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Banderoles, instances et liberté d’expression

Par Aymeric Le Gall
Banderoles, instances et liberté d’expression

L'AS Saint-Étienne et le RC Strasbourg ont tous deux été sanctionnés au portefeuille par les instances du foot en raison de banderoles déployées au stade par leurs groupes ultras. Des banderoles dont les messages ne semblaient pourtant pas répréhensibles aux yeux de la loi. Alors, on en est où de la liberté d'expression dans les stades ? Enquête.

« Si la liberté d’expression coûte 25 000 euros… Où est passée la France de Charlie ? » Telle est la question que les supporters stéphanois, en déplacement du côté d’Angers pour le compte de la 29e journée de L1, ont ouvertement posé par le biais d’une banderole après les sanctions financières infligées par la Ligue professionnelle de football au club de Saint-Étienne. La raison de cette amende ? Une série de banderoles déployées par les ultras du Chaudron, lors du match de championnat contre le Paris Saint-Germain, en soutien aux supporters parisiens écartés par la direction du club de la capitale.

« Argent sale accepté, libertés bafouées, classes populaires écartées, bienvenue au PSG » , « Le Parc est devenu un cimetière : vous n’emporterez pas votre argent au paradis. Pray for Paris » ou encore « Deux minutes pour montrer aux Qataris ce qu’ils ont fait à Paris » , tels étaient les slogans affichés par les virages stéphanois lors du grand match du dimanche soir sur les antennes de Canal +. Furieux de s’être vus ainsi pointés du doigt par les ultras du Forez et choqués par la teneur des messages, les dirigeants du PSG n’ont pas traîné à crier leur indignation auprès de l’ASSE d’une part et de la LFP d’autre part. Celle-ci a aussitôt ouvert une enquête et, après audition des représentants de l’AS Saint-Étienne, a finalement infligé une amende de 25 000 euros au club dirigé par Bernard Caïazzo et Roland Romeyer.

La liberté d’expression oui, mais pas dans les stades ?

À l’heure où la liberté d’expression est brandie dans notre pays comme un étendard contre toute sorte de fanatisme, notamment après les attentats qui ont frappé la France de plein fouet en janvier et novembre 2015, cette affaire interroge. En quoi les messages déployés par les fans de Sainté peuvent-ils faire l’objet d’une condamnation par la LFP ? Si la liberté d’expression est effectivement un droit inaliénable pour tous les citoyens de notre pays, s’arrêterait-elle désormais aux portes des stades de football ?

« Il n’y a plus de place pour la liberté d’expression dans les stades, et surtout quand on touche au grand seigneur Paris Saint-Germain. »

Enfin, le stade de foot est-il toujours un espace public dans lequel les supporters peuvent, dans les limites de la légalité, brandir des messages de revendications ? Pour répondre à ces questions, le plus simple est de les poser directement à la LFP, l’instance du foot à l’origine de l’amende infligée à l’ASSE. Contacté à plusieurs reprises par So Foot, celle-ci n’a pas souhaité donner suite à nos demandes d’entretien. De leur côté, les ultras stéphanois ont donné leur point de vue à travers un communiqué officiel (rédigé conjointement par les Magic Fans 1991 et les Green Angels 1992) dans lequel ils expliquent qu’ « il n’y a plus de place pour la liberté d’expression dans les stades, et surtout quand on touche au grand seigneur Paris Saint-Germain » .

Pour Cyril Dubois, avocat de l’Association de défense et d’assistance juridique des supporters parisiens (ADAJIS), cette sanction est simplement « une nouvelle façon de faire taire les ultras. » Ce qui dérange cet avocat parisien, c’est d’abord la question de la légalité d’une telle peine : « D’un point de vue strictement légal et pénal, je ne vois absolument pas – et d’ailleurs le PSG lui-même n’a pas osé le faire – comment ils auraient pu porter plainte contre ces banderoles qui n’ont absolument rien d’illégales. Elles s’inscrivent dans le cadre de la liberté d’expression, il n’y a rien à y redire. »

Devant un vrai tribunal, qui ne soit pas un tribunal de la Ligue professionnelle de football, ça n’aurait pas tenu une seconde.

Si ces messages semblent donc cadrer parfaitement avec les lois de la République et n’auraient, en termes purement juridiques, aucun caractère répréhensible, pourquoi cette sanction financière à l’encontre de Saint-Étienne ? « On (la LFP, ndlr) s’est rattrapé aux branches en invoquant tout de suite le règlement LFP, répond Dubois. Règlement qui est suffisamment flou et fourre-tout pour permettre une condamnation du club de Saint-Étienne. Mais devant un vrai tribunal, qui ne soit pas un tribunal de la Ligue professionnelle de football, ça n’aurait pas tenu une seconde. » En effet, pour justifier sa sanction, la Ligue s’est appuyée sur l’article 521 de son règlement qui dit que « l’interdiction d’accès au stade doit obligatoirement s’appliquer aux personnes : en possession de banderoles, insignes, badges, tracts ou tout autre support dont l’objet est d’être vus par des tiers à des fins politiques, idéologiques, philosophiques, injurieuses ou commerciales ou présentant notamment un caractère raciste ou xénophobe. »

Les clubs dans l’embarras

À la lecture de cet article, le terme « fourre-tout » employé par maître Dubois n’est dès lors pas tout à fait dénué de sens. Difficile en effet de faire la distinction entre ce qui relève de la liberté d’expression et ce qui y est contraire. Si les messages à caractère raciste, xénophobe ou injurieux sont, de fait, parfaitement condamnables en justice, comment juger en revanche de tout ce qui a trait à des propos ayant « des fins politiques, idéologiques, philosophiques ou(…)commerciales » ? À partir de ce simple article, n’importe quel message brandi par des supporters dans les stades de football pourrait ainsi aisément entrer dans ces cases et se voir sanctionner en conséquence.

Puisqu’il n’y a plus qu’une logique de business et d’intérêts financiers qui préside, eh bien on ne veut rien qui dépasse, rien qui puisse faire aspérité, rien qui ne puisse échapper au service marketing des clubs.

À ce sujet, il n’est pas inintéressant de se poser la question du statut juridique des enceintes de football. Si le stade était un lieu privé appartenant à une société elle-même privée, alors les règles pourraient en effet être dictées par ses propriétaires, auquel cas les messages des banderoles pourraient être passés au crible et refusés le cas échéant. En revanche, comme cela est le cas aujourd’hui, si les stades de foot en France sont en partie la propriété des municipalités, ceux-ci restent bien un lieu public dans lequel la liberté d’expression a toute sa place. Cyril Dubois toujours : « On a tellement oublié un passé pourtant récent du football français où les stades avaient été construits par les municipalités, c’est-à-dire par les impôts collectifs, où les équipes étaient subventionnées par les mairies – aujourd’hui on est passé à un système totalement privé – et c’est vrai qu’on a l’impression qu’on est en train de privatiser totalement le football. Du coup, puisqu’il n’y a plus qu’une logique de business et d’intérêts financiers qui préside, eh bien on ne veut rien qui dépasse, rien qui puisse faire aspérité, rien qui ne puisse échapper au service marketing des clubs. »

La Fédération nous a envoyé une lettre pour nous menacer d’arrêter le match en cas de banderole. Je trouve que ce n’est pas bien et je ne crois pas que ce soit très légal.

En attendant, ce type de sanction met clairement les clubs visés dans une position inconfortable, le cul entre deux chaises, tiraillés entre la volonté de répondre aux exigences des instances et celle, tout aussi légitime, de faire respecter le principe de liberté d’expression dans leurs stades. « Soit les clubs décident de couvrir leurs ultras, même s’ils ne pourront pas payer des amendes ad vitam aeternam, conclut l’avocat, soit ils leur mettent la pression pour arrêter de déployer des banderoles. » De leur côté, les dirigeants des Verts ont tranché la question en décidant de faire appel de cette décision. La position de la Ligue n’est d’ailleurs pas la seule à faire grincer des dents du côté de Sainté, puisqu’à peine un mois plus tard, à l’occasion d’un nouveau ASSE-PSG, en quarts de finale de Coupe de France, la FFF y allait elle aussi de sa petite menace. C’est Bernard Caïazzo, surpris aussi bien par la méthode employée par la 3F que par le contenu de l’avertissement, qui a lâché l’info aux journalistes présents en salle de presse après la rencontre. « La Fédération nous a envoyé une lettre pour nous menacer d’arrêter le match en cas de banderole. Je trouve que ce n’est pas bien et je ne crois pas que ce soit très légal » , a-t-il déploré. Ici, c’est bien le principe de la liberté d’expression dans les stades français qui est remis en question au travers des décisions des instances. Et il n’y a pas que dans le Forez que ce débat est ouvert.

Autre lieu, même affaire

À l’occasion du match de National entre le Racing Club de Strasbourg et Béziers, le 29 janvier 2016 au stade de la Meinau, les ultras alsaciens déployaient le message suivant pour exprimer leur mécontentement suite à l’élaboration de la nouvelle loi sur les supporters (la loi Larrivé, du nom du député qui a déposé ce texte voté à l’Assemblée nationale et qui passera devant le Sénat le 5 avril prochain) : « Libertés bafouées, supporters fichés, occupez-vous des terroristes : pas des supporters. » Le championnat National étant géré non pas par la LFP, mais par la FFF, c’est cette dernière qui s’est emparée de l’affaire avec, à la clé là aussi, une condamnation prononcée par la commission de discipline de la Fédération envers le club strasbourgeois avec l’obligation de verser une amende de 2000 euros.

Le RCS a depuis décidé de faire appel de cette décision. Sur son site officiel, les dirigeants expliquent que « le club considère que cette sanction est injuste au regard des faits reprochés. » Jointe par So Foot, la FFF n’a pas non plus souhaité s’exprimer sur ce dossier. En début de saison, le club avait déjà été condamné à verser une amende suite à une banderole brandie à la Meinau par deux individus n’appartenant à aucun groupe de supporters et sur laquelle on pouvait lire « Migrant Raus » ( « Les Migrants Dehors » ), répondant au contexte de la crise migratoire qui frappe aux portes de l’Europe. La condamnation de ces propos, partagée par les dirigeants du Racing, laisse songeur. D’un côté 1 000 euros d’amende pour un message clairement discriminatoire et répréhensible sur le plan judiciaire, et de l’autre, 2 000 euros pour une banderole dénonçant la limitation des libertés des supporters de football. Si le fait que la banderole sur les migrants ait été immédiatement retirée par la sécurité du stade a pu jouer sur le montant de l’amende, il reste cependant difficile ici de comprendre la logique du barème des sanctions d’une affaire à l’autre…

« Les mesures sont devenues beaucoup plus strictes aujourd’hui, alors qu’il y a encore quelques années, on avait des banderoles qui passaient dans les stades en Ligue 1 et qui étaient pour le coup vraiment discriminantes ou insultantes. »

Pour Franck, porte-parole des UB90, le groupe à l’origine de la banderole du 29 janvier, l’incompréhension est totale : « Les mesures sont devenues beaucoup plus strictes aujourd’hui, alors qu’il y a encore quelques années, on avait des banderoles qui passaient dans les stades en Ligue 1 et qui étaient pour le coup vraiment discriminantes ou insultantes, avec des mots forts et qui passaient tranquillement dans le cadre du folklore. Et maintenant, pour des banderoles qui sont plus dans la demande de liberté d’expression, dans la demande de clarté au niveau des procédés sécuritaires, on est retoqué et remis en cause… » Celui-ci ne parvient pas à comprendre en quoi la teneur de leur message pouvait être susceptible d’être sanctionnée par les instances. « Le but quand on rédige nos banderoles, tient-il à expliquer, c’est d’éviter d’être bête et méchant. Ça ne sert rien ni personne. On n’est plus dans le constat et, selon nous, ces constats ne méritent pas d’être sanctionnés. Quand on a appris la sanction infligée au club, on était juste dégoûtés, mais en même temps, ça confirme bien que le combat qu’on mène pour nos libertés prend tout son sens. » La réaction du RCS lui semble parfaitement logique dans la mesure où « il n’y avait rien de diffamant, de raciste ou d’insultant sur cette banderole. On pense que le club n’a pas à être la vache à lait de la Fédé sur ce type de cas. »

Le combat pour les libertés des supporters ne peut se faire qu’avec le soutien des clubs.

De la même manière, les groupes de supporters stéphanois dénonçaient de la part des instances un « racket légal » . En attendant de savoir ce qu’il adviendra des procédures d’appel lancées par Saint-Étienne et Strasbourg, ces décisions tendent à prouver que les clubs ne semblent plus vouloir dire « Amen » aux instances dans ce genre de cas bien précis. Un bon point pour Franck qui prévient que « le combat pour les libertés des supporters ne peut se faire qu’avec le soutien des clubs » .

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