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Bacri, dernier râle

Par Théo Denmat
Bacri, dernier râle

Il était l'agent le plus cocu de la planète. Manque de pot, en mourant d'un cancer à 69 ans, Jean-Pierre Bacri laisse le football veuf d'un type qui l'aimait autant qu'il s'en tenait à distance. Didier a perdu son maître, le cinéma français aussi.

« Deux films par an c’est beaucoup trop, qu’il disait. Non, c’est bien un. Rapport à mon tempérament. Comme je suis assez paresseux… J’aime bien me lever tard. » Bacri n’avait pas l’ego du footballeur, ou alors celui de Julian Draxler : sortir du banc une fois l’année lui convenait parfaitement, plus aurait été forcer sa nature. Il est devenu un lieu commun de rajouter qu’il aurait probablement levé les sourcils au moment de l’appel du coach, puis ôté sa parka en expirant, lacé ses chaussures en grommelant et avancé sur la pelouse en traînant des pieds. Paraît-il qu’il râlait tout le temps. C’est ce qu’on disait de lui. Non : c’est ce que certains disaient de lui. Alors parfois, lorsqu’on lui cherchait des noises sur sa tronche de Droopy et sa bonhomie de croque-mort, il répondait : « Oui enfin, certains est un con, vous savez comment ça marche. » Puis, quand il était de bon poil, il avouait penaud : « Ma gueule fait la gueule, c’est ainsi. » Le monde moderne appelle ça une « resting bitch face », et il aurait pu en être l’égérie. Bon.

Crédit : Frederic SOULOY/Gamma-Rapho via Getty Images

Il faut donc comprendre ceci : Bacri choisissait ses matchs. Bacri ne voulait plus non plus se raser de près tous les matins depuis un premier boulot à la Société générale de Cannes qui l’insupportait, lui, avec sa barbe de brun. Raison pour laquelle, depuis le duo Un air de famille et Cuisine et dépendances signant son indépendance financière, il avait décidé de refuser tous les scénarios qu’il considérait comme « médiocres ». Vingt-cinq ans à recaler les peaux de banane. Vingt-cinq ans de liberté. C’est peut-être ça qui impressionnait, chez lui, plus que son regard. Plus que son phrasé de bègue qui tirait du verbe assassin par salves de fusil semi-automatique. Un mec droit dans ses bottes, ça fout toujours les jetons. Puisque l’on parle de football, c’est comme si l’un des meilleurs joueurs de sa génération ne rechaussait les crampons que pour jouer des finales de Ligue des champions. Et qu’à la fin, il était toujours élu joueur du match.

Bougon blindé

Bacri se touchait souvent le visage quand il parlait, le sourcil ou la joue. Il se remontait le col, aussi. Il posait sa main droite sur ses lèvres, le genre de choses qui font dire aux synergologues qu’il voulait couper court à l’exercice de la promo qu’il exécrait, ou bien qu’il se retenait de dire tout ce qu’il pensait. Chez lui, on pourrait croire que c’était pour entretenir la légende : si personne ne pouvait le voir sourire, alors personne ne pourrait dire qu’il avait été sympa. Au fond, témoigner d’une rencontre avec Jean-Pierre Bacri sans caler qu’il avait été bougon était rater son office : personne ne va au stade pour voir Ronaldo faire des touches. D’ailleurs, personne n’écrit plus jamais le mot bougon. Bougon. Bacri est mort d’un cancer, sans un bruit, en faisant la gueule qu’il avait à ce moment-là. Probable qu’il ne s’était pas rasé pour l’occasion. Une autre idiotie propre aux hommages de grands râleurs consiste à dire qu’il aurait très sûrement détesté le concert de louanges qui lui est depuis porté. C’est complètement con. C’est d’autant plus con que c’est probablement vrai, Bacri confiant à qui voulait l’entendre qu’il n’était pas du genre à s’attarder ni sur ses succès, ni sur les décès. Il n’avait même pas peur du sien. Il disait : « Ce sont les autres qui diront :« T’as vu, Bacri est mort. » Moi, je m’en fous, je ne serai plus là. À un moment, ça s’arrête. Il faut faire de la place aux autres. » Si le cinéma français était l’Académie française, personne n’aurait l’audace de prendre son siège, de peur de se faire engueuler par un mec avec une torche.

Crédit : Gaumont

Il était fan de sport, de rugby, de natation, d’athlétisme… Et de foot, donc. Il se décrivait comme chauvin pour le plaisir du jeu, mais, surprise, pas supporter pour un sou, alors qu’on eût difficilement imaginé qu’un type qui se plaignait si souvent n’ait pas un mot à redire sur un arbitre ou deux. À So Foot, en janvier 2009, il confiait s’être intéressé aux Verts époque 1975-1976, et qu’il se serait bien emmerdé sur certains tournages s’il n’avait pas pu parler ballon avec quelques acteurs. Il n’allait déjà plus au stade à cause des cris de singe qu’il y entendait, et, puisque l’on parle de torche, il n’avait de toute façon personne à qui passer le flambeau : Bacri n’a jamais été père. Il tirait à vue : Paganelli ? « Franchement, ça pisse pas loin… » Les médias ? « Ça me dégoûte ces espèces de couillons qui ont tout compris sur tout,(…)ces mecs qui ricanent et qui font fonctionner l’échafaud de la pensée médiocre de base. Pour des types qui commentent dans leur fauteuil toute la journée, ils font bien, bien chier, je trouve. » Les supporters ? « Les banderoles de toute façon, on s’attend rarement à du Nietzsche. » L’argent : « Mais allez-y les gars, vous avez des milliards, achetez Ronaldo, Ronaldinho, Ronaldidinho, Ronaldodinho, bravo, c’est génial, vous gagnez tout, je ne sais pas comment vous vous sentez, si ça vous fait plaisir… » C’était le tonton du bout de table, celui qui balance les répliques criantes de vérité à la gueule de l’ado rebelle, celui qu’on ne voit pas si l’on ne tourne pas la tête, mais celui qui trône, l’air de rien, le nez planté dans son gigot.

« … sauf si c’est elle qui demande. »

Autre talent : Jean-Pierre Bacri était le meilleur pour faire semblant de parler au téléphone. C’était un don, alors il l’utilisait : dans La Cité de la peur, comiquement, dans Le Sens de la fête, récemment, dans Cuisines et dépendances, lumineusement.

Vidéo

Étrangement, c’est dans le rôle qui aurait dû lui valoir le plus d’appels, celui de l’agent Jean-Pierre Costa dans Didier d’Alain Chabat, qu’il en reçoit le moins. Du tournage, il racontait : « Je me caillais en tribunes au Parc des Princes, mais c’était sympa, on discutait avec des mecs du CFA, comme Amirèche – qui a joué à Créteil ensuite. » À la fin, il repart avec Isabelle Gélinas. Et puis comment oublier qu’il formait le plus beau des duos, il était le Yorke de son Cole, le Pirès de son Pouget, le Dalglish de son Ian Rush. Agnès Jaoui a perdu son pied gauche – rapport au bord politique – son meilleur ami, l’homme de sa vie. « Au bout d’un moment, quand on a fait le tour du pâté de maison, on se met à avoir une démarche un peu plus lente », disait-il pour expliquer son économie de tournages. Bacri jouait en marchant, mais aucun metteur en scène au monde n’aurait eu le culot de lui demander de courir. Il était déjà devant tout le monde. Alors non, on ne peut pas sentir le cul des filles. En revanche, on peut mesurer ce que certains hommes laissent derrière eux. Zaï zaï zaï zaï.

Dans cet article :
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Par Théo Denmat

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