Baby Ravers

Au bout du fil, la voix de Martin James résonne comme celle d’un homme prêt à raconter une histoire qu’il connaît sur le bout des doigts. Journaliste musical reconnu outre-Manche, il est celui qui a popularisé la catégorie « French Touch » , dans laquelle les Daft Punk, Air et bien d’autres ont été rangés il y a plus de vingt ans, musicalement parlant. Mais avant tout, Martin est le biographe officiel du groupe électro-punk The Prodigy, avec lequel il a parcouru l’Europe pour raconter ses faits d’armes. Son fils, Félix, a 12 ans à l’automne 2012 et repart pour une nouvelle saison au sein du réputé Eastleigh FC, club de la ville du même nom coincée entre Southampton et Winchester non loin de la côte.

Avant chaque rencontre, sous l’impulsion d’un coach DJ à ses heures perdues, son équipe monte en pression dans le vestiaire en profitant à fond des derniers titres du groupe : « Ils écoutaient Warrior’s DanceetInvaders Must Die dans le vestiaire avant d’entrer sur le terrain. Ils aimaient déjà cela, note Martin James. Je connais Liam Howlett (le leader du groupe, N.D.L.R.) depuis plus de vingt ans, alors quand j’ai su que l’équipe cherchait un sponsor, je lui ai envoyé un message sans forcément espérer un retour quelconque. Il n’a pas hésité une seule seconde à me répondre « Yes ». C’était plus une marque d’amitié qu’autre chose. »

Foot, Boxe et drogues

Alors que le club apprend la nouvelle en même temps qu’il voit les tuniques de son équipe U13 être ornées d’une fourmi, tout le monde se fait un avis sur ce partenariat qui ne suit aucune règle logique. « La première fois qu’ils ont joué sur un terrain avec ce maillot, tous les parents des terrains alentour sont venus voir l’équipe jouer. C’était face à Winchester, de mémoire. Certains étaient amusés, d’autres criaient que c’était une honte d’avoir laissé une équipe de gamins être sponsorisée par un groupe promouvant la culture rave et la prise de drogues. Les gamins, eux, s’en foutaient. » Il faut dire qu’à cette période, l’équipe de Félix roule sur un peu tout ce qui bouge autour d’elle.

Vainqueur de la Coupe de l’Hampshire l’année d’avant, elle domine tellement son sujet qu’elle finira par remporter son championnat cette saison-là : « Lorsque vous êtes la meilleure équipe, comme le PSG en France et que vous avez les meilleurs joueurs, n’importe quelle raison est bonne pour vous faire tomber. Après Eastleigh, mon fils est parti à l’académie de Bournemouth, mais n’y est pas resté, au contraire de l’un de ses coéquipiers qui vient de signer pro. C’était vraiment une belle équipe. Un autre est même aujourd’hui devenu boxeur professionnel » , se marre Martin. Reste que ce premier match face à Winchester va faire date, et déclencher une véritable folie médiatique.

« Smack my pitch up »

Intrigués par cette collaboration avec ce groupe légendaire au Royaume-Uni, les médias nationaux veulent raconter l’histoire de ces enfants talentueux et adeptes de musique big beats. « La seule chose qui les a perturbés, c’est quand ils voyaient débouler les journalistes de grands médias venus duDaily Mirrorou encore duSun, qui avait même titré Smack my Pitch up en référence au tube planétaire du groupeSmack my B*tch Up, pour parler d’eux. Même l’émission de Jeff Stelling, qui est une grande figure du sport en Angleterre et qui a une émission sur Sky Sports, en avait parlé. Rien de plus normal vous me direz, puisque son enfant jouait pour… Winchester, en plus dans la même catégorie d’âge à cette époque. (Rires.) »

Une médiatisation qui va aussi se répercuter sur les membres du groupe, un peu malgré eux : « Le plus drôle, c’est que les Prodigy n’aiment pas plus le foot que ça ! À part Leeroy(Thornill, membre fondateur qui a quitté le groupe en 2000, N.D.L.R.) qui est un grand fan d’Arsenal, les autres ne s’y intéressent pas ou de loin. Cela a pris une telle ampleur que Liam m’a même appelé pour me demander d’arrêter de parler de cette histoire, car on lui parlait de foot en permanence. Au Brésil, c’était même la première question qui lui était posée à chaque interview ! » Embêtant, mais pas au point de stopper la collaboration qui se prolongera même la saison suivante. Tant pis pour les mœurs, mais c’est aussi ça, d’être punk.