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Balotelli, le retour de l’enfant prodige
L’enfant terrible du football italien Mario Balotelli, 29 ans, vient de signer à Brescia, un club promu en Serie A. Un terrible désaveu sportif pour l’ancien attaquant du Gym ? Pas vraiment puisque Super Mario retourne chez lui, là où il a grandi, où il se ressource chaque année, où vivent ses parents adoptifs et où Roberto Baggio et Andrea Pirlo ont donné à Brescia l’amour du beau football. La boucle est bouclée en quelque sorte.
1992, Mario Balotelli s’appelle encore Mario Barwuah, il a deux ans quand ses parents biologiques Thomas et Rose débarquent à Brescia en provenance de Sicile. Sur l’île, le bambin a frôlé la mort dès sa naissance, restant de longs mois à l’hôpital pour une perforation de l’abdomen, avec un trou dans l’intestin qui donne lieu à de nombreuses interventions chirurgicales. Après cette épreuve de survie, la famille Barwuah cherche du calme et va le trouver à Bagnolo Mella, dans la province de Brescia, au nord du pays où le pater trouve un emploi dans une aciérie. Bien que située en Lombardie, Brescia n’a rien à voir avec Milan, la ville n’offre aucun intérêt culturel ou architectural, c’est un dortoir à ciel ouvert à l’époque.
Installée dans un foyer, la famille cohabite avec une vingtaine de colocataires, tous venus d’Afrique. Dans le dur, les Barwuah demandent régulièrement de l’aide à l’État pour assurer les fins de mois, et les services sociaux, mis au courant de la situation, prennent le dossier en main. Ils proposent de confier le jeune Mario à une famille d’accueil, où il côtoie trois autres enfants, deux garçons et une fille, tous blancs. Légalement, Mario se retrouve au centre d’un système appelé l’affido, une sorte de tutelle. Cette famille d’accueil, ce sont les Balotelli : Francesco et Silvia. Une famille blanche qui vit dans une grande maison d’un village voisin. C’est le début de sa nouvelle vie, car c’est ici que Mario va grandir, au cœur d’une bâtisse qui comporte un long couloir qui va devenir le terrain de ses premiers matchs de football avec un ballon de toile. Quotidiennement, il apprendra l’art du défi au contact de ses deux frères adoptifs, Corrado et Giovanni.
Attaquant et enfant de chœur
Sur le papier, c’est presque trop beau. Dans un premier temps, Mario ne devait rester que cinq jours par semaine chez les Balotelli avant de rejoindre sa famille biologique le week-end, mais la situation se tend rapidement avec les Barwuah, tant et si bien que les Balotelli songent à définitivement adopter Mario. Mais la bureaucratie italienne est capricieuse, et une coquetterie administrative bloque cette adoption : l’écart entre les deux adultes de la famille et le jeune garçon dépasse les 45 ans. Mario n’ayant pas de passeport, il est officiellement apatride et sa famille adoptive doit faire renouveler son droit de garde devant les autorités italiennes tous les deux ans, tout en gardant le contact avec les Barwuah. Un sacerdoce affectif.
Seul gamin noir du coin, Mario Balotelli est rapidement au centre des regards. Tout le monde parle de lui. Hyperactif, il s’essaie à tous les sports (karaté, judo, basket-ball, natation) avant de choisir le football. Son père adoptif l’inscrit à Monpiano à 5 ans, où les jeunes pratiquent le football au sein des « oratori » , des lieux gérés par les paroisses locales. Là encore, il est le seul enfant noir. C’est là qu’il jouera jusqu’à son dixième anniversaire, oscillant entre le poste d’avant-centre et celui d’enfant de chœur, dans un pays où le dimanche est consacré à deux choses : la messe et le football. Le week-end, les regards se focalisent déjà sur lui, d’autant qu’il est brillant. Au-dessus des autres. Parfois, pour ne pas dire souvent, des parents demandent à vérifier l’âge inscrit sur sa licence. D’aucuns pensent que l’unique moyen de déstabiliser ce gamin si talentueux se situe dans la provocation et le racisme ordinaire.
En 2008, avec sa mère et son père adoptif
Le cœur noir
Un climat qui semble le poursuivre jusqu’aux bancs de l’école Torricella où il est scolarisé. C’est là que sa première institutrice, Tiziana Gatti, se souvient de lui comme de « l’enfant le plus perturbé qu(‘elle) ai(t) jamais eu » dans des propos rapportés par So Foot. Car Mario Balotelli a clairement un souci d’identité. Son nom de famille n’est pas le sien et quand il s’agit de se dessiner en classe, Mario s’imagine avec la peau rose et non noire. Quelque part, il vit dans le déni de l’Afrique, apeuré d’y être renvoyé un jour ou l’autre. Concita De Gregorio, qui a publié le livre Io Vi Maledico sur le problème sociétal italien, pointe justement du doigt le racisme ordinaire transalpin à travers différents portraits. Au cœur de son ouvrage, un chapitre est consacré à Mario Balotelli. Dans celui-ci, l’ancienne institutrice raconte comment le jeune Mario se sentait tiraillé par sa couleur de peau. « Il m’a demandé plus d’une fois si, à l’intérieur de sa poitrine, son cœur était aussi noir. Je lui ai expliqué que non, mais quelques jours plus tard, il me l’a redemandé. »
Il faudra du temps, de la patience, et la lecture en classe du poème de Léopold Sedar Senghor « Poème à mon frère blanc » pour que le jeune Mario accepte enfin sa couleur de peau. Dans les équipes de jeunes, il refusait par exemple que son vrai nom – Barwuah – soit inscrit sur les feuilles de match. Pour ne pas perturber le jeune garçon, les clubs raturaient chaque feuille de match pour ne pas le froisser et empêchaient les speakers de l’appeler par ce nom en public. Finalement, cette phobie de l’Afrique va le rendre encore plus « italien » , Mario allant jusqu’à apprendre le dialecte de Brescia. Mais la ville vit mal l’explosion de l’immigration depuis le début des années 1980, où le pourcentage de la population étrangère est passé de 1 à plus de 17%. Le jeune Mario en fait les frais, lui, l’avatar d’une certaine réussite. Car sur le terrain, Super Mario marche déjà sur l’eau. À 11 ans, il gagne à lui seul le célèbre tournoi de jeunes « Trofeo Brescia Oggi » , où il plante un triplé en finale contre Pavoniania, victoire 3-2. C’est à Brescia qu’il s’est senti chez lui pour la première fois de sa vie et que le football lui a permis de se construire. C’est là, chaque été, qu’il retournait se ressourcer. C’est là, qu’en 2015, il est venu enterrer son papa adoptif, Francesco. C’est là qu’il est à la maison. C’est là, aujourd’hui, qu’il va jouer au football à bientôt 30 ans. Sur le papier, l’histoire est belle. Comme souvent avec Mario Balotelli…
Par Mathieu Faure
À lire : Mario Balotelli, Ange ou démon, par Mathieu Faure (Ed. Hugo&Cie)