli ne digère pas certains épisodes : « L’an dernier, j’ai joué la montée à Furiani, ça a été un vol manifeste. L’arbitre de touche rigolait avec les spectateurs, il ne regardait même pas le match et dès qu’il y avait une action pour moi, il levait le drapeau. J’en ai vomi ! J’ai honte d’être entraîneur de football, j’ai honte de représenter la Ligue de Méditerranée, j’ai honte d’être représenté par ces gens à la Fédération qui te donnent des leçons de morale et de l’autre côté font ce qu’ils veulent avec qui ils veulent. C’est une secte, c’est une mafia… »
La Fédération est, elle, bien au courant de ces agissements. Depuis la refonte du championnat l’été dernier, c’est elle qui gère directement cette poule, la seule à mettre aux prises des clubs de deux ligues territoriales distinctes, celle de Corse et celle de Méditerranée. « Par souci de neutralité et d’équité pour les commissions » , nous répond-on à la FFF, sans pour autant éviter les querelles aujourd’hui. S’il veut bien entendre les doléances, Christophe Drouvroy assure n’avoir reçu aucune contestation formelle, hormis « un courrier d’Endoume qui posait justement des questions sur les modalités de la désignation du stade Armand-Cesari » . Le directeur des compétitions nationales de la FFF invoque des raisons de sécurité et des injonctions de délocalisation émanant de la préfecture contre lesquelles la Fédération ne peut rien. « Même rétrogradé, le SC Bastia continue de susciter un engouement très important. La problématique de la réception de ses supporters s’est donc posée, notamment pour les clubs de l’agglomération bastiaise, pose Christophe Drouvroy. La préfecture a donc mis un veto ou prononcé des recommandations fortes pour que les mairies ne valident pas les rencontres prévues dans des stades qui n’offraient pas les conditions de sécurité requises. » Faire appliquer la règle qui prévoit que le club recevant doit accorder 5% de la capacité totale de son enceinte aux visiteurs1 ne serait alors pas tenable.
« Il y a une acceptation de tout au détriment de l’équité sportive »
Par peur des autorités ? « Voir 2000 supporters qui poussent pour entrer ou bloquent les rues pour voir le match pose un problème évident auquel le préfet ne veut pas exposer les clubs, leurs supporters et la population » , explicite Christophe Drouvroy. Scène qui s’est déjà produite contre Le Pontet, joué à huis clos et sur terrain neutre (à la suite des incidents contre l’OL en 2017). Ce jour-là, les tifosi bastiais s’étaient massés en nombre autour du stade Santos-Manfredi de Corte, donnant des sueurs froides aux forces de l’ordre. C’est sûr, le Sporting concentre autour de lui énormément d’attentes sportives et économiques et ses 5000 abonnés ne risquent pas d’être découragés par un court déplacement. Mais pourquoi alors se retrancher automatiquement à Furiani ? La procédure dans ces cas-là prévoit que le club recevant sollicite une autre installation. Et la communauté d’agglomération de Bastia, propriétaire d’Armand-Cesari, y répond toujours favorablement. D’autant plus que l’enceinte est officiellement renseignée comme la structure de repli pour les clubs concernés et que son partage serait une condition pour que le Sporting puisse occuper un stade qu’il ne peut aujourd’hui plus payer seul.
« Sur la Corse, il n’y a pas d’autre stade capable d’accueillir autant de spectateurs, rapporte Patrick Valery. Je comprends que certains puissent trouver ça bizarre, mais c’est comme ça. On fait au mieux par rapport aux supporters. » Même type de discours du côté de la direction du Sporting. « Ce n’est pas nous qui choisissons : pour la préfecture, c’est soit Armand-Cesari, soit on bloque tout, résume Claude Ferrandi. Chaque match est classé en grand événement, ce qui suppose d’avoir des stadiers disponibles, des palpations… Ce sont des contraintes dont on se passerait bien. » Impossible de délocaliser tout le monde à Ajaccio et les 1000 places d’Erbajolo, stade historique du CA Bastia et occupé par l’AS Furiani-Agliani, ne peuvent être considérées comme un terrain d’entente. « Cette règle s’est déjà vue ailleurs, en 2013, lors d’un match d’accession décisif en National entre Raon-l’Étape et Strasbourg, où beaucoup de supporters étaient attendus, met dans la balance Christophe Drouvroy. Ce match a donc été joué à Épinal. » À Épinal, un terrain neutre. Mais le Racing n’a jamais joué à la Meinau ses matchs extérieurs. « On n’a pas demandé à ce que Bastia ait autant d’abonnés. Ça n’a jamais été un prétexte pour que le championnat soit biaisé, lance circonspect Grégory Poirier. Dans le passé, les exemples de Strasbourg, Grenoble, Cannes ou Sedan n’ont pas été gérés de cette façon. »
« La Fédération a peut-être trop lourdement sanctionné le Sporting »
De quoi questionner le statut des Turchini à cet échelon du foot français. « Voir le Sporting à ce niveau est une vraie tristesse, soupire Patrick Valery, qui en a porté les couleurs dans les années 1990. J’aimerais que le club retrouve son rang, qu’il puisse se reconstruire petit à petit. » « On ferait sûrement pareil pour l’OM, compare le Marseillais Patrick Michelucci. Passer de Ligue 1 au National 3, c’est dur, et la Fédération semble ne pas vouloir en rajouter. On a reporté leurs trois premiers matchs, on leur a laissé un mois de plus pour recruter des joueurs, monter une équipe… On a l’impression que, quelque part, ça donne bonne conscience en haut. » Des passe-droits que ne comprend pas non plus Michel Pavon : « Si la Fédération pense s’être trompée, elle n’a qu’à assumer et passer à autre chose. Compenser, c’est faire deux erreurs. » De l’autre côté de la Méditerranée, on se défend d’une quelconque démarche anti-corse. « Honnêtement, je connais des joueurs de Bastia et leur coach, assure Grégory Poirier, ancien joueur pro passé par Nîmes, Amiens et Arles. Ce ne sont pas des tordus, et j’ai presque envie de dire qu’à leur place, je ferais pareil. »
Mais chacun s’estime dans son droit de faire remonter ce qu’il considère comme une injustice. À un niveau où on exige de plus en plus de sérieux et où les enjeux prennent de l’ampleur, le laxisme des dirigeants irrite. « On a des gens qui ont investi dans le club pour que l’on monte, on a un budget assez conséquent, on bosse dur chaque semaine, donc bien sûr qu’on peut se sentir lésé » , se désole l’ancien Bordelais Michel Pavon. En rebattant les cartes en plein mois d’août, cette réorganisation a mis à mal les ambitions de clubs pensant d’abord croiser le fer avec la réserve du Sporting.
« Le pot de fer contre le pot de terre »
Samedi dernier, le match à Marseille entre deux candidats à la montée, Endoume et Bastia, s’est déroulé dans un contexte de haute tension, avec des empoignades entre ultras marseillais et supporters corses. « Est-ce que vous pensez que ce qui s’est passé dans les tribunes ce samedi à Endoume a pu rétablir l’équité sportive ?, rétorque Claude Ferrandi. Quand vos joueurs se font insulter toute la partie et qu’on leur dit que s’ils gagnent, ils vont mourir sur le terrain, cette équité est-elle respectée ? » Des rancœurs de chaque côté de la Méditerranée que la Fédération ferait bien d’apaiser d’une manière ou d’une autre. « J’aimerais que l’on convoque tous les dirigeants de National 3 à Paris pour qu’on nous explique, mais je sais que ça ne se fera pas, désespère Didier Camizuli. Le problème, c’est que chaque club regarde son intérêt. Personne n’est capable de prendre son téléphone et de dire aux autres : « Basta, on ne joue plus. » »
En ce mois de janvier, la solidarité continentale s’active et une pétition se prépare. Mais pour demander quoi exactement ? Aux mêmes maux, des traitements différents. À Aubagne et Cannes, on pense que la solution serait « d’accorder également la montée en National 2 au club qui finit second » , notamment dans le cas où Bastia finirait en tête. À Endoume, Patrick Michelucci propose une mesure applicable rapidement pour apaiser les esprits. « Je propose que tous les matchs entre Corses et continentaux soient arbitrés par un trio arbitral venant d’une Ligue neutre, extérieure, expose ce notaire de métier. Je pense que ça éviterait les problèmes et les doutes. Et si le Sporting est premier à la fin de la saison, c’est parce qu’il a gagné sa place sur le terrain. Cela permettrait de jouer les matchs retours de manière sereine. On a un beau championnat, mais il ne faut pas qu’il y ait de suspicion. »
Par Mathieu Rollinger
Tous propos recueillis par MR.
1. Article 235, alinéa 4, du règlement des terrains et installations sportives de la FFF : « Pour les installations sportives de niveau 1, de niveau 2 et de niveau 3, la capacité du secteur qui doit être réservé pour les spectateurs du club visiteur doit correspondre à 5% de la capacité d’accueil de l’installation sportive concernée dans la limite de 2 000 places maximum avec sanitaires et espace de restauration spécifiques. »