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Azzedine Ounahi, le physique de l’emploi
1,82 mètre, 62 kilos : intronisé par Vahid et conforté par Walid, le frêle Angevin brille chez les Lions de l’Atlas. D’Avranches à un quart de finale de Coupe du monde, il n’y a finalement qu’un pas.
Voilà une chose dont les suiveurs de la « Farmers League » pourront se vanter. Ceux qui ont eu le courage, en ce dimanche après-midi d’août 2022, de suivre un Angers-Nantes pour la 1re journée de cette bonne vieille Ligue 1 ont eu quatre mois d’avance sur Luis Enrique. « Madre mía, mais d’où sort ce gars ? » Le désormais ex-sélectionneur espagnol a des étoiles dans les yeux. Il vient de faire connaissance avec ce milieu relayeur filiforme, généreux en efforts et soyeux en technique. 120 minutes disputées, 14,715 km parcourus et un bon paquet de récupérations et de dribbles réussis. « Il ne s’est pas arrêté de courir. […]Il a été impressionnant. » Ce número ocho – le même que son modèle Andrés Iniesta -, c’est Azzedine Ounahi, 22 ans. Le joueur du SCO d’Angers a fêté sa première cape il y a moins d’un an. Treize sélections plus tard, le gamin se fait un nom en mondovision.
Très fin, très faim
Né à Casablanca, en 2000, Azz’ – son surnom – est formé au Raja. En 2015, il intègre l’Académie Mohammed VI, sorte de centre de formation national, qui a également vu passer Youssef En-Nesyri et Nayef Aguerd. Abdelouahed Zamrat, son éducateur à l’Académie en 2017-2018, se souvient d’un joueur à l’énergie colossale. « C’était toujours le premier lors des tests physiques. Ses résultats étaient impressionnants, il avait la meilleure VMA de tout l’effectif. » Une endurance à toute épreuve, mais un déficit athlétique indéniable. Depuis petit, l’Angevin a dû s’adapter, en acceptant son physique si particulier pour un football moderne qui fait la part belle à la dimension athlétique. « Je ne suis pas un joueur qui aime le duel. J’essaye de les éviter au maximum, car quasiment tous les joueurs sont plus costauds que moi. J’essaye de jouer vite, de sortir de la densité grâce à ma prise de balle », expliquait-il en novembre 2021, dans les colonnes de Ouest-France.
Un credo qu’il a appliqué avant même son entrée dans le monde pro. Au sein de la pépinière du football marocain, savamment conçue par l’éphémère entraîneur de l’OM Nasser Larguet, le jeune Azzedine est rapidement surclassé. Trop fort pour les U19, on le confronte aux U21. « On a essayé de le mettre en difficulté, mais il a réussi à s’adapter. Sa technique a fait de lui le meilleur de sa promotion », se souvient son ancien formateur.
Du Grand Ballon au Mont Saint-Michel
À 18 ans à peine, Ounahi vise plus haut. Il enjambe le détroit de Gibraltar, et même un peu plus que ça : le gamin se retrouve en Alsace, à Strasbourg. Une première expérience européenne… décevante. Appelé à quelques rares reprises au sein du groupe professionnel, il ne joue pas une seule minute. Thierry Laurey ne compte pas sur lui. Après deux ans de contrat stagiaire, où il se cantonne à la réserve du RSCA (N3), le garçon doit signer professionnel avec le club alsacien… mais le contrat n’arrivera jamais. Une grande déception, bientôt suivie d’une relance, initiée par son agent Ismaël Mouline. « Au départ, c’est son agent qui a insisté, explique Frédéric Reculeau, ancien coach de l’US Avranches, très attaché à son ancien joueur. C’était un garçon qui était en échec par rapport à sa venue en France. Il lui fallait retrouver un équilibre. À Avranches, tout était en phase pour qu’Azz’ puisse se relancer. » Ounahi traverse donc la France d’est en ouest et débarque au pays du cidre et du beurre doux.
« Il est arrivé sur la pointe des pieds, triste, poursuit Frédéric Reculeau. Mais assez rapidement, il s’est rendu compte que les entraînements et le jeu proposé pouvaient lui convenir. Son talent a vite pris le dessus, et il a fait une grosse saison avec nous. » Il marque son premier but face au Stade briochin et progresse, notamment physiquement. « Je pense que son passage à Avranches lui a fait un grand bien sur cet aspect-là, car il a pu avoir du temps de jeu et s’adapter à l’exigence athlétique du haut niveau », reconnaît Abdelouahed Zamrat. Accompagné par Reculeau, Ounahi travaille : « C’est un bosseur. Il est arrivé avec un échec en tête, mais s’est donné les moyens d’aller plus haut. On a axé l’entraînement sur la diversification de son jeu et de sa palette offensive. » Même au fin fond de la Manche, le Marocain fait parler de lui et attire les convoitises. À l’été 2021, Philippe Leclerc, alors directeur du recrutement d’Angers, se montre plus qu’intéressé : le joueur et son agent se mettent d’accord avec le SCO. Ça tombe bien : le bonhomme est maigre, mais il a la dalle.
Ligue des Talents et Lions de l’Atlas
Dès sa première année en Ligue 1, Ounahi se montre. Le Casablancais entre beaucoup en cours de match, en commence quelques-uns et affiche un gros volume de jeu : face à l’OM, il court 13,95 km (à seulement 60 mètres du record sur la saison). À partir de là, l’histoire s’accélère presque aussi vite qu’Hakimi dans son couloir : pas encore titulaire avec Angers, Ounahi est convoqué par Halilhodžić pour disputer la CAN avec son pays, début 2022. Sous Vahid, puis sous Walid (Regragui), Ounahi s’impose logiquement dans l’équipe (il a commencé 9 des 10 derniers matchs du Maroc). Moins d’un an après, le gamin est titulaire en quarts de finale de Coupe de Monde.
La France et le Maroc apprennent encore à découvrir un joueur extrêmement précis techniquement, au jeu vertical et aux capacités défensives sous-estimées. Évoluant plus haut en Ligue 1 qu’avec les Lions de l’Atlas, il est le deuxième joueur du championnat à avoir réussi le plus de dribbles sur la première partie de saison – derrière un illustre inconnu argentin au numéro 30. Bénéficiant notamment du départ d’Angelo Fulgini pour Mayence, qui lui laisse plus de libertés offensives, il accroît son influence dans le jeu d’un SCO pourtant mal en point (le club reste sur sept défaites de suite). Appuis courts, changements de direction vifs et précis, passes dans l’intervalle : Azz’ est un milieu moderne, avec encore une belle marge de progression, surtout dans le dernier geste. Frédéric Reculeau détaille : « Pour l’instant, il reste dans son rôle au sein d’équipes assez défensives. Mais avec l’expérience, il va oser de plus en plus, en imposer et encore progresser au niveau offensif. »
Un doublé à Casablanca
S’il avait commencé son Mondial timidement contre la Croatie, il est ensuite monté en puissance, jusqu’à sa masterclass contre l’Espagne. On ne peut qu’imaginer la fierté de ses éducateurs lorsqu’ils l’ont vu se faufiler balle au pied, à la 104e minute, entre Busquets et Pedri, et attendre le momentum pour servir Walid Cheddira qui ratera son face-à-face avec Unai Simon. Mais qu’importe, Ounahi est déjà rentré dans le cœur des supporters marocains en mars dernier. Le 29, pour sa quatrième sélection, il choisit le match retour de barrages de la zone Afrique face à la République démocratique du Congo pour inscrire un doublé qui envoie les Lions au Qatar. Tout ça à Casablanca, sa ville natale. Le lendemain, le jeune Azzedine fera même une petite visite aux jeunes de l’Académie qui l’a vu éclore.
Le gamin garde les pieds sur terre. Si son langage corporel empreint d’un calme olympien peut parfois passer pour de la nonchalance, Ounahi est concerné. « Il a toujours été comme ça, il ne se mettait jamais la pression, raconte Zamrat. En match amical, officiel, en club ou en sélection, c’est pareil : il ne se pose pas de questions. » Reculeau est conscient du potentiel du bonhomme, mais reste prudent : « Il va être de plus en plus décisif. Je pense sincèrement qu’il pourrait aller dans un club prestigieux et être au niveau rapidement, mais c’est un garçon qu’il faut protéger. Il faut le laisser travailler et le laisser progresser. En tant qu’entraîneur, je suis fier et heureux pour lui. Je lui souhaite le meilleur. » La suite donc ? Pas d’enflammade pour le moment : premier rendez-vous samedi, face au Portugal.
Par Leon Geoni et Achraf Tijani