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Baptiste Reynet : « S’il y en avait un qui devait faire ce chemin vers le foot amateur, c’était moi »
Aussitôt après avoir annoncé sa retraite, Baptiste Reynet a rejoint son ancien club de Mours-Saint-Eusèbe, en D1 drômoise, où il joue désormais attaquant. Une reconversion logique pour ce gardien toujours resté proche du football amateur et qui veut goûter de nouveau au plaisir le plus simple. L’heure de revenir longuement sur une carrière marquée par les hauts et les très bas.
On avait gardé l’image du gardien, mais tu t’es révélé être un bon numéro 9 ce week-end avec l’US Mours (D1), pour le premier tour de Coupe de France où tu as marqué. Tu rêvais d’une telle reconversion après l’annonce de ta retraite ?
Un bon numéro 9, je ne sais pas quand même. (Rires.) La dernière fois que j’avais marqué, c’était avec la troisième équipe des seniors de Mours, quand je jouais en U18 et que j’avais proposé d’aider dans le champ, mais c’était en D4 ou D5… Je suis toujours resté en contact avec le club, j’y revenais souvent le week-end pour voir les matchs et j’ai toujours dit que quand j’arrêterai ma carrière je viendrai prendre une licence à Mours pour être numéro 9 parce que je voulais me venger de tout ce que j’ai subi dans ma carrière. Je disais ça pour rigoler, mais au fil du temps, j’y pensais de plus en plus. Je voulais continuer à prendre du plaisir dans le foot, d’une manière différente de celle que j’ai connu dans le monde pro.
Tu as souvent brillé par ta singularité en Ligue 1, notamment parce que tu n’es pas passé par un centre de formation, c’était logique de revenir aux sources ?
C’est vrai que s’il y en avait un qui devait faire ce chemin vers le foot amateur, c’était moi. Je pense que c’est normal que je vienne essayer d’aider, que j’emmène mon expérience de joueur professionnel et que je joue avec des amis.
C’est tôt, 33 ans, pour prendre sa retraite, surtout pour un gardien. Pourquoi as-tu fait ce choix ?
Physiquement, je me sentais encore bien, je me blessais très rarement. C’est sur l’aspect mental que ça coinçait. Je n’éprouvais plus autant de plaisir qu’auparavant et je m’étais toujours dit que j’arrêterais le jour où ça arriverait. Ce n’est pas dans ma nature de continuer juste pour prendre mon chèque à la fin du mois, sans me donner à 100%. Aujourd’hui, je peux vivre plus normalement et ça me fait du bien.
C’est-à-dire ?
Il y a beaucoup moins de contraintes. Quand t’es joueur professionnel, tu dois constamment faire attention à ce que tu fais, ce que tu manges, comment tu dors… Maintenant, j’apprécie de ne plus me lever pour aller à l’entraînement, de ne pas partir en stage. C’est bête, mais tous les week-ends étaient pris, alors que je peux profiter de ma compagne désormais. Pour l’instant, je ne regrette pas. Le seul truc qui peut me manquer à court terme, c’est l’adrénaline avant le match, entrer dans les plus grands stades de France. Mais ce n’est pas que ça, le monde pro, et je me sentais moins prêt, mentalement, à faire ces efforts.
En jetant un œil dans le rétroviseur, que retiens-tu de ta dizaine d’années au plus haut niveau français ?
Il y a eu de très bons moments et d’autres très douloureux. J’ai eu un début de carrière vraiment bien, jusqu’à mes 29-30 ans, avec de superbes émotions, puis les descentes (avec Toulouse en 2019-2020, Nîmes en 2020-2021 de la Ligue 1 à la Ligue 2 et Dijon en 2022-2023 de la Ligue 2 au National, NDLR) m’ont marqué négativement. La pire a été celle avec Dijon qui m’a fait énormément de mal intérieurement. Je ne sais pas expliquer un tel changement, c’est simplement une carrière qui est faite de hauts et de bas. À la fin, j’étais malheureusement du mauvais côté.
Avant cela, tu es le symbole des belles années dijonnaises au milieu des années 2010 avec le retour en Ligue 1 jusqu’à la 11e place.
C’est évidemment le meilleur moment de ma carrière, je ne retiens que le positif. On avait une bande de copains qui ne se prenaient pas la tête, on était super bien encadrés et ça marchait super bien. Terminer 11e avec Dijon, c’est quand même fou.
Comment expliques-tu le fait d’avoir été nommé parmi les quatre meilleurs gardiens de la saison de Ligue 1 2016-2017 alors que le DFCO termine 16e avec un maintien à la dernière journée ?
J’avais été très surpris parce que je me retrouve avec Danijel Subašić, Anthony Lopes et Kevin Trapp, trois internationaux qui jouent dans les meilleurs clubs français. Ce n’est pas commun d’être nommé en jouant le maintien, c’est une fierté. À titre personnel, ça reste la meilleure saison de ma carrière, et j’avais dû être bon au point de marquer les autres joueurs pour me retrouver à cette cérémonie.
Est-ce révélateur de l’ensemble de ta carrière : un gardien ultra-sollicité capable de se montrer à son avantage, mais bien obligé de céder à un moment ?
À part en Ligue 2 où je jouais la montée avec Dijon, j’ai toujours joué dans des clubs qui étaient prédestinés à jouer le maintien. C’est pesant parce qu’on a des défenses moins solides, qu’on joue face à des adversaires qui sont tous quasiment plus forts que nous sur le papier et qu’on va devoir faire dix arrêts. Mais c’est aussi compliqué d’être gardien dans un grand club et de devoir sauver l’équipe sur un seul arrêt. Ce qui est frustrant, c’est de n’avoir pas fait mieux avec Toulouse, car c’est un club qui devait être bien plus haut, comme on le voit aujourd’hui avec la victoire en Coupe de France et les bons résultats en Ligue 1.
Comment appréhendais-tu le jeu très offensif d’Olivier Dall’Oglio à Dijon ?
Ça me plaisait beaucoup, même quand on gagnait 4-3 et que je prenais pas mal de buts. La saison où on termine 11e, on prend 73 buts (deuxième pire défense de Ligue 1), mais on en marque plus de 50 (55, cinquième meilleure attaque), ce qui montre qu’on avait une équipe qui aimait jouer. J’adorais le discours d’Olivier Dall’Oglio puisqu’il me disait de prendre des risques à la relance, de jouer haut, et que si je me déchirais, c’était lui le responsable. Ça enlève un certain poids, mais ça montre aussi que quand t’as un bloc équipe haut, t’es obligé d’être haut. C’est grâce à ça qu’on marque contre Montpellier, lorsque je sors en prenant une balle en profondeur de la poitrine, je continue l’action, Flo Balmont remonte le ballon et Wesley Saïd termine. C’est un but à l’image de notre équipe, on voulait produire du beau jeu.
« Tu peux sortir et si on se fait prendre, c’est de ma faute », c’est une phrase qu’on retrouve souvent de la part des entraîneurs, mais est-ce qu’un gardien l’entend de la même façon ? C’est lui qui est critiqué en premier, pas le coach.
Je l’entendais avec Olivier Dall’Oglio, puis avec Alain Casanova à Toulouse, parce qu’il faut comprendre toute leur philosophie. Si je n’avais pas cette faculté à jouer haut et à relancer proprement au pied, je n’aurais sûrement pas été voulu par ces deux coachs. À Dijon, le discours de Laurent Weber (entraîneur des gardiens) était encore plus radical, il voulait tout le temps que je monte d’un mètre ou deux de plus. Je pense surtout que dans ce système, c’est la meilleure manière d’avoir des résultats, je me souviens plus des bonnes choses que des boulettes. J’ai pris un lob de 45 mètres contre Niort, mais ce n’était même pas à cause d’un jeu trop offensif, c’était à la suite d’un six mètres.
La suite est moins réjouissante avec les trois relégations…
(Il coupe.) C’était dur, oui. Je n’étais pas forcément préparé à ça. C’est là qu’on voit que le foot va vite parce que je suis passé de la CFA à être titulaire en Ligue 1 en très peu de temps, puis je passe d’une nomination dans les meilleurs gardiens du championnat au National en quelques années. La relégation avec Toulouse arrive l’année du Covid, quand le championnat a été arrêté, mais on était très mal embarqués, il ne faut pas se faire de fausses idées. Je suis allé à Nîmes parce que je sais que là-bas la ferveur du public peut aider, et finalement, on joue dans un stade vide toute la saison et on descend. À Dijon, j’ai vécu le moment le plus douloureux de ma carrière. J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre, je pense que j’ai fait une dépression.
Ça se caractérisait par quoi ? Je lisais beaucoup de choses sur le sujet et ça y ressemblait. C’est-à-dire que je n’avais envie de rien. Je me levais sans but chaque matin, je passais ma journée dans le canapé à attendre, je ne savais pas si je voulais continuer ou arrêter. Ma copine a dû gérer ça, et je l’en remercie, parce que je n’étais pas très agréable. Un jour ça allait, le lendemain plus du tout. Des agents m’appelaient pour me proposer un projet, ça me tentait, mais deux jours après, j’avais plein d’angoisses, je stressais pour tout.
Tu as été accompagné par un spécialiste ou ce sont seulement tes proches qui t’ont aidé ?
Uniquement mes proches, mais avec du recul, j’aurais dû aller voir un spécialiste. En plus, je n’ai jamais eu de complexe par rapport à la dépression dans ma carrière. Avant ça, j’avais longtemps vu une kinésiologue à Dijon pour travailler sur mes moments de doutes, quand je me sentais moins bien. J’aurais dû aller consulter, mais je n’avais juste pas envie. J’en avais quand même parlé à des coéquipiers, même si c’est dur dans un vestiaire où tu peux passer pour un faible. J’avais discuté avec Lucas Deaux qui avait aussi été au chômage, avec Fred Sammaritano, et des copains de Mours, je ne me suis jamais senti à l’abandon.
Terminer à Ibiza était une manière de passer à autre chose ?
J’avais dit au président Olivier Delcourt que je voulais résilier mon contrat à Dijon parce que ça n’allait plus du tout mentalement et je lui avais promis de ne pas aller dans un autre club français. J’avais déjà vécu beaucoup de choses en France et je n’avais plus envie d’avoir l’étiquette du gardien qui descend tout le temps. J’avais une opportunité en première division suisse, mais dans un club qui jouait justement le maintien, alors j’ai préféré jouer la montée de la D3 à la D2 espagnole. Et puis on déménageait dans un cadre de vie magnifique, d’ailleurs ce n’était pas du tout un choix financier comme j’ai pu le lire parfois.
Tu as parfois été catalogué comme un homme qui aimait la fête, c’était le choix idéal, Ibiza ? Pour être tout à fait honnête, je n’ai même pas fait la fête là-bas ! (Rires.) J’avais envie de me concentrer sur le foot, d’éviter les blessures. Après ce que j’avais vécu, ça me faisait du bien. Maintenant qu’on connaît l’île, on pourra y retourner pour faire la fête. Mais ce n’était pas une image galvaudée de moi, parce que je suis un bon vivant, j’ai toujours eu cet esprit de rugbyman. Quand je lisais certains commentaires, j’avais l’impression d’avoir des problèmes d’alcool ou que je sortais tous les jours, ce n’est pas vrai. C’est simplement que ça dérange plus quand les performances ne suivent pas. À Dijon, on sortait en boîte avec ma bande de copains, il y avait même parfois le staff, mais ça ne gênait personne quand on était en Ligue 1. Quand t’es en haut, les supporters nous trouvaient accessibles, puis quand on était en bas, ils nous crachaient dessus, c’est compréhensible, mais on bossait de la même manière.
Le meilleur buteur de l’histoire de Nîmes est décédéPropos recueillis par Enzo Leanni