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Banana Split

Par Maxime Brigand
6 minutes
Banana Split

C’est une bataille historique. Depuis 2011, l’Hajduk Split, symbole du football croate, a vu hémerger en son sein l’association Notre Hajduk dont l’idée est simple : redonner le club à ses supporters et dégager toute ingérence politique du football. Pour l’honneur et la démocratie. Plongée sur place.

À son rythme, l’horloge tourne. Il ne reste maintenant qu’une poignée de jours avant le retour à la vie. Entre les allées qui entourent le Poljud de Split, un club de karaté, une station de lavage, une garderie et quelques ombres qui errent sous les coups donnés par la forte chaleur estivale de la côte dalmate. La Croatie s’est finalement relevée après des semaines en apnée entre l’élimination précoce de sa sélection nationale de foot en France et une crise politique qui enfonce le pays dans le doute jusqu’à de nouvelles élections prévues en septembre prochain. Il est maintenant l’heure de remettre le contact : alors que le championnat national reprend dimanche pour le Hajduk Split, deuxième club du pays derrière le Dinamo Zagreb et seul club croate à avoir disputé un quart de finale de Ligue des champions en 1995, le Poljud se prépare à accueillir la première rencontre à domicile de la saison avec la réception du CSMS Iaşi en Ligue Europa, le 21 juillet prochain. Sauf que la tête est aujourd’hui ailleurs. Il n’est pas question de fête, ni de rivalité sportive. Split est devenu en l’espace d’une dizaine d’années le terreau d’une révolution globale qui n’a pour objectif qu’une seule mission précise : que l’Hajduk redevienne un symbole, celui historique de toute la Dalmatie, mais surtout celui de la démocratie pour l’honneur dans un pays gangrené par le clientélisme à grande échelle. Alors, un homme arrive et accueille avec le sourire : « Bienvenue chez nous. »

Mes que un club

Autour de la table, un médecin, un ingénieur, un photographe. Des bénévoles qui ont décidé de sacrifier leur temps libre pour leur club de foot. « C’est simple, ma femme, je l’ai rencontrée il y a maintenant une trentaine d’années. Le Hajduk ? C’est l’amour de ma vie, il ne m’a jamais lâché » , pose le sociologue Dražen Lalić, spécialiste du club le plus populaire de Croatie et auteur d’un livre référence sur l’histoire de la Torcida, le groupe de supporters du Hajduk Split et premier rassemblement de fans dans l’histoire du football européen. Vedran Runje, ancien gardien au Poljud et ex-international croate au cours des années 2000, explique que « Split se réveille avec le Hajduk et se couche avec. On est encore à un niveau supérieur à ce qu’il se passe à Marseille. Là, c’est définitivement plus qu’un club. » Le tableau est posé et il suffit de dévaler les rues de la seconde ville la plus peuplée de Croatie pour comprendre comment s’écrit cette histoire. Il y a dix ans maintenant, tout a pourtant failli s’arrêter. 2005, l’année où le Hajduk a soulevé son dernier titre de champion avant le début de l’ère Dinamo qui a remporté tous les championnats depuis, soit onze consécutifs pour des raisons qui dépassent le simple cadre du foot.

D’où le début de la révolution. Le Hajduk Split est alors une institution dans les mains de son président, Branko Grgić. Un homme qui dessine à lui tout seul les maux de la Croatie post-indépendance, un pays où le football est souvent considéré comme « la première vitrine du pays à l’international » , comme l’expliquait l’ancien président Franjo Tuđman. C’est simple : à côté de son activité de président de club, Grgić est également directeur de l’Administration portuaire de Split et un membre influent de la politique locale au cœur de l’Union démocratique croate (HDZ). Le football est politique en Croatie, le Hajduk est donc un enjeu majoritaire et a vu défiler huit présidents différents depuis Branko Grgić. Ivan, ingénieur dans la vie et supporter du club, pose alors sa bière et prend la parole : « Notre lutte a commencé à ce moment précis, en 2005. On est arrivés à un stade où le fonctionnement de notre propre club ne nous convenait pas. On a voulu changer les choses, car depuis toujours, les partis locaux (HDZ, SPD – socialistes) dictaient le fonctionnement en interne. On a voulu reprendre les choses en main, on a tenté d’acheter des actions du club et on a échoué. Puis en 2008, le Hajduk s’est retrouvé avec une dette immense et a été cédé à la ville qui est devenue la première actionnaire du club. Le board a donc été rempli de politiciens où chaque décision était avant tout liée à un intérêt politique. »

Symbole en soins palliatifs

Au moment de la reprise en main du club par la ville en 2008, la dette est alors épongée. Trois ans plus tard, le bilan financier affiche un déficit de 15 millions d’euros avec plus d’une centaine de procès pour des financements illégaux. Comme pour salir définitivement la réputation du club. L’heure des actions vient de commencer : une partie civile des supporters décide alors de fonder l’association à but non lucratif Notre Hajduk, en 2011. « Notre objectif était de réunir un groupe de personnes éduquées, explique le secrétaire général de l’association, Ivan Rilov. L’idée était de construire un meilleur club, mais pas un nouveau club comme ce qui a été fait avec le FC United of Manchester. Comme pour reprendre ce qu’on a toujours aimé entre nos mains. » Par la démocratie. Notre Hajduk est également soutenue par les membres des Torcida, dont le leader iconique Žan Ojdanić, décédé tragiquement dans un accident de parachute en avril dernier. Comment cela se concrétise-t-il ? Par des discussions avec la mairie – dont les politiques ne pouvaient accepter de voir le Hajduk mourir entre leurs mains – qui accepte progressivement que l’association nomme sept membres de la société civile pour former un conseil de surveillance. Le tout par élection démocratique, la première en 2011 et la seconde en 2015.

Le modèle s’inspire alors de ce qui a été fait à Benfica. Ivan Rilov : « Les politiques ont essayé de nous faire tomber, mais les résultats parlent pour nous. Depuis 2011 et la mise en place du conseil de surveillance, le club a survécu, les finances vont mieux, la dette n’est plus là. Seuls les résultats sportifs se sont stabilisés, mais même les poursuites pénales sont descendues de 120 à 7. » Reste que la mairie de Split est encore aujourd’hui actionnaire majoritaire. D’où l’objectif prochain de racheter complètement le club pour dégager toute ingérence politique dans le fonctionnement de l’Hajduk. « On y travaille, il nous manque encore dix millions d’euros environ. On se donne dix ans pour y arriver. Au départ, l’association comptait 16 000 membres, on est aujourd’hui plus de 40 000 » , complète Ivan. L’idée est forte et est quasiment unique dans le paysage du football européen, d’autant qu’elle s’inscrit dans une bataille plus large au cœur d’un pays où la politique mène le football, ce qui conduit à de nombreuses manifestations comme il y a quelques semaines en France. « La lutte est longue et l’ennemi n’est pas simple à abattre, car c’est un système tout entier » , détaille un supporter présent autour de la table. Reste qu’un élan similaire est né à Zagreb avec Together for Dinamo qui tente de nettoyer à sa façon le Dinamo Zagreb de la toute puissance de Zdravko Mamić, l’homme à tout faire du football croate. Le soleil se couche sur Split. Mais le changement ne fait que s’amorcer.

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