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Bafétimbi Gomis : « La panthère est devenue un lion »
Figure emblématique de notre chère et tendre Ligue 1, Bafétimbi Gomis s’éclate désormais en D1 saoudienne où l’international français porte depuis plus de deux ans et demi les couleurs du club d’Al Hilal. Sa vie en Arabie saoudite, ses choix difficiles ou encore son avenir : le natif de La Seyne-sur-Mer se livre comme rarement.
Tu as quitté Galatasaray pour rejoindre l’Arabie saoudite à cause de la crise monétaire en Turquie, est-ce que tu peux revenir sur ce départ ? Galatasaray faisait face à des problèmes économiques. Ayant réalisé une grosse saison avec le record de buts pour un étranger et en étant champion, j’avais atteint mon objectif. C’était la première fois que je m’imposais en dehors de l’Hexagone, à la suite de l’échec de Swansea. Arrivé à cet âge-là, on est friand de challenges.
Certains ont du mal à comprendre pourquoi tu as choisi de rebondir à Al Hilal, comment s’est présentée cette opportunité et pourquoi avoir pris le pari de rallier l’Arabie saoudite ? Quand on m’a proposé ce transfert, j’avais 33 ans. À un certain âge, l’aspect économique devient important. J’ai toujours dit qu’une carrière réussie, ça réunissait plusieurs choses : le football, parce que c’est la priorité ; la famille, qu’elle s’adapte bien et que l’on soit bien installé ; puis, enfin, le volet financier. Al Hilal m’a permis de réunir les trois, c’est un très grand club, contrairement à ce que peut percevoir l’Europe. On est un peu comme le PSG en France, on est l’équipe à battre. Ça faisait vingt ans qu’ils n’avaient pas remporté la Ligue des champions asiatique, c’était excitant d’aller chercher ce trophée. Aujourd’hui, on juge toujours un bon choix sur le long terme. Trois ans après, on peut dire que ma décision était la bonne et que je ne suis pas venu ici en vacances.
Qu’est-ce que ça fait de vivre en Arabie saoudite, en 2021 ?C’est un pays où il fait bon vivre, contrairement aux a priori. La qualité de vie est top, je suis épanoui en tant que citoyen saoudien. Pas grand-monde ne connaît l’Arabie saoudite parce que les frontières étaient fermées, ce qui empêchait le tourisme (le plus grand pays du Moyen-Orient n’a ouvert ses frontières aux touristes étrangers que depuis septembre 2018, NDLR). Il y a des paysages, une histoire magnifique et un peuple très généreux. Je pense que ce sera un pays qui comptera, dans un futur proche.
Bafétimbi Gomis does not tire of scoring goals in Saudi Arabia. This afternoon, he’s already bagged an overhead kick with just two minutes on the clock! ??: @riyadiyatv pic.twitter.com/05m8uQxaJ9
— FotMob (@FotMob) January 20, 2021
En matière de jeu, que penses-tu du championnat saoudien ?C’est un championnat assez semblable à la Turquie. Avec Al Hilal, on fait face à des blocs bas qui ne laissent que très peu d’espaces. Ce n’est pas si simple que ça, il faut être fort physiquement parce qu’il y a beaucoup de duels. Il y a de la qualité technique, mais il y a encore une grosse marge de progression tactique. Le football saoudien a encore besoin d’expérience pour briller à l’international.
En 2020, tu as marqué 33 buts toutes compétitions confondues. Soit l’un des meilleurs bilans, pour un attaquant français. Cette année, tu as déjà planté quatorze buts et délivré quatre passes décisives en vingt matchs. Comment est-ce que tu fais pour rester aussi performant ? J’ai l’impression de me bonifier avec l’âge. Après, c’est sûr que je n’évolue pas en Ligue 1 ou dans un championnat majeur. Mais je m’entraîne plus qu’avant pour rester au niveau. J’ai un kiné, un préparateur physique et un chef qui me suivent au quotidien. Je m’inflige deux à trois entraînements par jour. Cette organisation, je l’ai depuis environ cinq ans. Ce souci du détail, j’aurais aimé l’avoir avant. Si j’avais eu cette maturité plus jeune, j’aurais sans doute été plus performant… Mais il fallait bien que jeunesse se fasse.
En juillet dernier, tu as prolongé de deux ans avec ton club. Quels sont tes objectifs à court et moyen termes, avec Al Hilal ? Le football va si vite que c’est impossible de se projeter. L’essentiel pour moi est de marquer au moins vingt buts par saison, et collectivement d’être champion. Je vis au jour le jour, je profite de mes derniers instants. Je pense qu’il me reste deux ou trois ans à jouer, le plus important est de prendre un maximum de plaisir. Je suis aussi en Arabie saoudite pour essayer de faire progresser les joueurs locaux, en partageant avec eux mon expérience et en donnant de la visibilité au championnat. J’apprécie ce devoir de transmission, comme Gignac peut le faire au Mexique ou Blaise Matuidi en MLS. On est des ambassadeurs de la formation française.
Ta dernière sélection avec les Bleus remonte au 9 juin 2013. Tu n’as pas de regret, par rapport à ton parcours en équipe de France ?C’est entièrement de ma faute, j’ai eu une discussion avec Didier Deschamps en 2014. En toute sincérité, la façon dont je conçois le foot aujourd’hui et le temps que j’accorde à mon métier sont des choses que je négligeais auparavant. Alors oui, j’ai des regrets. Avec une autre hygiène de vie, davantage de sacrifice et cinq ou six buts supplémentaires par saison, j’aurais sans doute eu plus de sélections. Mais chacun son chemin, je suis content de ce que j’ai fait. Même si ce n’est « que » douze capes, ça été un honneur de porter les couleurs de la France. C’est comme ça que l’on apprend, et je suis content maintenant d’avoir rectifié le tir.
Quand tu regardes dans le rétroviseur, qu’est-ce que tu penses de ta carrière ?Je suis heureux d’avoir pu jouer dans un club mythique comme Saint-Étienne, où j’ai été formé et dans lequel on m’a inculqué de vraies valeurs. Je pense avoir eu la présence d’esprit d’aller gratter du temps de jeu quand je n’en avais pas, notamment avec mon prêt à Troyes où j’ai eu la chance d’être coaché par Jean-Marc Furlan. J’ai pris des décisions difficiles que j’ai toujours assumées, notamment ce transfert à Lyon en venant de l’ASSE. Ce n’était pas facile, c’était osé. Je suis content de m’être imposé à l’OL, qui était à l’époque le meilleur club français et qui l’est toujours à mes yeux. Je suis un privilégié d’avoir porté les couleurs de l’Olympique de Marseille, qui est un club à part. Spécial, unique. En Ligue 1, c’est mal vu d’avoir défendu ces trois grands clubs. Alors qu’à l’étranger, ce n’est pas du tout mal perçu. Zlatan a bien joué à l’Inter, à la Juventus et il est aujourd’hui à Milan. En France, on a pu me qualifier de traître. Mais pour moi, c’est une fierté d’avoir revêtu les écussons de ces trois grandes institutions.
Qu’est-ce que tu penses de la situation à l’OM, le club de ton enfance ? Je suis triste de voir la situation actuelle à l’Olympique de Marseille, c’est vraiment difficile d’en arriver à un point où il y a une telle cassure. Je pense que ce qui représente Marseille, c’est cette union entre le club et sa ville. C’est un club magique, qui est envié par beaucoup. Le problème se passe en interne, mais une chose est sûre : le club a besoin de ses supporters. On est tous de passage, seuls les supporters et l’institution restent.
Depuis ton départ en 2016 de l’OM, les avants-centres comme Mitroglou, Balotelli, Germain ou encore Benedetto se sont succédé sans qu’aucun ne parvienne à avoir ton rendement. Comment tu l’expliques ?Être l’attaquant de l’Olympique de Marseille, ce n’est pas simple. Quand on met ce maillot, on n’a pas d’excuse. L’attaquant a toujours l’humeur des habitants de la cité phocéenne dans les pattes, du lundi matin au dimanche soir. Cette pression-là est tout sauf facile à gérer, il ne faut jamais déshonorer le peuple marseillais qui est si fier. Le fait que je sois de la région et que je connaisse le club m’a fait gagner du temps. Pour moi, ça n’a pas toujours été rose. J’ai eu des accrochages avec des supporters, mais c’est le seul club où j’ai porté le brassard de capitaine. Ma reconnaissance est qu’aujourd’hui, on se souvient de moi parce que je suis le dernier à avoir marqué plus de vingt buts. Je suis venu à Marseille pour me relancer, j’ai fait des concessions comme baisser mon salaire. Mais j’ai eu la chance de jouer pour le club de mon enfance et de bénéficier de l’amour de ses supporters, comme celui de Colette avec qui je suis toujours en contact. Cette aventure m’a aussi permis de profiter des derniers instants de mon père. Ce que m’a donné l’OM n’a pas de prix, aucun autre club n’aurait pu me l’offrir.
Tu restes assez engagé envers l’ASSE : en décembre dernier, tu as offert près de 400 repas de fête à des Stéphanois dans le besoin. Comment tu expliques que ton lien avec le peuple vert reste si fort ?Tout est parti de là. J’ai réalisé le rêve d’être footballeur professionnel grâce aux Verts, à ce qu’ils m’ont donné en matière d’éducation, de valeurs et d’amour. C’est une ville qui a une histoire, un passé avec les mines. À Saint-Étienne, l’entraide et la solidarité règnent. Si mon père a pu vivre dix ou quinze ans de plus, c’est grâce au président Romeyer et à sa fille cardiologue. Je leur dois énormément, c’était la moindre des choses en cette période d’aider les habitants de Saint-Étienne qui est une ville où le pouvoir d’achat est assez faible. Même si jamais je ne pourrais leur rendre ce qu’ils m’ont donné, c’était une façon de ma part de dire merci aux Stéphanois.
Un retour en France à la fin de ta carrière, ça te semble envisageable ?Je ne ferme pas la porte. Je reçois des appels de clubs européens, notamment français, lors de chaque mercato. C’est flatteur, à moi de rester performant. Peut-être que ce n’est pas mon dernier défi. S’il y a un jour un projet qui me tente et que j’ai encore les jambes et l’envie, je le relèverai avec plaisir. Ce n’est pas non plus impossible que je revienne en tant que dirigeant, des clubs m’ont déjà fait des offres pour faire partie de leur organigramme après ma carrière.
Finalement, est-ce que tu sais quand est-ce que la panthère sera rassasiée ?La panthère est devenue un lion. À Galatasaray, ils m’ont recruté parce qu’ils cherchaient un vrai lion. Le fait que j’ai joué cinq ans à Lyon a influencé. Les Stéphanois ont mal vécu que je mime la panthère au Vélodrome, donc j’ai voulu changer et devenir le roi des animaux. Pour couronner le tout, mon signe astrologique est le lion et je suis d’origine sénégalaise. Pour répondre à la question, je ne me fixe pas de limite. Le jour où je n’aurai plus l’envie, je serai honnête avec moi-même et j’arrêterai. Je veux tout faire pour laisser une bonne image, et ne pas terminer comme un attaquant fatigué qui n’en peut plus. Comme pour la fin d’un bon film ou d’un livre, c’est important de bien finir.
Est-ce que tu as pensé à ton après-carrière, as-tu des pistes ?Déjà, je ne serai pas entraîneur. Ce n’est pas quelque chose qui me parle, je ne me vois pas dans ce rôle-là. Peut-être dans l’organigramme d’un club, ou bien dans les médias en tant que consultant. Ce qui est sûr, c’est que je suivrai des formations à la fin de ma carrière.
Propos recueillis par Thomas Morlec