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Barça-Bayern ou l’art de la conversation

Par Thibaud Leplat
Barça-Bayern ou l’art de la conversation

Cette demi-finale Barcelone-Bayern n'est pas un match de football opposant deux équipes de 11 joueurs dont l'objectif serait de marquer un but de plus que leur rival. Non, ce match est une conversation entre Pep et Barcelone.

Chaque match est le dernier, et le premier. Comme une conversation délicieuse. Si, dans ce grand salon vert aux dimensions gigantesques, les invités différeraient au gré des compétitions, des équipes et des époques, l’amphitryon porterait toujours un costume italien aux lignes élégantes. D’une main, parfois des deux, il dirigerait les débats, soir après soir, entretenant la flamme du jeu et de la discussion. Cet homme remuant dans cette silhouette rectiligne et dont les traits du visage semblaient aspirés de l’intérieur comme vers une dimension plus profonde, avait l’élan énergique de l’hôte bienveillant. Un jour qu’il reçut à Barcelone la médaille du Parlement de Catalogne – plus haute distinction du pays – Pep prit la parole devant toutes les autorités de cette minuscule nation et dévoila l’objet de toutes ses conversations : « Je n’ai qu’un seul mérite : j’aime mon travail. J’ai une passion profonde pour lui. Je l’adore. Je l’adorais déjà quand j’étais joueur, je l’adore maintenant que je suis entraîneur, j’adore toujours en parler, en faire l’objet de mes discussions avec untel ou untel » . Jouer c’est converser, mais d’une autre façon.

La règle du je

Les ignorants prennent la conversation comme le prétexte à l’exposé fanatique d’opinions personnelles maquillées grossièrement en vérités de toute éternité. Ainsi pour appuyer leur dires, ils brandissent des dessins, des croquis, des sources mystérieuses, et, devant l’assistance ébahie par tant d’aisance et de vulgarité, concluent leur propos d’une invraisemblable collection de chiffres ou de millions censée éclaircir l’ombre des doutes qui planaient sur ces invectives déguisées en argumentation. Si ces hommes acceptent de parler en public, ce n’est que pour faire la leçon aux autres. Et, du haut de leur ignorance qu’ils prennent souvent pour une vertu (c’est justement parce qu’ils ne savent pas qu’ils ont le droit de parler, estiment-ils), pour faire taire les mécréants. Bien sûr, dès qu’ils peuvent, ces misérables ne perdront jamais l’occasion de rendre gloire à un plus infatué qu’eux, à un plus vulgaire, à un moins scrupuleux. C’est irrémédiable, leur exposé se terminera toujours de la même façon. Au lieu de soulever leur verre et boire à la santé de leur rival du soir, ils préféreront, d’une dernière vanne bien sentie, humilier celui qui s’était permis de ne pas les regarder dans les yeux quand il répondait à leurs questions et, au lieu d’attiser les flammes et de stimuler les instincts les plus vils, s’était assis avec nous sur une glacière pour y parler jeu. Le football n’est pas un sport, c’est le nom qu’ils ont donné à leur ressentiment.

Le fond et la forme

Or, c’est une certitude, Pep (comme Bielsa, comme Menotti, comme Van Gaal, comme Cappa, comme Valdano, comme des dizaines d’autres avec qui il s’était entretenu au fil de ses voyages) n’appartient pas aux peuples des braillards. Son pays est celui de la conversation : « De tout ce que j’ai appris, rien ne m’appartient. Ces choses appartiennent à tous les entraîneurs que j’ai connus. Absolument tous. Certains plus que d’autres bien sûr, mais tous m’ont laissé quelque chose » . Un autre jour : « à Barcelone j’ai volé, volé, volé, au Mexique, j’ai volé, et si maintenant vous voulez me voler, eh bien volez-moi » . Le football est comme les idées. Il appartient à tout le monde. C’est au plaisir de la parole partagée à Barcelone, à Rosario, à Buenos Aires, à Rome, à Brescia, au Mexique, avec Cruijff, avec Van Gaal, avec Capello, avec Velasco, avec Lillo, avec Cappa, avec Menotti qu’il doit son œuvre d’entraîneur-philosophe. Peu importe en réalité l’issue ou l’objet du dire, ce qui compte c’est le plaisir de raconter, d’écouter, de trinquer. La seule ivresse qui compte est celle de la conversation. Dans le football de Guardiola, on prend le ballon comme on prend la parole. Jouer et converser, c’est la même chose. Voilà sans doute pourquoi les ignorants le traitent de « philosophe » en ricanant, pensant qu’il prendra ce mot comme une insulte. Or Guardiola c’est Socrate, c’est Montaigne : « Servir de spectacle aux grands et faire à l’envi parade de son esprit et de son caquet, je trouve que c’est un métier très messéant à un homme d’honneur (…). Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non pas ma colère ; je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit » (Essais, III, 8)

Penser contre soi-même

Converser, c’est se comprendre. Bayern et Barça portent les mêmes couleurs et le même acronyme. Il est aujourd’hui évident qu’ils obéissent aussi à la même grammaire. En leur sein, ils vouent le même culte à la possession, à la sortie de balle, à ce « sport de la parole » (Fumaroli) que constitue la conversation entre rivaux bienveillants. Il avait même suffi que l’hypothèse de rencontrer leur ancien professeur fût émise par le tirage au sort pour que le Barça vertical et télescopique de Luis Enrique se remît tout à coup à deviser sur le jeu (voyez Getafe 6-0, voyez Córdoba 8-0, voyez l’obsession de l’attaque placée, du ballon au sol). Xavi était ressuscité au milieu, Rafinha (celui de Barcelone) se prenait pour Iniesta, Mathieu devenait Puyol, Suárez ressemblait à Lewandovsky et Neymar était David Villa. Comme si tous ces joueurs conversaient désormais entre eux et entendaient ainsi montrer à leur ancien mentor qu’ils étaient encore dignes de lui succéder, ils s’étaient mis à échanger le ballon frénétiquement. En confiant à nouveau le jeu au quintet Alves-Messi-Xavi-Busquets-Iniesta (parfois Rakitić, parfois Rafinha), le Barça a retrouvé le milieu de terrain d’antan et abandonné pour quelques matchs les courses folles dans les espaces et les ballons balancés dans les tribunes. Le Bayern peut bien perdre ce match, Pep a déjà gagné. Dans les cours de l’Europe entière, les rois parlent sa langue.

Dans cet article :
« D’ici deux ans, le gardien de l’équipe première aura un casque »
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Par Thibaud Leplat

À lire :
T. Leplat - Guardiola, éloge du style - Hugo sport, 16.50€

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