Qui est allé chercher la balle derrière le mur au fond du jardin (du titre de son 2e album, Who’s gonna get the ball from behind the wall of the garden today) ?
C’est toujours moi, en fait. On jouait au foot dans le jardin avec mon frère. J’étais gardien, mon frère canardait et le ballon passait souvent de l’autre côté. Je suis le plus jeune donc c’était toujours à moi d’y aller. J’escaladais le mur et j’allais chercher le ballon dans ce terrain vague où les orties poussaient, où c’était un peu dangereux, et c’est une image qui m’est restée, au point d’en faire un titre d’album. Parce qu’elle m’évoque beaucoup de choses que j’ai fabriquées par la suite, qui sont liées à la poésie et à la métaphore d’un ballon au-dessus d’un mur. Les murs, c’est symbolique, c’est une séparation entre deux mondes qui sont censés être les mêmes mais qui sont très différents. Quand on va au Sud-Liban, à la frontière, on voit la végétation côté libanais. De l’autre côté, on voit les colonies israéliennes, avec les arbres qui sont très verts, on a l’impression que ce n’est plus la même terre. C’est une séparation flagrante, du fait de l’homme, de la politique, de l’économie…
Ce mur au fond du jardin, il était au Liban ou en France ?
Je suis né à Beyrouth, j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 6 ans. Mais ce mur, il est à Nanterre. On y est arrivé à cause de la guerre au Liban. Évidemment, t’arrives de quelque part, t’es différent. T’es confronté à une cassure dans ta vie, dans ton enfance. Mais, après coup, quand je vois d’autres endroits, je me dis qu’on n’est pas mal tombés. Nanterre c’était une ville très mixte, avec des gens qui venaient d’autres parties du monde où ça n’allait pas bien. Je me souviens d’un élève qui arrivait de Roumanie, qui fuyait la dictature. D’autres… enfin voilà, ça venait de partout, et à aucun moment je me suis senti rejeté. Et ça, c’est que l’école. Le club de foot, c’est encore pire ! J’étais à l’ESN, l’Entente Sportive de Nanterre, des supers souvenirs. Je me souviens de tous les noms des joueurs de l’équipe, des trophées qu’on a gagnés, des entraînements spécifiques parce que j’étais gardien. C’est un poste un peu spécial. Je me souviens, parce que je commençais à prendre des cours de piano au Conservatoire, qu’il y avait des matchs où j’avais rien à faire et je me récitais des fugues de Bach dans la tête. Il y a un match où on m’a demandé de tirer un penalty et j’ai marqué. J’ai eu la chance de connaître cette joie extraordinaire où tu marques pour ton équipe, t’es félicité par tout le monde, c’est génial.
C’est un poste d’artiste, gardien ?
C’est un poste propice à… C’est forcément un poste différent des autres, de par sa nature. Tu peux prendre le ballon avec les mains, t’es le leader de la défense, t’es quelqu’un qu’on doit écouter. Mais t’es forcément à part, t’es forcément solitaire. En tout cas, mes premières idoles étaient gardiens de but : Goycochea, Zenga, à la Coupe du monde 90. Par la suite, Köpke quand il est venu à l’OM, aujourd’hui des mecs comme Mandanda. Tu sens que les gardiens sont des personnes, des footballeurs plus posés, qui ont une certaine distance avec les choses. Après, de là à dire que ce sont des artistes, pourquoi pas. Même si je pense que les artistes sont plutôt au milieu de terrain aujourd’hui.
De cette époque vient ton attachement à l’OM ?
Par la force des choses, oui. On est arrivé en France en 89, première année de l’ère Tapie, premier titre. Je me souviens qu’on a pleuré aux tirs au but contre l’Étoile rouge de Belgrade, avec le penalty d’Amoros, toutes les occasions ratées pendant le match de Papin… Je me souviens exulter deux ans plus tard, avec l’image de Boli qui dit « je pleure pas ! » Ce sont des souvenirs extraordinaires. On était à la maison, avec nos cousins qui étaient venus du Liban et qui habitaient chez nous, avec qui on a vécu ces moments-là. Marseille, en plus, c’est une ville de la Méditerranée, ça relie forcément à Beyrouth. Et il y avait des joueurs de toutes nationalités, c’est un club qui faisait rêver quoi ! L’ambiance des supporters, cette ferveur inégalée en France, cette passion, un peu à la sud-américaine, ce sont des choses qui marquent.
Et l’OM, aujourd’hui, tu en penses quoi ?
Alalala… Je te cache pas que c’est une grande souffrance ! (rires) Les dernières émotions, c’était le dernier titre, 2010. On a quand même beaucoup vibré avec Bielsa, parce qu’on avait l’impression qu’il allait ressusciter l’âme du club. Mais c’était trop court, ça n’a pas été achevé. Aujourd’hui, c’est difficile, on est submergé par un foot qui change, terrible à supporter. Je t’avoue que c’est une des premières années où je décroche vraiment, je n’arrive plus à suivre, je suis presque dégoûté de la forme que prend le foot, ce foot business qui est rattaché à des gens qui, finalement, n’ont pas la passion du foot. Le foot est détenu par des businessmen. Je dis pas que Tapie n’était pas un businessman, mais je pense que c’était quelqu’un de passionné. C’est pas le cas du président de l’OM aujourd’hui, je crois. C’est triste de voir le Vélodrome vide parce que les gens sont fatigués, sont déçus, dégoûtés. Et je pense pas que ce soit que le cas de l’OM. Je vis à Paris, j’ai des amis du PSG, évidemment ils sont contents d’être champions, mais ils reconnaissent qu’il y a quelque chose de perdu. Et je pense que tout le foot va vers cet aspect là de la vie, dans le sens de la politique. Nettoyer les gens, faire que tout le monde marche au pas. On interdit l’ambiance, on interdit les ultras, tout ça va ensemble et c’est terrible. Je suis un peu perdu dans mon amour, dans ce que j’ai vécu par rapport au foot, quoi.
Tu ne veux pas faire une chanson pour le club ?
Il a besoin de plus qu’une prière ! (rires) Mais je n’aime pas trop faire le lien entre foot et art, bien qu’il soit une belle métaphore de ce que je me fais comme idée de la fraternité, de l’échange, de l’éducation. De là à en faire quelque chose de sacré et de l’emmener ailleurs, je crois que c’est pas une très bonne idée. Il doit rester à sa place, dans le cœur des gens et dans la rue. La passion du foot est extraordinaire, mais il faut savoir aussi décrocher d’une certaine radicalisation stupide. La banderole « Nous Sommes Paris » des ultras marseillais est magnifique parce qu’à un moment donné, le foot doit rester un jeu. Je suis parfaitement anti-PSG quand il le faut, mais aussi parfaitement parisien dans un sens large, dans un sens humaniste.
La rivalité entre Paris et Marseille, par exemple, a-t-elle encore un sens ?
Si tu prends l’exemple des clubs égyptiens, ou sud-américains, où très clairement on a des clubs des quartiers populaires et des clubs des quartiers bourgeois, on a encore un antagonisme, une rivalité sociale qui n’est plus du tout réaliste par rapport à la France. Je pense au club Al Alhy au Caire, qui est vraiment le club des pauvres. Ils ont des supporters fabuleux, peut-être les plus beaux supporters au monde. Là, il y a un réel combat politique, les manifestations de la place Tahrir ont aussi été dirigées par ces mouvements ultras. Il faut remettre le foot dans le contexte socio-économique de chaque pays. Et en France, faut pas exagérer, on est plus du tout dans ces cas-là. Mais il n’empêche que ça me fait plaisir quand je vois des portraits du Che au Vélodrome, ça me fait frissonner, ça correspond à une certaine vision du foot et de la société.
Le foot a une place importante au Liban ?
Le Liban est plus un pays de basket. Depuis quelques années, ils ont une très bonne équipe, de très bons clubs. D’ailleurs, le Liban a battu la France, en 2005, je crois. Il y a une culture basket, on a été champion d’Asie, et caetera. Le foot, c’est un peu plus compliqué. On n’a pas trop d’infrastructures. Tout le monde aime le foot, tout le monde joue au foot, évidemment, comme dans toutes les zones populaires. Ils ont fait une belle campagne dans les dernières qualifications, mais il y a tellement de barrages, de poules, c’est un chemin interminable. Ils ont échoué à la dernière étape, mais ils ont fait des très beaux matchs. Ils ont battu la Corée du Sud, c’était comme s’ils avaient gagné la Coupe du monde. Dans les rues de Beyrouth, c’était la folie. Mais ça reste plus compliqué pour le foot.
Tu as composé l’instru’ de la Lettre à la République de Kery James. L’occasion de discuter football ?
Pas directement, mais avec son entourage, oui. Il avait fait un morceau « 9-4 c’est le Barça » , où il reprenait des trucs de foot, genre « grosse frappe dans la surface, feinte de corps, petit pont » . Mais sinon non, on n’a pas spécialement discuté autour du foot. Plutôt musique. Il avait fait pas mal de bruit ce morceau, d’ailleurs.
Et avec ta compagne, Erika Moulet, c’est un sujet de discussion ?
(rires) C’est la première fois qu’on me pose une question sur elle ! Il y a un consensus à la maison, c’est que mes enfants seront supporters de l’OM. Je t’avoue que j’ai dû quelques fois recadrer les choses pour dire que, si on aborde le foot, c’est moi qui gère. Je veux bien tout faire, mais concernant le foot, je veux être maître des mots ! (rires) D’autant plus que c’est une période très difficile pour faire rêver mes enfants par rapport à l’OM. Quand ils vont à l’école, tous leurs potes ont des maillots du PSG, ils me disent « papa, Paris, on n’aime pas, mais Zlatan ? » Je leur dis « oui bon, Zlatan, OK… » Mais c’est une période compliquée et je remercie Erika de me soutenir dans cette démarche très, très difficile à la maison. (rires)
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