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Ballon d’or, farce de diamant
Ce lundi 30 octobre au théâtre du Chatelet à Paris, Lionel Messi pourrait remporter son huitième Ballon d'or. Mais ne serait-il pas temps de libérer le foot et les footballeurs de ce trophée ?
Il est possible d’aborder le Ballon d’or de différentes manières. Parmi elles, il existe bien sûr une approche « réformiste » : qui doit en composer le corps électoral ? Doit-on l’attribuer sur une saison ou sur l’année ? Remporter une Coupe du monde plutôt qu’une C1 doit-il peser davantage dans les critères pour préférer tel ou tel ? En réalité, rien ne change dans le fond. Le Ballon d’or prétend désigner le meilleur joueur masculin du moment. L’imposture commence ici. Libre à chacun ensuite de s’amuser à défendre l’honneur bafoué de ceux qui l’auraient amplement mérité et parfois jamais soulevé devant les caméras, à l’instar de la liste des grands écrivains qui n’ont obtenu ni le Goncourt ni le Nobel.
C’est un fait : le Ballon d’or n’a cessé de « s’appauvrir » au fur et à mesure que le foot s’enrichissait. Le simple fait qu’un défenseur ne fantasme même plus de le remporter ne choque plus personne, et ce, alors que le dernier défenseur vainqueur se nomme Fabio Cannavaro. C’était en 2006, il y a déjà dix-sept ans. Le BO accompagne autant qu’il fabrique les ressorts, et notamment économiques, de la starification des joueurs. Le long règne bicéphale de Lionel Messi et Cristiano Ronaldo en a offert la meilleure illustration. D’autant que l’Argentin est le grandissime favori de l’édition 2023, malgré son exil en Floride.
Le Ballon d’or caresse certes aussi le chauvinisme tricolore dans le bon sens. Fondé par France Football en 1956, il est attribué à Paris. Nous aimons toujours nous croire le centre du monde, et les Jeux olympiques et paralympiques 2024 ne vont pas nous pousser à l’humilité. D’autant que hormis en 2022 avec Karim Benzema et son « Ballon d’or du peuple », il y a toujours un Français pour le rater « de peu ». L’expression de Benzema était louable, mais le peuple et le foot populaire n’ont pas besoin d’une breloque. Tout simplement car le vrai problème ne se situe pas dans les détails d’organisation ou les procédures d’attribution. Le Ballon d’or ignore la valeur du football dans nos sociétés, nos vies, notre patrimoine mondial. Comment prétendre qu’il soit possible d’élire, quelle que soit l’importance des happy few (et on finira, qui sait, peut-être par désigner le Ballon d’or des réseaux sociaux après un vote en ligne) choisis pour le faire, le meilleur joueur au monde ? Ce dévoiement de la démocratie fabrique cette caricature commerciale, qui après tout, se retrouve aussi bien aux Oscars que pour les Victoires de la musique. On en comprend la logique économique, mais le talent ne se vote pas. Sa vérité s’écrit en légende, en passion des tribunes, en compétitions décrochées sur le terrain, en gestes hors du temps, en charisme, au-delà des simples limites du rectangle vert.
Ce qui est précieux reste justement que l’unanimité et le conformisme, même le temps court d’un prix, ne peuvent prétendre introniser un roi. D’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un supporter à l’autre, les perspectives changent, la mauvaise foi devient religion et les débats bâtissent la place de chacun au panthéon du ballon rond. Un capharnaüm qui lui aussi assure l’importance de ce sport dans l’histoire et de nos jours. Il faut savoir cependant reconnaître une défaite culturelle. L’obsession de ce trophée chez les jeunes joueurs, à commencer par Kylian Mbappé, l’éclaire tristement. Il serait pourtant tellement admirable qu’un prétendant de sa classe et de son palmarès, autrement dit pouvant prétendre à la recevoir, le dédaigne ou n’aille même pas le chercher. Pour sauver le football, si cela est encore possible.
Par Nicolas Kssis-Martov