Banfield, la révolution est en marche

Lorsque les trois coups de sifflet de l’homme en noir retentissent dans la Bombonera, les trois mille cinq cent supporters du Taladro (la perceuse) présents à La Boca peuvent écraser une larme et se sauter au cou, tout comme leurs camarades qui ont suivi le match à quelques kilomètres de là sur un écran géant, dans les travées du stade Florencio Sola : malgré la défaite (2-0) lors de la dernière journée du tournoi d’ouverture face à Boca Juniors, Banfield décroche son premier trophée national en… 113 ans d’existence !

Tétanisés par l’enjeu, assommés par un doublé de Palermo qui retrouvait le chemin des filets après sept cents minutes de disette, la meilleure défense du championnat pouvait souffler et surtout remercier son buteur uruguayen Santiago Silva, muet en ce dimanche après-midi, mais auteur de quatorze buts en dix-neuf matchs (sur les vingt-cinq inscrits par les Blanc et Vert dans ce tournoi). Ignoré par Oscar Tabarez, le sélectionneur de le la Celeste, le goleador au crane rasé est la révélation de ce semestre, au même titre que son compatriote de Rosario, l’avant-centre de Newell’s Old Boys, Joaquin Boghossian. L’équipe emmenée par Roberto Sensini, qui devait s’imposer pour espérer chiper la première place à Banfield, a tout fait à l’envers face à San Lorenzo (0-2).

Peratta n’a pu que constater les dégâts alors que Bordagaray donnait l’avantage au Ciclon d’une divine frappe enroulée dans sa lucarne gauche, deux minutes après avoir repoussé un pénalty de Kily Gonzalez (11e). Le second coup de poignard de Bordagaray (68e) jette un froid dans les tribunes du Coloso del Parque et scelle le sort du championnat.

La chute d’un empire

Une rigueur défensive que ne renierait pas Aimé Jacquet et quelques éclairs du Colombien James Rodriguez (18 ans) et de Walter Erviti ont permis au Taladro, critiqué pour la médiocrité de son jeu, de rester invaincu de la première à la seizième journée. Son entraîneur, Julio Falcioni, a façonné une machine à gagner sur les cendres d’une formation qui avait terminé à la douzième place il y a six mois. Mais au-delà de ce constat, la consécration de Banfield illustre la nouvelle donne qui régit le football argentin : l’hégémonie des géants Boca Juniors et River Plate, qui ont remporté la moitié des tournois mis en jeu ces dix dernières années, appartient bel et bien au passé. L’arrivée de nouvelles têtes dans le haut de tableau (comme Lanús, sacré en 2007, et Tigre, deuxième en 2007 et 2008) laissaient augurer une révolution depuis quelques saisons. Le triomphe de Banfield ne fait que l’entériner.

Messi, l’arbre qui cache la forêt

De 1931 (lorsque le championnat argentin devint professionnel) à 1966, cinq clubs se partagèrent sans merci les lauriers de champion (Boca, River, San Lorenzo, Independiente et Racing). En 2010, aucun de ces cinq géants ne défendra les couleurs de l’Argentine en Copa Libertadores, faute de résultats suffisants cette année. La chute de cet empire, le jeu sans saveur proposé par la Seleccion et une politique de formation plombée par des intérêts personnels (malgré l’émergence d’une poignée de talents tels Buonanotte, Salvio et Bolatti) a fait surgir une question improbable il y a quelques mois encore dans l’opinion publique, que Messi, le Ballon d’Or qui cache une forêt de soucis, ne pourra masquer indéfiniment : mais que fait l’Argentine ?

Par Alejandro Carbone, à Buenos Aires