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Bamba retardement
Sa performance au Vélodrome, samedi dernier (1-3, un but, une passe décisive, une masterclass), lui a offert la lumière que son parcours cabossé mérite. Avant d’être l’homme fort de Christian Gourcuff cette saison, Kader Bamba a eu 1000 vies de footeux et d’homme, de Toulouse au Mans en passant par Sedan et le Pop Sushi de Taverny.
« Ce n’était pas le geste à tenter. Absolument pas. » Il y a longtemps que le Parc des Princes n’a plus vraiment de secret pour Abdoul Kader Bamba, mais impossible que le Sarcellois de naissance n’oublie la première fois qu’il a foulé le billard de la porte de Saint-Cloud. Face au Paris Saint-Germain le 4 décembre dernier, il a suffi d’un corner dès la quatrième minute pour frissonner : un ballon contrôlé à 16 mètres de sa propre cage plein axe, le temps qui s’arrête et un Julian Draxler enrhumé d’une roulette du talon. « C’est passé, heureusement parce que sinon, je pense que le coach m’aurait sorti aussitôt. » Non, le nouveau numéro 32 du FC Nantes ne s’embarrassera pas des notions de pression et de pusillanimité. Depuis cette défaite des Canaris (2-0), l’ailier gauche a un peu plus fait son trou au sein du dispositif de Christian Gourcuff, à l’image d’un Olympique de Marseille souillé samedi dernier au Vélodrome (1-3) grâce notamment à son premier but en Ligue 1. On ne dirait pas comme ça, mais voir Kader Bamba enrouler un caramel au fond des ficelles de Steve Mandanda relève d’un petit miracle.
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— FC Nantes (@FCNantes) December 5, 2019
Vol de gâteaux et but du milieu de terrain
Le parcours du bonhomme est fait de passages à vide, mais surtout de rebonds, nombreux et tous plus incongrus les uns que les autres. Comme lorsqu’il s’engage à Sedan, alors que la saison 2012-2013 a déjà démarré, de longs mois après son éviction du centre de formation du Téfécé, où il a joué de 12 à 17 ans. « Gilles Favard nous a mis en relation en disant :« Je connais un joueur, ça vaut le coup de le voir » » , name-drop Christophe Point, directeur du centre de formation sedanais à l’époque. « Il arrive presque de nulle part, retrouver un centre à ce moment-là, c’est compliqué » , contextualise Sébastien Tambouret, alors responsable des U19 du club rouge et vert. Sur les terres de la salade au lard, l’Ivoirien d’origine va passer de milieu axial à ailier et se découvrir un « petit frère » en la personne de Cheick Traoré, actuel latéral droit du RC Lens qui part en fou rire au moment d’évoquer son acolyte. « On a fait tellement de conneries ensemble… On allait voler le goûter des autres dans leurs chambres, on s’engueulait pour rien du tout. » Au cours de l’une de ses meilleures années de footeux, Bamba va également sublimer une génération en or qui ira chuter dans les dernières minutes en finale de Coupe Gambardella face aux Girondins de Bordeaux de Gaëtan Laborde et Enzo Crivelli (0-1). Avec, au cours de ce parcours historique pour les Sangliers, plusieurs prestations marquantes de l’occupant du couloir gauche sedanais. Notamment face à… Toulouse, pour le symbole, mais aussi et surtout à Auxerre en 32es de finale (1-1, 2-4 tab) lors d’un match que peu d’acteurs ont oublié, à commencer par son coéquipier de l’époque Mehdi Boudiba : « On s’était fait chahuter par les jeunes du club et les supporters au bord du terrain, lui particulièrement. Il avait fait un gros match malgré ça. Pareil en finale. Il faisait déjà des contrôles à la Zidane derrière la jambe d’appui. Il n’avait pas peur de tenter des choses. »
C’est un peu tout cela, Kader Bamba : un hédoniste du ballon qui a depuis toujours placé le plaisir au premier plan, bien avant de faire en sorte que les portes ne s’ouvrent. Quitte à parfois froisser ses coachs, pour qui la gestion du phénomène n’a pas toujours été de tout repos. « Vous avez vu son coup du foulard manqué face à Metz (le 15 février dernier, N.D.L.R.) ? C’est un résumé général de Kader, ça arrivait tous les week-ends » , raconte Richard Déziré, qui l’a eu sous ses ordres lors de son drôle de passage au Mans. Jordy Njike, coéquipier dans les Ardennes, réécrit même l’histoire en rêvant : « Si on était allé aux tirs au but en finale de Gambardella, c’est sûr, il aurait tenté une panenka : il n’a peur de rien ! » En témoigne un geste lâché lors de son premier match disputé avec les Sangliers, qui plus est dans le derby face à Reims, dont Bamba se souvient parfaitement : « Il y a une faute sifflée au milieu du terrain, je ne sais plus si c’est sur moi ou non. Je pose le ballon, je tire : but. J’aime bien les lobs lointains. » Sébastien Tambouret, lui, évoque à Sedan « une saison passée à sévir, à le rappeler à l’ordre, le féliciter dans ses perfs… Manier l’art du bisou et du bâton, en permanence. Il est adorable, en revanche quand il arrivait en retard le jour du match ou à l’entraînement, pour lui il n’y avait rien d’embêtant. » Tous se souviennent d’un joueur facile et terriblement provocateur dès qu’on le place sur un rectangle vert, qui vit pour le défi et n’est jamais aussi heureux qu’à la sortie d’un « un-contre-un » plié le long d’une ligne de touche. C’est Sonhy Sefil, ancien coéquipier, qui le dit : « S’il s’embrouille avec un joueur sur le terrain, quand il aura le ballon, il va le dribbler une fois, il va le passer, puis attendre qu’il revienne pour le dribbler une deuxième fois. » « Même à l’entraînement il se fait plaisir, il aime chambrer, faire des grigris, donc ça arrive que ses coéquipiers cherchent à lui mettre des tampons » , se marre Moussa Doumbia (celui de Granville, pas de Reims), qui lui préparait des gamelles-repas lors de leur passage manceau. Lui-même l’avoue : « Ce n’est pas bien, mais ça m’arrive encore de temps en temps. Je peux faire la passe, mais je préfère faire un dribble. » Et cela a pu lui jouer des tours, comme le jour où dans l’intimité du vestiaire à l’avant-veille d’une joute importantissime avec le CSSA, un Sefil excédé par les chambrages de son attaquant a une envie soudaine de le décalquer. « Une heure après, c’était fini, désamorce Traoré. Moi à l’entraînement, je lui disais : « Continue Kader, je vais te péter la jambe. » »
Sushis et raté bourguignon
Mais la raison pour laquelle la trajectoire de Kader Bamba mérite d’être contée, c’est pour le virage qu’a pris sa carrière, à l’intersaison 2013. Alors que le FC Nantes valide sa remontée dans l’élite en tapant… Sedan à la Beaujoire sur un CSC de Florentin Pogba (1-0), les Sangliers coulent vers le dépôt de bilan et le centre de formation local ferme ses portes au lendemain de la finale au Stade de France. Pendant que la plupart des talents locaux trouvent un point de chute pour continuer leur progression, Kader, en l’absence de « proposition concrète » , renoue avec ses racines, au Cosmopolitan Club de Taverny (95). C’est dans ce club de la banlieue nord de Paris que le môme a tapé ses premiers ballons et avait rebondi une première fois, avec une pige de six mois en U19 entre la fin de son aventure toulousaine et le début de la parenthèse sedanaise : un cocon, un vrai, où il retourne toujours dès que l’occasion se présente. Abdoul Kader ( « mais tout le monde m’appelle Kader » ) est natif de Sarcelles, mais y a vraiment débarqué à cinq-six ans à la séparation de ses parents (un père ivoirien, une mère sénégalaise). Aujourd’hui, la maman habite toujours la même maison au pied du terrain du Cosmo, ce même stade où Kader a commencé à attirer l’œil des clubs professionnels. Et parmi la petite dizaine de formations intéressées, l’entraîneur de ses jeunes années tabernaciennes Christophe Le Grall se souvient d’un Paris Saint-Germain « particulièrement insistant » . Mais la mise sera finalement raflée par le Téfécé, malgré l’attachement du gamin pour l’escouade de la capitale. « La maman préférait l’éloigner de la région parisienne » , ajoute Le Grall, que Bamba appelle lui-même « papa » .
Premier rang, troisième en partant de la droite (© Cosmo Taverny)
À ses 19 ans et malgré une toute fraîche participation à la finale de Gambardella au CV, Kader est donc de retour chez les siens, « en D2 ou D3 de district » , précise l’intéressé sans certitude. Mais à la suite d’une première saison marquée par une historique victoire en Coupe du Val d’Oise, l’attaquant va tout doucement mettre le football de côté. La faute à un essai à Auxerre qui n’aboutira pas, couplé à une blessure au genou. « Je me suis découragé, confesse-t-il. Je continuais de jouer en cinq contre cinq en bas de chez moi. J’avais ma licence, mais je n’y allais pas. » Bachir Diop, son coéquipier à l’époque, confirme : « Il venait à l’entraînement un peu quand il le voulait. Il voyait surtout pas mal ses copains. » Parmi eux, Abdoulay Diakite, l’un de ses tout meilleurs amis. Les deux garçons, qui se connaissent depuis le CM2, passent alors leur temps côte à côte : « On était un groupe de 3-4. Notre journée type, c’était salle de sport à partir de 18h, puis on mangeait ensemble et on allait chez les uns et les autres pour jouer à la Playstation jusqu’à pas d’heure » , avoue Diakite. Une période au cours de laquelle ce fan de NBA, de son propre aveu, se laisse aller. C’est d’ailleurs le jeune Abdoulay, soucieux d’aider son pote d’enfance, qui lui trouvera un boulot : livreur au « Pop Sushi » de Taverny : « Je connaissais bien le responsable, donc Kader a pu travailler avec moi. Ça lui a mis une petite gifle. » Déterminé à faire autre chose de sa vie que de livrer de la fine gastronomie nippone, Bamba retrouve les pelouses de manière plus régulière. Dans son quartier, personne n’est dupe : Kader est un crack et n’a rien à faire là. Ce qui interpellera Thierry Gómez, le président du Mans, qui obtiendra sa signature un peu plus tard : « Je m’interroge sur le fait que pendant ces deux ou trois ans à Paris, personne ne l’ait repéré. C’est incompréhensible, dans une zone où à chaque match, des gens viennent observer pour des clubs français ou étrangers. Peut-être qu’il n’était pas encore prêt. »
Il faut dire aussi que le joueur traîne une bonne casserole, depuis le conseil de discipline – son deuxième au TFC – qui a mis fin à son séjour sur les bords de la Garonne lorsqu’il avait 17 piges. Le problème serait venu de son côté boudeur, têtu et parfois bagarreur dont on parle partout où il est passé. « On m’a viré pour mon comportement » , synthétise aujourd’hui Bamba. Il est question d’une sombre embrouille avec Mickaël Debève à l’entraînement, sur fond de tour de terrain non effectué. Mais l’origine de cette décision reste floue et confidentielle : aujourd’hui du côté de la communication de Nantes, on prend soin de faire en sorte que le sujet soit évité, quitte à couper la parole à un joueur qui semblait prêt à aborder la question comme un grand garçon. Toujours est-il que ce tournant a clos un chapitre de quatre ans et demi très mitigés pour le jeune Kader, en gros manque de temps de jeu en Haute-Garonne. « Il avait un peu de mal parce qu’il était en retard sur le plan athlétique, explique Patrick Maricel, qui l’a eu en préformation chez les Violets.Il compensait avec son niveau d’engagement : il a ce côté un peu écorché vif, qui faisait que parfois la relation pouvait se tendre. » Heureusement que les parties de baby-foot en doublette avec Hassane Kamara, arrivé en même temps, ont aidé à passer le temps au centre. « C’est un très gros caractère, Kader, on était tout le temps ensemble, mais on ne s’est chamaillés qu’une seule fois… pour une histoire de place en salle d’étude » , témoigne le pote, qui ressort avec fierté la photo de leurs retrouvailles en Ligue 1 en septembre dernier. Au sujet du départ brutal de son ami, l’actuel latéral gauche rémois relativise : « C’était notre cinquième et dernière saison, on ne jouait pas et on savait qu’on n’allait pas être gardés. » Effectivement, Kamara prendra lui aussi ses cliques et ses claques quelques mois plus tard, et les trois seuls membres de cette génération qui réussiront à faire carrière chez les pros auront été des indésirables dans la ville rose : Bamba, Kamara et Kevin Rodrigues. « Avec l’âge, Kader court plus vite et a un peu changé de style de jeu. Quand il était numéro 10, il était plus dans les prises de balle entre les lignes en soutien de l’attaquant, les gestes chaloupés » , décortique Kamara. Pas étonnant, finalement, pour un fan du « côté nonchalant » de Javier Pastore.
« KADER BAMBA – Unreal Skills 2013 – Welcome to Le Mans FC (HD) »
Le destin de l’attaquant a finalement tenu à une compilation YouTube en 2016. Bachir Diop, coéquipier, mais également éducateur au Cosmo, fait la connaissance des frères agents Nicolas et Xavier Benichou, et leur bourre le crâne au sujet de Kader, son cadet d’une dizaine d’années. Après quelques mois de snobisme, c’est finalement une vidéo des meilleurs moments de la pépite en finale de Gambardella, lancée par Bachir en marge d’une détection de jeunes à Marseille, qui convaincra l’un des frangins de contacter Richard Déziré, en poste au Mans FC en CFA2. Un entraîneur avec qui tout n’a pas été rose, avec un mélange de suffisance dans l’attitude et d’irrégularité sur le terrain. « Il était très performant, le paradoxe c’est qu’il ne jouait pas tout le temps » , témoigne l’ex-Manceau Kevin Schur. Le feu follet est tout de même au-dessus du lot, et ce n’est pas son ami Yoan Pivaty qui contredira ça : « Il n’avait rien à faire là. À chaque match quasiment, l’arrière droit ou gauche face à lui, ou sortait à la 45e, ou prenait un rouge. » Arrivé en milieu d’exercice, Bamba reprend rapidement espoir quant à ses rêves de professionnalisme et dit adieu à la Sarthe dès l’intersaison 2017, après une accession à l’échelon supérieur et un exercice prometteur, lorsque les portes de la Ligue 2 s’entrouvrent. Comme souvent dans son parcours, les belles promesses ne sont qu’illusion : il ne reçoit rien et revient toquer à la porte du Mans à la fin de l’été, ce qui fera grincer quelques dents au club. Il mettra définitivement les voiles un an plus tard direction Nantes, après une saison marquée par une nouvelle montée – en National – et un match étincelant en 32es de finale de Coupe de France contre Lille (défaite 4-2). « On le voyait faire tout ça à l’entraînement, mais ce jour-là, il a fait lever le stade, lâche Moussa Doumbia. Il y avait Malcuit sur son côté en première période, puis Dabila : il leur a fait la misère ! » Le frère de Yassine Benzia, assis en tribunes à côté de Diop, sera lui-même sous le choc. Le match du basculement, qui le mènera vers un pré-contrat au FC Nantes en prévision de la saison suivante, même si l’octuple champion de France n’avait pas attendu l’épisode LOSC pour penser à lui, comme l’explique le directeur du centre de formation nantais Samuel Fenillat
: « On l’avait déjà repéré avant. Mais sur ce match-là, face à un adversaire d’un niveau supérieur, il a montré qu’il était capable d’élever son niveau et de faire des choses. » Son départ laissera quelques traces au Mans FC, comme le regrette Déziré malgré le souvenir d’un garçon attachant et talentueux : « Il est parti vexé parce que lors du dernier match, je ne l’ai pas fait jouer. C’était prévu qu’il joue la dernière demi-heure, il est parti s’échauffer en marchant et en montrant une défiance totale et je ne l’ai pas fait entrer. On ne s’est plus jamais adressé la parole, il est parti comme un voleur. »
Et comme rien ne sera facile dans cette histoire, la dernière étape en Loire-Atlantique a peut-être été la plus pénible, avec un Vahid Halilhodžić qui était loin d’avoir fait de ce miraculé sa priorité. « On lui a proposé d’intégrer la réserve avec l’objectif, si ça se passait bien, de basculer chez les pros au cours de la saison. Il a montré rapidement qu’il était à la hauteur, malheureusement la porte ne s’est pas ouverte pour lui » , explique Fenillat. Le coup de tonnerre provoqué par le départ de Vahid Halilhodžić au tout début du mois d’août sera un nouveau tournant. « Si Christian Gourcuff n’était pas arrivé, il ne serait plus là. Il ne rentrait pas dans les plans de l’entraîneur précédent. À une semaine près, il partait » , ose Pierre Aristouy, l’entraîneur de la réserve des Canaris, avec qui Bamba a bouclé sa saison 2018-2019 à 10 buts et 10 passes décisives ainsi qu’une place de leader en National 2. Au lieu de s’engager à Boulogne-sur-Mer ou Quevilly, qui avaient montré leur intérêt, le talent de Taverny a préféré exploser dans l’élite. Suffisait de savoir le dégoupiller.
Par Jérémie Baron et Félix Barbé
Tous propos recueillis par JB et FB