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Balance ta FFF !
En l'absence de passion autour des matchs de l'équipe de France, la Fédération française de football s'occupe de faire l'actualité. Ces deux derniers mois, deux enquêtes du New York Times et de L'Équipe ont mis en lumière les nombreuses plaintes visant certains hauts responsables de l'instance, et les dysfonctionnements de l'instance en interne. À quatre mois des élections, où le président Noël Le Graët pourrait briguer un nouveau mandat, la FFF doit se regarder dans une glace et enclencher une révolution de palais nécessaire.
Plus de deux ans après le sacre des Bleus à la Coupe du monde, le football français ne cesse de se rappeler qu’il ne suffit pas d’être au sommet pour éviter les zones de turbulences. Si Didier Deschamps prône souvent une organisation rigoureuse sur le terrain, la Fédération française de football (FFF) s’occupe d’entretenir la culture du bordel en coulisses. Un bazar propre aux instances hexagonales et aussi visible à la LFP, sa petite cousine, qui a entamé un début de révolution en voyant arriver Vincent Labrune à la présidence en septembre dernier. L’histoire n’est pas (encore) la même à la FFF, qui pourrait pourtant surfer sur le titre de champion du monde, un nombre de licenciés toujours aussi élevé (1,7 million cette saison) ou une santé économique avérée pour s’ériger comme un modèle de fonctionnement. Seulement, le New York Times et L’Équipe ont profité des deux derniers rassemblements des Bleus (octobre et novembre) pour mettre en lumière le bordel qui règne au sein d’une Fédération minée par les accusations (harcèlement moral et sexuel, culture du travail toxique, etc.) et les ambitions personnelles.
Cirque et culture toxique
Les scènes font froid dans le dos. Dans son édition de mercredi, jour d’un France-Finlande relégué au rang d’actualité secondaire, L’Équipe refait le film du Mondial 2018 sans s’intéresser aux succès obtenus sur le terrain, mais plutôt en s’attardant sur les coulisses. Le quotidien raconte notamment comment le voyage retour organisé par le comité d’entreprise de la FFF après la qualification des Bleus contre l’Argentine s’est transformé en beauferie générale, façon Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese. Dans l’avion, « quelques directeurs tombent la chemise, se montrent un peu lourds avec des hôtesses de l’air », précise le canard, qui laisse deviner la mine interloquée de certains élus et partenaires présents dans le bolide. Un cirque qui poussera Florence Hardouin, directrice générale de la FFF depuis 2013, à les priver de voyage pour les rencontres face à l’Uruguay et la Belgique – ce qui ne les empêchera pas de rejoindre la Russie par leurs propres moyens –, avant de les autoriser à faire leur retour dans l’avion de la FFF pour la finale.
Autre décor, même ambiance malsaine : le Gipsy Club, une discothèque branchée de Moscou, où une jeune employée en CDD à la direction financière a vécu une soirée cauchemardesque après le troisième match de la phase de poules des Bleus contre le Danemark. « J’ai senti que quelqu’un m’attrapait par la tresse de mes cheveux, raconte-t-elle anonymement dans L’Équipe. La même personne me ramène vers elle et me colle contre elle. Et là, je vois que c’est Marc Varin. Je me dis : bourbier.(…)Il tente de me dire bonsoir en m’embrassant. Que voulez-vous que je fasse ? Je fais 1 mètre 57, lui est bien plus gaillard que moi, je me retrouve prise au piège. » Marc Varin n’est autre que le directeur financier de la FFF, et cette scène fait tristement écho à une autre, vécue par la même jeune femme lors d’une soirée de Noël en 2017 où ce grand gaillard avait déjà tenté de lui forcer la main. Malgré un entretien avec une directrice générale visiblement compréhensive et bien décidée à agir, la plainte déposée par l’employée sera classée sans suite. Marc Varin, lui, avait pourtant admis avoir tenu des réflexions déplacées. Et après les conclusions de l’enquête rendues en novembre 2018, l’inspection du travail précisera à la FFF qu’au moins une des deux tentatives de baiser avait été « corroborée par deux témoins » et pouvait être qualifiée d’« agression sexuelle ».
Le mois dernier, une enquête du New York Times avait déjà révélé cette culture toxique entretenue par des hauts responsables de la FFF. Au programme : des accusations de harcèlement, de comportements déplacés et de sexisme, encore et toujours. Florence Hardouin est aussi dans l’œil du cyclone. Au point qu’à l’hiver 2019, treize des dix-sept directeurs de la FFF avaient signé une pétition pour dénoncer ses méthodes de management, explique le média américain. Dans leurs investigations respectives, le New York Times et L’Équipe décrivent l’ambiance glaciale dans les couloirs au siège de la Fédération, à Paris, ou lors de certaines réunions entres les huiles de l’instance. Seule évolution positive : l’alcool est désormais interdit dans les bureaux de la Fédération et les employés doivent, depuis début 2020, suivre une formation contre le harcèlement (un processus cependant ralenti par la pandémie, précise le NYT). Reste une question majeure : y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Capitaine largué
Au printemps dernier, Noël Le Graët, 78 ans, était sorti renforcé de la crise sanitaire : le vrai patron du football français, c’était bien lui. Mais à la lecture de ces deux enquêtes, le boss de la FFF semble en revanche totalement dépassé par les événements en interne. Il y a d’abord cette soirée du 15 juillet 2018, racontée par L’Équipe, avec cette image de Le Graët errant entre deux sons de Vegedream dans le restaurant du camp d’Istra, où personne n’avait pensé à lui réserver une place à une table avant que l’on ne lui en dresse une en catastrophe pour qu’il puisse discrètement participer à la fête. Mais ce décalage générationnel finalement assez logique n’est pas le plus important. Loin des grandes soirées de victoire, Noël Le Graët essaie maladroitement de recoller les morceaux après chaque secousse en interne.
Impuissant, le Breton a même fait appel à un consultant extérieur expert en résolution de conflits en entreprise pour régler cette situation vénéneuse. « Depuis plusieurs mois maintenant, je suis alerté sur des dysfonctionnements et des relations de travail tendues au sein de l’équipe de direction, a même écrit le président de la FFF dans un e-mail destiné à des cadres supérieurs et consulté par le New York Times. Je ne souhaite pas voir cette situation perdurer plus longtemps. Elle est préjudiciable au bon fonctionnement de notre organisation, ainsi qu’aux bonnes conditions de travail de toutes et de tous. » La preuve que « le Prez’ » – c’est son petit surnom – n’est pas aveugle. Seulement, cette prise de conscience ne suffit pas à régler tous les problèmes, surtout que Le Graët est présenté comme un adepte de la vieille école : les conflits doivent se régler en interne autour d’un bon repas, et éventuellement avec une tape sur l’épaule pleine d’hypocrisie. Mais dans un monde où chacun n’hésite pas à se tirer dans les pattes, les déjeuners à la bonne franquette et les œillères ne permettent pas à Le Graët de tenir ses troupes.
Une élection pour une révolution
Ces deux enquêtes mettent en évidence une chose : comme la LFP, la FFF a besoin d’un bon coup de balai et surtout d’une révolution en interne. La perspective des élections de mars 2021 se présentent alors comme une aubaine à saisir. À la tête de l’instance depuis une décennie, Le Graët doit annoncer dans un mois tout pile, lors de l’assemblée fédérale, s’il compte briguer un nouveau mandat de quatre ans. Une possible réélection ferait alors de lui le président de la FFF avec la plus grande longévité depuis… Jules Rimet (1919-1942), le premier patron de la Fédé à sa fondation, dépassant ainsi Fernand Sastre (douze ans de règne). Reste à savoir si Le Graët, qui a déjà beaucoup délégué à son bras droit Florence Hardouin et qui avait révélé souffrir d’une leucémie lymphoïde en avril 2018, est prêt à remettre le couvert pour quatre années supplémentaires. Les potentiels adversaires (Frédéric Thiriez, Luis Fernandez, Michel Moulin) cités par L’Équipe ne paraissent pas suffisamment armés pour mettre au tapis le patron du football français, toujours soutenu par une cour composée de cols blancs ambitieux et désireux de faire éjecter la directrice générale. Reste qu’au moment de faire le bilan de la présidence de Le Graët, les très bons résultats sportifs et économiques ne pourront pas être masqués par cette situation en interne. « Nous sommes le produit de plusieurs années de travail, et le désordre d’aujourd’hui, on le verra dans les stades d’ici quatre ou cinq ans, assure un cadre supérieur de la FFF anonymement en conclusion de l’enquête du New York Times. À mon avis, il ne faut épargner personne, ni les factions, ni Florence, ni le président. Je pense vraiment qu’ils ne se soucient pas de football, ils ne pensent qu’à eux-mêmes. On a besoin d’un nouveau départ. » Il s’agit maintenant de ne pas faire en sorte de le repousser à dans quatre ans.
Par Clément Gavard