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Aymeric Laporte : traître, déserteur, ou juste un joueur de foot ?
Le joueur de Manchester City devrait donc évoluer pour la Roja lors du prochain Euro, après une naturalisation express, procédé que l’on pensait réservé aux pays du Golfe. Bien que déjà appelé en équipe de France, et profitant des nouveaux règlements FIFA, l’un des espoirs et possible relève des Bleus va donc changer de maillot. Un choix qui permet, dans le contexte actuel, aussi bien politique que sportif, de repenser le rapport aux sélections nationales.
Aymeric Laporte sera donc, sur décision gouvernementale publiée dans le Boletin oficial del Estado, et après insistance de la fédération espagnole, naturalisé espagnol aujourd’hui. En soi, que l’on se place du point de vue de sa biographie ou du droit européen en la matière, cette décision n’affiche rien de choquant. Débarqué à 15 ans en Espagne, plus précisément à Bilbao où un grand-père basque lui accorde une forme de préférence abertzale, il a déroulé une grande partie de sa vie personnelle et surtout footballistique de l’autre côté des Pyrénées. Sans être totalement comparable, son parcours s’apparente quelque peu à celui de Antoine Griezmann ou de Lucas Hernandez. L’histoire commune et mêlée de nos deux pays a forcément, et depuis longtemps, des prolongements sur les terrains de foot.
L’équipe nationale, un simple choix sportif ?
Toutefois, dans l’Hexagone, cette décision va forcément provoquer des remous et des réactions. Le défenseur des Blues a déjà été capé chez nous dans les sélections jeunes et Espoirs. Toutefois, malgré des convocations, il n’a pas joué une seule seconde en A. Il n’avait jamais caché d’ailleurs sa frustration et sa déception à ce propos, confiant régulièrement que pour lui, il s’agissait d’un « rêve », d’une reconnaissance y compris pour sa famille, et qu’il avait écrit au coach dans l’espoir d’être entendu. Lassé sûrement du silence du sélectionneur, et convaincu probablement que ce dernier avait déjà sa liste et son onze type dans la tête, il s’est donc finalement résigné à céder aux sirènes insistantes qui lui chantaient une douce sérénade depuis Madrid, d’autant plus qu’une place de titulaire pourrait l’y attendre.
Sur le plan strictement sportif, il est difficile de le blâmer. Un compétiteur de son niveau, qui s’apprête à disputer une finale de Ligue des champions, peut légitiment aspirer à participer à des compétions internationale tel que l’Euro qui va débuter dans un mois. Son choix n’a, de plus, rien d’artificiel, puisque comme nous l’avons rappelé plus haut, une grande partie de sa vie d’homme et de footballeur s’est écrite sur le sol espagnol – et plutôt basque, ce qui est peut-être le point le plus paradoxal. Naturellement, cette décision sent le dépit et interroge en retour les choix de Didier Deschamps, son rapport à son contingent tricolore. Sans comparer évidemment avec Karim Benzema, car l’affaire s’avère infiniment moins dramatique et personnelle, l’absence d’Aymeric Laporte interrogeait depuis longtemps. Quelque part, l’option prise par le défenseur de City renvoie aussi l’EDF à son véritable statut. Malgré sa seconde étoile, elle ne peut prétendre demeurer ad vitam le seul objet de tous les désirs d’un joueur, qui rongerait éternellement son frein dans l’attente d’être enfin accueilli à bras ouvert par sa bien-aimée…
Immigré et émigré
Cependant, et surtout au vu d’un contexte politique actuel à un an de la présidentielle, largement travaillé par les discours sur la « France en péril » et l’immigration, le passage « à l’ennemi » d’Aymeric Laporte ne pourra passer inaperçu. Dernier refuge d’un patriotisme assumé sans fard, censé redonné le goût de La Marseillaise à la population, les Bleus ne représentent pas seulement nos couleurs, il ont vocation à permettre à tous les Français de s’y identifier. Leur tourner le dos, n’est-ce pas déserter ou signifier un manque de reconnaissance, et dans le cas Laporte de sacrifice, pour la nation ? Il est amusant que cette nouvelle survienne dix ans après l’affaire des quotas, dont le nœud s’était concentré sur le besoin d’éviter que des binationaux se forment en France pour ensuite rejoindre une autre sélection nationale, et éventuellement y briller.
Cette fois-ci, l’enjeu se révèle tout autre. Il n’est pas exigé de Franco-Algériens ou Franco-Sénégalais de prouver leur « fidélité », et pour tout avouer quasiment leur « fiabilité », envers le pays où ils ont grandi. Non, Aymeric Laporte illustre simplement que la France constitue aussi une terre d’émigration, ces fameux « expatriés », mot tellement plus acceptable pour notre gloriole nationale. Nos enfants partis ailleurs ont désormais aussi une histoire commune avec d’autres contrées où des opportunités et des fidélités peuvent s’épanouir. Finalement, le cas d’Aymeric Laporte renvoie la sélection nationale à sa seule dimension sportive, et la France a un peu plus d’humilité sur ces questions, ce dont elle aurait bien besoin en ce moment. Néanmoins, point de naïveté, le profil d’Aymeric Laporte lui évitera nombre de débats et de reproches nauséabonds qui retombent pourtant si facilement sur les footballeurs issus de l’émigration post-coloniale.
Par Nicolas Kssis Martov